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Histoire & Sciences sociales  ->  Biographie  
 

Tintin chez les derridologues
Benoît Peeters   Trois ans avec Derrida - Les carnets d'un biographe
Flammarion 2010 /  18 € - 117.9 ffr. / 247 pages
ISBN : 978-2-08-121408-8
FORMAT : 13,6cm x 21,1cm

Voir aussi :

- Benoît Peeters, Derrida, Flammarion (Grandes Biographies) Octobre 2010, 740 p., 27 €, ISBN : 978-2-08-121407-1

L'auteur du compte rendu : Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, Agrégé d'histoire, Docteur ès lettres, sciences humaines et sociales, Nicolas Plagne est l'auteur d'une thèse sur les origines de l'Etat dans la mémoire collective russe. Il enseigne dans un lycée des environs de Rouen.

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«En août 2007, le projet d'écrire la biographie de Jacques Derrida s'est imposé à moi comme une évidence. J'avais eu la chance de le connaître un peu ; je n'avais jamais cessé de le lire. Pendant trois ans, j'ai consacré l'essentiel de mon temps à cette recherche, avec une constante passion. Je suis le premier à avoir pu explorer l'immense archive accumulée par Derrida tout au long de sa vie. J'ai retrouvé des milliers de lettres dispersées à travers le monde, rencontré plus de cent témoins, souvent bienveillants, quelquefois réticents. Derrida occupait ma vie, s'insinuant jusque dans mes rêves. Parallèlement, dans de minuscules carnets, j'ai consigné les étapes de cette quête de plus en plus obsessionnelle : les rendez-vous et les lectures, les découvertes et les fausses pistes, les réflexions et les doutes. Trois ans avec Derrida est le journal de cette aventure, en même temps qu'un éloge de ce genre souvent mal aimé qu'est la biographie». C’est ainsi que Benoît Peeters présente son livre en quatrième de couverture. Né en 1956, écrivain et scénariste, auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels Les Cités obscures avec François Schuiten (Casterman), Hergé, fils de Tintin et Nous est un autre (Flammarion). Comme il le reconnaît, Peeters a à peine connu Derrida et les trois ans «avec Derrida» sont ceux d’un travail de biographe, après la mort de son sujet, ce sont donc les carnets de notes et presque le journal de cette enquête et de l’invention du livre qu’il nous donne à lire. Leur publication est d’ailleurs strictement contemporaine du produit de ce travail : un Derrida qui parait chez le même éditeur.

La question se pose dès lors : quel intérêt ce livre (assez court) présente-t-il ? S’agit-il d’un exercice de style derridien, d’une sorte de coquetterie d’ancien auditeur de séminaire ou de lecteur de Glas ? Les doutes de Derrida sur le genre biographique déteignent-ils sur un biographe angoissé ou pris de doutes sur la validité de cette entreprise ? Les carnets de route de Peeters parmi les diverses relations de Derrida méritent-ils d’être connus en raison de révélations, qui ne figureraient pas dans le gros volume de biographie ? S’agit-il de donner à voir le travail de collecte de l’information dans sa factualité, à travers les occasions et circonstances réelles des rencontres, des lectures, au fur et à mesure de l’émergence des idées, tandis que scrupules et arguments se répondent dans un dialogue intérieur et inter-subjectif ? Il nous semble qu’il y a un peu tout cela… Peeters se demande s’il est possible de faire la biographie d’un critique de la biographie, et, sans prétendre être derridien de strict obédience, plaide pour son projet, en signalant l’intérêt constant de Derrida pour la vie réelle des penseurs et contre la séparation métaphysique de la vie et de l’œuvre. Il signale sa passion de l’archive, du bout de papier, de la correspondance, des notes griffonnées : du travail de l’écriture. Et puis il y a l’autre, au contact de qui une vie s’invente, et Peeters va chercher à rencontrer tous les témoins principaux des différentes époques de la vie de Derrida. Gardant la responsabilité de l’œuvre à venir.

D’où l’intérêt relatif et les limites de l’exercice. Les états d’âme de Peeters peuvent servir d’introduction pour grands débutants aux questionnements de Derrida et de mise en scène des problèmes de la «déconstruction» : sachant que l’auteur avoue souvent ne pas être philosophe de formation, ne pas se sentir de taille à écrire une «biographie intellectuelle» de Derrida et évite d’entrer vraiment dans les débats théoriques. On croise alors, au gré de son agenda, divers universitaires, français et normaliens ou non, parfois américains, plus ou moins sympathisants des positions de Derrida : mais les notes jetées sur le papier ne sont qu’un écho très affaibli du contenu de ces conversations (enfin, on l’espère !) et l'on doit croire sur parole Peeters quant à l’intérêt de ces échanges, où il prétend se sentir souvent comme un petit garçon intimidé (vu les noms cités, on se demande bien pourquoi). Il y a aussi ceux qu’on ne rencontre pas, rivaux ou ex-conjoint, mais dont Peeters relève la fuite ou l’esquive : pour raisons privées apparemment. Des gens qui visiblement ne tiennent pas à faire trois ans de plus avec Derrida. La mémoire implique l’oubli… sauf peut-être celle de rancunes ou de la gloire encombrante du «maître».

C’est peut-être le côté le plus intéressant du livre : ces quelques notations de passage, où Peeters laisse entendre ce qu’il n’a peut-être pas le droit de dire. Dans le genre de «l’histoire vue par le valet de chambre» au sens où en parlait Hegel, qui, lui, ne souhaitait pas déballer sa vie devant le public. Mais enfin, même là, le bénéfice est mince : les mesquineries et petits secrets du milieu des derridiens et para-derridiens, les réserves et agacements des non-derridiens, les prétentions des uns et des autres, la succession des discussions et des coups de fil, les rencontres de café ou de bureau, avec leurs conditions tacites ou explicites, la crainte de l’auteur d’être doublé par d’autres biographes potentiels, la rétention d’information par un «auteur» envers un concurrent, les bonnes paroles d’esquive, les conseils qui valent découragement, chacun appréciera s’il a le temps et l’envie de lire ou survoler cela. On a un peu l’impression d’osciller entre le narcissisme d’écrivain de l’auteur et des aperçus sur les habitudes et travers d’un ''petit monde'' : un small world pas très intéressant, d’anciens khâgneux, de vieux normaliens et d’intellectuels soixante-huitards ayant plus ou moins «réussi» leur carrière et plus ou moins disposés à participer au monument d’airain que Peeters veut ériger à la gloire de Derrida. Peeters trouve, il est vrai, certains d’entre eux brillants et même sympathiques : on ne met pas en doute sa sincérité, mais ses portraits sont à peine esquissés et sa subjectivité en vaut une autre ; le lecteur qui ne connaît ni ces personnes, ni leurs cours ni leurs livres ne sait que faire de ces jugements de valeur, qui semblent très typiques d’une partie de sa génération, avec sa part de political correctness.

Pour avoir feuilleté la biographie, le Derrida de Peeters semble plus dense et plus digne d’intérêt : avec les réserves qu’on aura peut-être à exprimer, après lecture.


Nicolas Plagne
( Mis en ligne le 11/01/2011 )
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