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Histoire & Sciences sociales  ->  Biographie  
 

Enthousiaste et enthousiasmante
Laure Hillerin   La Comtesse Greffulhe - L'ombre des Guermantes
Flammarion 2014 /  24 € - 157.2 ffr. / 570 pages
ISBN : 978-2-08-129054-9
FORMAT : 15,2 cm × 24,0 cm

L’auteur du compte rendu : agrégée d’histoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur honoraire de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié L’Histoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à l’historiographie (Flammarion).
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Après La Duchesse de Berry, Laure Hillerin a choisi de raconter la vie d’Elisabeth de Riquet de Caraman-Chimay, arrière-petite fille de Madame Tallien et descendante illégitime de Napoléon Ier. Née le 11 juillet 1860, Elisabeth, connue sous son nom d’épouse, la comtesse Greffulhe, a laissé un matériel très abondant de documents (carnets, livres de comptes, correspondance, etc.), les uns gardés dans la famille, les autres déposés aux Archives nationales, auxquels Laure Hillerin a eu accès, une large partie n’ayant jamais été dépouillée. Ceci lui a permis d’écrire cette biographie détaillée, complétée de notes, d’une bibliographie, d’un index, avec un encart de photographies de l’héroïne.

Le lecteur de 2014 a donc plus de chance que Proust à qui la comtesse Greffulhe refusa avec constance de donner une de ses photographies. Une faveur que Proust sollicita pourtant à plusieurs reprises, sans se décourager, en utilisant son amitié avec Armand de Guiche, gendre de la belle comtesse et ami intime de Proust. En dépit de ce refus, la comtesse et l’écrivain entretinrent une longue correspondance, et c’est Proust - le narrateur - qui rendit le plus bel hommage à cette femme étonnante, en en faisant l'une des sources, sans doute la principale, pour Oriane de Guermantes. A celle-ci, il donna la longue silhouette d’Elisabeth, le cou de cygne, le mari infidèle et jaloux, fier des succès mondains de son épouse et ombrageux tout à la fois. Elisabeth de Greffulhe ne lut pas la Recherche : l’exemplaire que lui envoya Proust, dédicacé, n’est pas coupé après les premières pages. Son mari, en revanche, sut se reconnaître et en ressentit un vif déplaisir ! Ainsi Elisabeth de Greffulhe, qui serait très certainement oubliée aujourd’hui, alors qu’elle a tellement fasciné ses contemporains, ignora volontairement le texte qui assure sa survie...

Avec finesse, Laure Hillerin fait revivre son héroïne en adoptant un plan qui lui permet de dresser à grand traits la vie de la comtesse, avant de s’efforcer de montrer les différentes facettes de cette grande dame enthousiaste et originale, qui ne posséda rien elle-même (son mari était riche, mais pas elle…) mais sut organiser des rencontres – efficaces, parfois improbables - entre les grands esprits de son époque. Une aristocrate au tournant du XIXe et du XXe siècles, un parcours presque banal dans ce milieu : un milieu familial prestigieux, mais des parents attentifs et soucieux de leurs enfants, un mariage raté sur le plan de l'amour, déception précoce qu'elle va savoir surmonter avec élégance. Modèle de Proust (qu’elle n'aimait pas) pour Oriane tandis que son mari, le richissime Henry, fournit celui de Basin de Guermantes, Elisabeth Greffulhe lui ressemble certes par sa garde robe époustouflante, sa mondanité, ses traits d'esprit et son couple bancal, mais en revanche elle dépasse de loin son modèle par de nombreux talents qu'elle sut mettre à profit de façon efficace. Au-delà d’Oriane, dans un jeu subtil de composition, Marcel Proust donna également des traits d’Elisabeth à la princesse Marie de Guermantes, et une partie de sa garde robe époustouflante à Odette de Crécy.

Sa biographe la décrit comme une "surdouée des relations publiques" et la liste de ses actions est en effet surprenante ; elle manifeste un véritable génie dès qu’il s’agit de mobiliser les compétences au service d’une cause qu’elle a décidé de soutenir. La comtesse Greffulhe règne sur un vaste réseau social qui va des rois et princes aux Rothschild, aux plus grands milliardaires américains, aux grands noms de l'aristocratie française mais également aux élites intellectuelles, douée d'une curiosité insatiable et qu'elle exerce à bon escient. Musique (Fauré la surnommait «Madame ma fée»), science (elle soutint Marie Curie, trouva le financement de l’Institut du radium, sortit Branly de l’ombre) : sa curiosité est insatiable et elle sait rendre efficace son enthousiasme. A titre d’exemple : musicienne accomplie, elle fonde en 1890 la Société des grandes auditions musicales de France, dont le président est Charles Gounod. Elle sollicite des subventions auprès de tout le Gotha et obtient 163 000 francs en six mois soit la moitié de la subvention annuelle de l'Opéra comique. Des subventions qu’elle met au service de la défense de la musique française, mais elle fait aussi connaître Wagner, assure le succès de Tristan et Yseult en 1899, suivi en 1902 du Crépuscule des dieux dont la représentation a lieu en présence du tsar Nicolas II. Elle fera venir Malher, Richard Strauss, et plus tard fera découvrir au public français Schönberg, Edward Elgar ; elle patronne les débuts sur la scène parisienne de Chaliapine, d'Arthur Rubinstein.... Bref, elle fait preuve d'un goût moderne et sûr, et sait évoluer.

Intéressée à la question sociale, tout en refusant de s'en tenir comme les dames de son milieu à des actions de charité qu'elle juge humiliantes pour ceux à qui elles s'adressent (ce qui était l’occupation préférée de sa belle-mère qu’elle détestait !), Elisabeth Greffulhe se soucie plus particulièrement des femmes et fait créer une "Ecole ménagère populaire" pour leur permettre d'acquérir les conditions de leur indépendance dans une société régie par le Code Civil qui fait de la femme une éternelle mineure.

Politiquement, elle n’est en général pas là où on l’attend ; ainsi sera-t-elle une ardente dreyfusarde - plus tard, elle admirera Léon Blum -, choix rare dans son milieu ; elle joue aussi un rôle discret dans les négociations entre Angleterre et France qui conduisent à l’Entente Cordiale de 1904. A la fin du XIXe siècle et pendant la Belle Epoque, elle tient un salon politique brillant que fréquentent ses amis, Clemenceau et Aristide Briand.

Mondaine accomplie, infatigable et entreprenante, Elisabeth Greffulhe réussit un pari difficile : exister dans une société qui consent aux femmes un rôle certes reconnu mais dans des limites bien précises qu'elle n'aura de cesse de transgresser avec succès. Sa grande longévité (elle meurt à Lausanne le 21 août 1952), sa beauté, son enthousiasme et sa vitalité, sa façon aussi d’occuper le premier rang lui assurèrent un succès jamais démenti de son vivant. Toutefois, derrière cette brillante façade sa vie personnelle n’a, semble-t-il, pas été heureuse ; la phrase de Madame de Staël - «La gloire est le deuil éclatant du bonheur» - pourrait être sa devise.

Une biographie qui se lit comme un roman sur un personnage… très romanesque dans tous les sens du terme.


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 23/12/2014 )
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