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Histoire & Sciences sociales -> Biographie |
| Arlette Lebigre La Duchesse de Longueville Perrin 2004 / 21.50 € - 140.83 ffr. / 304 pages ISBN : 2-262-01613-5 FORMAT : 14x23 cm
L'auteur du compte rendu : Françoise Hildesheimer, conservateur en chef aux Archives nationales, est professeur associé à l'université de Paris I. Elle a notamment publié Fléaux et société. De la Grande Peste au choléra . XIVe-XIXe siècles (Hachette, 1999) Imprimer
Roman et histoire entretiennent une liaison plus ou moins aventureuse, plus ou moins orageuse. Le présent ouvrage rétablit lharmonie au profit de la «vérité» historique, car lhistoire elle-même y est tout simplement roman. On sadonnera donc avec pur plaisir à sa lecture, dautant plus quArlette Lebigre (historienne et juriste, à ses heures également auteur de romans policiers historiques) y fait montre dun grand bonheur de plume, au fil dune écriture qui donne aux personnages comme aux événements tout leur relief sans jamais forcer le trait. Il nest que de lire les pages consacrées à «la saison des amours» (pp.46-48) pour comprendre combien est bien capté «lesprit du temps», entre guerre et galanterie, frivolité et ferveur religieuse, culture et raffinement, grossièreté et grivoiserie, recherche de gloire et dhumilité chrétienne ; le thème du mari trompé trouve son explication et celle-ci éclaire la période
«Plus leur rang est élevé, moins les jeunes filles ont de chance de pouvoir influer sur leur destinée» (p.48). Tel fut bien le cas dAnne-Geneviève, fille de Monsieur le Prince Henri Ier de Condé et de Charlotte de Montmorency, qui sut sinon conjurer du moins surmonter ce sort et donna à sa vie un relief de roman. Un «mariage mal assorti» lunit à Henri dOrléans, duc de Longueville, un personnage que Richelieu surnomme par dérision «la petite Altesse» ; elle est née en 1619 et, en 1642, épouse ce veuf, vieillard de quarante sept ans, terne et perpétuel indécis, bien éloigné de lidéal chevaleresque du temps, mais au total parfait honnête homme et socialement à labri de tout reproche ; un moindre mal dailleurs si on songe quelle échappait à la grossière arrogance de Beaufort ou à la niaiserie satisfaite dArmand de Maillé, le neveu du Cardinal, et quelle sut accommoder sa condition par sa longue liaison avec La Rochefoucauld.
Les impératifs de sa condition, greffés sur une personnalité assurément hors du commun, affrontée à des événements «historiques», vont donner à la duchesse lextraordinaire possibilité de jouer un rôle et de sy révéler. Ses qualités se découvrent à loccasion de lambassade à Münster de son ducal époux, «Premier plénipotentiaire de Sa Majesté pour les traités de la paix générale» ; elle tient à la perfection son rôle dambassadrice de charme. Mais cest surtout comme âme de la Fronde quelle sillustre par sa détermination sans faille qui la distingue des hommes de sa famille, quil sagisse de son mari ou de son frère le Grand Condé aux revirements multiples. Elle est de toutes les luttes, en Normandie, à Paris, à Bordeaux. Le 20 avril 1650, elle va jusquà passer un traité avec larchiduc Léopold-Guillaume, agissant au nom du roi dEspagne, lennemi de la France, acte unique par lequel une puissance souveraine traite dégal à égal avec une femme qui ne représente quelle même
À ses côtés apparaît, en ces temps de trouble, une figure infiniment plus fragile, mais dont on nous permettra de souligner le côté attachant : celle de sa belle-sur, Claire-Clémence de Maillé-Brézé, la nièce de Richelieu, fille de sa sur Nicole qui refusait de sasseoir sous le prétexte que son postérieur de verre le lui interdisait. Le Grand Condé a été forcé à ce mariage politique avec cette enfant de taille minuscule, quil nadmettra jamais. Et voilà que Claire-Clémence, mère dun petit duc dEnghien, suit sa belle-sur à Bordeaux et sy révèle habile à haranguer le parlement, à organiser une procession pour calmer les esprits (pp.190-196). Et il est vrai que la duchesse de Longueville ne l'oubliera point et ira ultérieurement la visiter dans la réclusion où la maintiendra son mari durant les 23 dernières années de sa vie.
La Fronde passée et le duc son mari mort dévot et solitaire en 1663, le devoir de révolte de la duchesse contre toute forme dabsolutisme trouve encore à sexercer au profit de Port-Royal ; la voilà du nombre des «belles amies» de labbaye persécutée. La religion est la planche de salut psychologique qui soutient ses dernières années. En ce temps où les antidépresseurs étaient chose inconnus, cest la dévotion qui lui offre un refuge belliqueux quand tout seffondre autour delle. Le mysticisme nest pas son fort, mais elle se retrouve dans la polémique et dans les uvres caritatives. Cest un moyen de sabstraire dun environnement où la folie est toujours inquiétante et diffuse, avec son second frère Conti quand elle ne devient pas proche et menaçante en la personne de son propre fils Jean-Louis, fou furieux quelle doit faire enfermer dans labbaye normande de Boscherville. Elle meurt «détachée de tout même de la vie», le 15 avril 1679 à Paris.
Cest donc bien toute une époque encore baroque quincarne la duchesse à laquelle sétait intéressé en son temps (1860) Victor Cousin et que fait aujourdhui revivre à travers elle Arlette Lebigre avec une si grande aisance narrative quil arrive au lecteur de regretter quelle nait pas cru nécessaire de nous dresser de véritables portraits de personnages comme Mazarin ou La Rochefoucauld, ou encore de nous en dire plus sur ce nouvel archevêque de Paris qui apparaît au printemps de 1664 et se révèle ennemi déterminé de Port-Royal, Hardouin de Péréfixe, un personnage cher à Montherlant. Et, puisquil sagit ici dun compte rendu, sacrifions à la règle de la critique même minime pour signaler que, si les Impériaux sont bien intervenus en 1636 en Franche-Comté, lEmpereur na point pour autant déclaré la guerre à la France, ainsi quon le pense ordinairement, et que la bibliographie relative aux Condé sest récemment enrichie de la belle étude de Katia Béguin (Les princes de Condé, Paris, 1999). Il est enfin dommage que léditeur nait pas jugé utile de pourvoir un ouvrage si fertile en événements et riche en personnages dune chronologie et de généalogies de référence.
Françoise Hildesheimer ( Mis en ligne le 06/05/2004 ) Imprimer
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