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Life of Briand
Gérard Unger   Aristide Briand - Le ferme conciliateur
Fayard 2005 /  27 € - 176.85 ffr. / 658 pages
ISBN : 2-213-62339-2
FORMAT : 14,0cm x 22,5cm

L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.
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Aristide Briand (1862-1932) fait un peu office d’inconnu de la république : on lui a consacré des places, des rues, des lycées… il a même sa statue – honneur unique – à l’entrée du Quai d’Orsay. Oui mais voilà, qui fut-il ? On se souvient (vaguement) qu’il joua un rôle pendant la Grande Guerre (mais lequel ?), qu’il s’imposa comme l’homme de la politique pacifiste et de la main tendue à l’Allemagne (l’étiquette de «précurseur européen» est de fait assez courue). Peut-être même se rappellera-t-on le très idéaliste pacte «Briand – Kellog» et sa tirade «Arrière les canons !». Et voilà ! Faut-il se contenter de cela, concernant l’un des hommes publics les plus importants de la IIIe république ? Certainement non, même si la question des archives privées se pose de manière cruciale. Bon connaisseur de la période, Gérard Unger se plonge dans une existence riche, tant du point de vue des idées que des responsabilités, avec un dessein, celui de rendre au personnage une cohérence que l’Histoire et ses contemporains lui ont niée.

Briand est un homme du large, représentatif des «couches nouvelles» qui s’imposent à la fin du XIXe siècle : produit de la méritocratie républicaine (il est le fils d’un «beuglant», un bar à marins de Saint-Nazaire), remarqué par le principal de son collège, le jeune homme fait son droit et accède au barreau. Le schéma est classique, mais il mérite d’être souligné dans une période où le droit est encore – quasiment – une charge anoblissante ! Si l’enfance et le milieu d’origine sont vite expédiés (faute de sources), G. Unger porte une très légitime attention à ce que l’on appelait naguères les «années de formation», formation d’une culture politique et épisodes «clefs» de la jeunesse et des débuts dans l’âge adulte. Ainsi, on voit le jeune avocat frayer à partir de 1884 dans le journalisme (La démocratie de l’ouest, où il signe «Rien» et qu’il lui arrive de défendre également !) où il se lie d’amitié avec une autre future figure du mouvement ouvrier, Fernand Pelloutier. La rencontre est d’importance, on parle même d’une inspiration commune. C’est en tous les cas un compagnonnage intellectuel dont les deux hommes sortiront plus radicaux qu’avant. On n’ignore également rien de ses aventures malencontreuses avec l’épouse d’un notable local, fille de l’ancien commanditaire de La démocratie de l’ouest et future anarchiste déclarée : Jeanne Nouteau. L’épisode, plus ou moins humiliant, marquera durablement le personnage.

Se déclarant socialiste, vaguement anarchisant, le jeune avocat fait carrière (mais pas fortune) au service des intérêts ouvriers, tant pour les bourses du travail que dans la presse socialiste. Les carrières politique et d’avocat commencent à s’entremêler, au sein du Parti Ouvrier français de Jules Guesde, puis sur d’autres voies qui le mèneront à Jaurès et à un discours plus réformiste, assagi. C’est l’occasion pour G. Unger d’effectuer une plongée dans un milieu complexe et fragmenté, celui du syndicalisme, de la IIe Internationale et des partis ouvriers. Habile rhéteur, avocat consacré par l’affaire Gustave Hervé, Briand s’y meut assez aisément, s’y impose même et y reformule sa doctrine. Le temps d’une consécration politique est venu : Briand fera son entrée au palais Bourbon en 1902. On passe ainsi de la «carrière» de militant à celle de député.

A partir de là, on rentre dans la vie d’un personnage public et dans un récit plus académique, plus attendu : distingué pour son talent de conciliateur dans la crise de la Séparation des Eglises et de l’Etat (l’homme n’est pas un jusqu’au-boutiste), il accède rapidement au ministère de l’Instruction Publique et des Cultes, puis de la Justice. Le jeune homme prometteur est devenu un homme politique prometteur… Serait-ce au prix de ses convictions de jeunesse et de son amitié pour Jaurès ? L’arrivée au pouvoir suppose généralement des compromis doctrinaux, un esprit de nuance. On le lui reprochera souvent à l’extrême gauche et G. Unger s’attache là à rendre justice à un personnage qualifié d’opportuniste, en rappelant que son itinéraire politique serait plutôt celui d’un notable républicain que d’un calculateur. La démonstration est assez convaincante et, tout en succombant à une certaine sympathie pour son «héros», l’auteur sait distinguer les ambiguïtés d’une trajectoire partie d’extrême gauche pour aboutir à un républicanisme de droite bon teint.

La silhouette politique de Briand est alors célèbre : marchant d’un pas faussement nonchalant, le visage barré d’une forte moustache, vêtu d’un négligé étudié, «l’homme de conversation» séduit… Est-ce l’étiquette révolutionnaire qui lui colle encore un peu à la peau ? La carrière ministérielle le porte jusqu’à la présidence du Conseil en 1909. L’homme politique se meut en «politicien» ambitieux et habile, «roué»… et il en faut, de l’habileté, face aux grèves de cheminots, aux menaces allemandes, aux vitupérations des anciens compagnons de route, aux règlements de compte des alliés d’hier ou de demain (la figure obsédante de Clemenceau)... C’est une plongée, dans un monde disparu, le Landernau politique de la IIIe république.

La guerre, et l’après guerre, révèlent le tempérament de Briand : c’est là, véritablement, que le personnage prend de l’ampleur pour acquérir une dimension nouvelle, historique, celle – selon G. Unger – d’un visionnaire. Le motif est-il forcé ? Encore une fois, l’auteur entend bien sortir Briand de sa gangue d’idéalisme candide et de pacifisme bêlant pour lui donner la stature d’un homme d’Etat européen. Pendant la guerre déjà, où l’ombre portée de Clemenceau masque le volontarisme de Briand, son rôle dans le ralliement roumain, sa volonté d’organiser les alliés (reconnue par Joffre) via des conférences, et de s’imposer. L’après guerre surtout, avec ses crises et ses conférences, révèle un président du Conseil et un ministre des Affaires étrangères pacifique et ferme, sensible à l’idée d’un équilibre européen et de relations internationales franches (avec l’Allemagne comme avec l’Angleterre et le Saint-siège notamment) : un «wilsonien ferme» pour ainsi dire ! La rencontre avec Stresemann fonde sa «légende», celle de la main tendue à Genève et à Thoiry et du traité de Locarno. L’affaire lui vaut le Nobel, pas la reconnaissance. Mal perçue par l’opinion publique, sa politique lui attire des reproches, on le trouve trop souple face à l’Allemagne. Sans s’engager trop en ce domaine (mais il existe depuis peu une excellente somme sur le pacifisme due à Y. Santamaria), l’auteur montre les ambiguïtés et les impasses des pacifismes français à la lumière de contextes national et international en porte à faux. Briand fut-il un idéologue du pacifisme ? Un apôtre certainement, dont il convenait de montrer les espérances, d’autant moins naïves qu’elles demeurent finalement actuelles.

Briand méritait une nouvelle biographie : après celle récente de G. Oudin, cette nouvelle étude, réussie, confère au personnage une actualité (celle du débat actuel sur les rapports entre Etat et religion) et une dimension neuve. Le notable politique est redevenu un homme d’Etat. L’exercice de relecture était nécessaire. Certes, le ton est parfois assez original, alternant la causerie et les références personnelles avec la précision académique et l’érudition. C’est un récit plutôt qu’une étude universitaire, mais l’ouvrage se lit de fait agréablement et offre une nouvelle lumière à une période et à des crises dont l’histoire avait parfois terni les couleurs.


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 31/10/2005 )
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