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Encore des habits neufs pour Mao | | | Philip Short Mao Tsé-toung Fayard 2005 / 26 € - 170.3 ffr. / 673 pages ISBN : 2-213-62607-3 FORMAT : 14,5cm x 22,0cm
Traduit de l'anglais par Colette Lahary-Gautié.
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Faire une biographie de Mao, cest sengager dans un chemin long, à léchelle dun pays immense et mal connu, cest tenter de comprendre ce qui fait loriginalité dun dictateur effroyable, mélange de ruse et de candeur. Cest saisir aussi lévolution brutale qui, en quelques décennies, voit la Chine passer dune société féodale et partiellement coloniale, et dune culture traditionnelle, à une société à la fois modernisée et anarchique. Certes, on pourrait objecter que le biographe de Mao succombe à la traditionnelle «illusion biographique» et livre, sous couvert dun individu et dun destin, une histoire classique de la Chine
Il y a sans doute du vrai dans cette critique, mais lensemble réussit le tour de force, impressionnant, de restituer une évolution à léchelle dun siècle de modernisation brutale.
P. Short déroule une biographie très classique, en commençant par lenfance et les traditionnelles «années de formation» : une enfance qui débute en 1893 dans une Chine encore traditionnelle, dominée par les mandchous. Mais Mao, natif du Hunan, serait, comme les hommes de cette région, un rebelle né : cest du moins le stéréotype historique forgé pour les gens du Hunan, stéréotype qui rappelle curieusement le mythe romagnol mis en place par Mussolini. Une enfance passée dans une famille aisée de campagne, à lécole confucéenne (et P. Short montre le poids de cette formation dans la personnalité du futur potentat, poète habile, calligraphe inventif et esthète incontestable) dans une Chine qui demeure puissante, mais empêtrée, comme un «homme malade de lOrient» et où les Européens et les Japonais simposent peu à peu, non sans provoquer des réactions nationalistes. Et la route est longue pour un jeune homme doué (sauf en langue : le mandarin demeurera toujours un obstacle), étudiant habile et bibliothécaire méprisé, qui se fait connaître assez tôt par des articles empreints danarchisme (tendance candide). Par le prisme de Mao, P. Short décrit bien les tensions et les contradictions de cette Chine qui souvre, non sans répugnance, à lOccident, celui du colonialisme et celui du marxisme.
Si la «conversion» au marxisme date de 1920 (dans lenthousiasme dune diplomatie soviétique originale à légard de la Chine !), de même que lintuition dune nécessaire adaptation aux réalités agraires chinoises, la découverte réelle du philosophe barbu et de ses thuriféraires soviétiques est plus tardive. De fait, lhistoire labyrinthique du parti communiste chinois, qui naît en 1921, démarre difficilement, dans les marges du Guomindang, et le militant Mao, doué il est vrai, ny trouve pas toujours son compte : les années dapprentissage sont autant dannées de conflit, entre nationalisme et communisme, pour un objectif (la Chine) aux contours parfois incertains. Lannée 1926 savère également marquante : Mao sy convertit définitivement à un communisme paysan motif original sur fond de réforme agraire qui le portera jusquaux plus hautes fonctions.
Lenchaînement des événements, à partir de 1927, fait passer lhomme Mao de la petite à la grande histoire : le putsch de Chiang Kaï-shek précipite le début de la révolution communiste (et ce en dépit des théories venues de Moscou et du Komintern, où Staline persistait dans lidée dun front commun Guomindang - PCC) avec une première insurrection dautomne. Les deux anciens alliés entrent désormais en conflit, et lhistoire chinoise est scandée par les offensives et contre-offensives de cette guerre civile et idéologique. Restitués dans toute leur complexité, par lauteur, ces affrontements forgent le PCC (qui passe toutefois, en 1927 de 57 000 à à peine 10 000 militants
) en parti militarisé, avec un Mao qui simpose comme chef de guerre talentueux et leader politique (mais qui doit autant batailler contre le parti que contre le Guomindang), et une armée rouge désormais placée au début des années 30 «au cur de la révolution». La conquête du pouvoir est donc avant tout militaire (mais la guerre nest-elle pas la poursuite de la politique par dautres moyens ?), même si elle suit un cours sinueux : dans la Chine des années 30, la montée des périls et spécialement du péril japonais aboutit à une trêve avec le Guomindang, qui se poursuivra jusquen 1947. Cet interlude, la période Yanan, permet à Mao de concrétiser sa propre théorie politique, entre écrits et conférences. : la «pensée Mao Zedong» conclut cette longue marche intellectuelle. La seconde guerre civile peut éclater, qui aboutit, en 1949, à la victoire communiste : le temps du «grand timonier» commence.
Mao entre donc dans lHistoire chinoise pour 27 années
Et P. Short dresse un bilan terrible de ces décennies quil résume en un titre : «lapprenti sorcier». Car vouloir faire de la Chine «le premier pays du monde» suppose, plus quune volonté politique, une réflexion. Si Mao excelle dans la dénonciation et la condamnation dhypothétiques obstacles («le conservatisme de droite»), il est moins à laise dans la prospective. Le paysage politique de la Chine est du reste aussi bouleversé que le paysage économique, au gré des lubies du dictateur ou de ses efforts pour illustrer une «voie chinoise» originale (à lexemple des «cent fleurs», accommodation chinoise des modes de gouvernement soviétiques). Rêvant dun «royaume de vertu rouge», Mao entraîne la Chine dans un cycle terrifiant de répressions et de ruptures qui aboutit à la Révolution Culturelle, énième revirement dun potentat qui se coupe peu à peu du monde (et qui considère cette révolution comme lune de ses principales réalisations avec la victoire sur le Guomindang). Cest du reste lun des points forts de cette biographie, que de parvenir à faire entrer le lecteur dans lintimité de Mao, tout en faisant le lien entre pratique dictatoriale, culte de la personnalité et caractère personnel (son isolement progressif, son rapport maladif aux femmes, sa paranoïa vieillissante et ses caprices
). Toutefois, P. Short sait équilibrer son bilan, alternant dans un épilogue magistral les critiques et les louanges à travers un banc dessai comparatiste des principaux dictateurs (comparaison dont il admet lui-même les limites et le côté artificiel) : Mao parmi les siens, dans le panthéon des autocrates
Lhomme Mao nest guère connu, et cette biographie érudite (trop ? munissez vous dun bon atlas) en révèle ce qui, jusquà preuve du contraire, peut être révélé : utilisant une immense bibliographie anglo-saxonne, ainsi que de vastes lectures chinoises (P. Short fut pendant plusieurs années correspondant de presse en Chine), lauteur livre, dans cet ouvrage excellemment traduit, un portrait dense et prenant, sinon exhaustif. Alternant les phases «romancées» (comme ce préambule magistral où il évoque, dans les affres de la Longue Marche, la montée de Mao Zedong, en jeune hiérarque ambitieux) et les pages de pure érudition (lappareil de notes est à cet égard un ouvrage en soi), P. Short sait capter la curiosité (mais pas toujours déjouer la lassitude, légitime face à lavalanche des noms, faits et lieux «exotiques», même si en annexe, un ensemble de notices biographiques facilite déjà grandement la lecture). Jouant de la biographie officielle pour en éclairer les mensonges, les failles, les tentatives de reconstruction, P. Short donne à la fois le récit dune vie, et dun siècle ainsi quune étude très efficace sur les représentations de Mao en grand timonier ou sur les rapports avec le modèle soviétique, véritable statut du commandeur.
De la biographie imaginaire à la vie réelle, louvrage ne laisse guère de zones à lombre. Une somme importante et qui fait date.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 07/03/2006 ) Imprimer | | |