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Biographie politique d'un démocrate chrétien | | | Laurent Ducerf François de Menthon - Un catholique au service de la République (1900-1984) Cerf - Histoire religieuse de la France 2006 / 43 € - 281.65 ffr. / 508 pages ISBN : 2-204-07762-3 FORMAT : 14,5cm x 23,5cm
L'auteur du compte rendu : agrégé d'histoire, allocataire-moniteur d'histoire contemporaine à l'Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3, Nicolas Champ prépare, sous la direction du professeur Marc Agostino, une thèse d'histoire contemporaine consacrée aux espaces religieux dans le département de la Charente-Inférieure au XIXe siècle. Imprimer
Connaissez-vous François de Menthon ? A lexception des spécialistes des mouvements catholiques de lentre-deux-guerres, de la Résistance et des débuts de la IVe République, il est probable que ce nom néveille que peu déchos. Cest à sa redécouverte que nous invite, dans une biographie probe et documentée issue dune thèse de doctorat soutenue il y a déjà six ans, Laurent Ducerf.
Ce travail se veut être avant tout une biographie politique. Il sagit de cerner lengagement et le rôle de lhomme public, engagé dans la vie de la Cité, non de faire découvrir lhomme privé. Lauteur sappuie sur un corpus documentaire varié au sein duquel occupent une place privilégiée les archives laissées par François de Menthon. Par un apparent paradoxe, celles-ci se montrent peu disertes sur la vie privée de lindividu et même sur le rôle personnel que put jouer F. de Menthon dans les débats auxquels il prit part. En fait, elles savèrent dun grand intérêt pour la compréhension de nombre de dossiers historiographiques majeurs : lAssociation catholique de la jeunesse française (ACJF) et la naissance des mouvements spécialisés, la Résistance chrétienne, lépuration, les aléas de la Démocratie chrétienne et la construction européenne sous la IVe République (p.10). Cette documentation, toujours scrupuleusement confrontée tant aux autres sources éclairant ces sujets quà lhistoriographie qui leur est consacrée, permet également à L. Ducerf de redonner à F. de Menthon la part de paternité qui lui revient de plusieurs décisions importantes, notamment lorsquil était Garde des Sceaux, à propos de la réforme de la répression de lenfance délinquante.
En effet, si François de Menthon eut une vie particulièrement longue, il ne joua un rôle de premier plan sur la scène nationale que par intermittence. Le plan de louvrage lindique clairement. Les quarante premières années de sa vie sont traitées en une soixantaine de pages tandis que la période séparant son retrait de la vie politique en 1958 et sa mort en 1984 ne suscite quun court chapitre conclusif.
Au commencement de lengagement de F. de Menthon était une tradition familiale, celle dune famille de la vielle noblesse savoyarde profondément catholique illustrée par un père qui resta toujours un modèle pour son fils et qui se rallia précocement à la République, celle dune noblesse éprise de ses valeurs et qui déteste celles de la bourgeoisie. Les combats de F. de Menthon, au temps de sa présidence de lACJF (1926-1929), pour la reconnaissance de la spécificité de la Jeunesse ouvrière chrétienne peuvent se comprendre pour partie en ce sens : inspiré de ses lectures de Léon Bloy, F. de Menthon récuse les relations paternalistes liant notables et classes populaires.
Après son départ de la présidence de lACJF, quoiquil ait nourri quelque ambition politique dans les années 1930, ce nest quaprès la débâcle de 1940 que F. de Menthon est de nouveau placé sur le devant de la scène en étant à lorigine de lun des premiers mouvements de résistance, «Liberté». En nous donnant ainsi des éléments neufs sur ce mouvement méconnu et en nuançant bien des idées sur son pétainisme supposé, lauteur ne manque pas de souligner lamateurisme de ces résistants qui saffichaient au grand jour. Se fondant dans «Combat», «Liberté» disparaît dès 1941. Au sein de «Combat», F. de Menthon va entrer fréquemment en opposition avec Henri Frenay, notamment parce quil se fait le défendeur, aux côtés de Jean Moulin, des thèses gaulliennes. Après 1943, il rejoint la France libre, devenant dans le Comité français de Libération nationale, Commissaire à la Justice puis Ministre de la Justice. Cest à ce titre quil se trouve en charge de lépuration. L. Ducerf rappelle fort justement à propos du cas de la magistrature (p.253) quil ne joua pas un rôle direct dans le châtiment des traîtres, ce qui ne lempêcha dêtre lobjet de haines tenaces (pp.400-401). Juriste de formation, il se montra toujours soucieux du respect de la légalité judiciaire, déniant la légitimité de toute mesure extra-judiciaire. Démocrate-chrétien, il se retrouva également en charge dun dossier qui ne lui revenait pas initialement, lépuration épiscopale : là aussi, son souci de lhumanité ressort, refusant les thèses extrémistes dun Georges Bidault qui réclamait en 1944 le remplacement de quarante évêques. Cette attitude modérée lui vaut son remplacement au Ministère de la Justice au printemps 1945.
François de Menthon revint une fois aux affaires, en tant que Ministre de lEconomie nationale en 1946, avec encore moins de succès quà la Justice puisquil ne réussit pas à faire face à la vague inflationniste qui sévissait alors. Parallèlement, il joue un rôle essentiel dans les premières années de la IVe République dans le fonctionnement du MRP sans quil ne cherche à assumer le statut de leader, car, comme le note L. Ducerf, «son tempérament le porte plus à animer quà diriger» (p.378).
Le fil directeur de ce travail reste les «Souvenirs» inachevés quavait commencés à rédiger François de Menthon dans les années 1970. Appliquant rigoureusement les règles de la méthode historique, lauteur souligne les mécanismes de loublieuse mémoire du narrateur, comparant systématiquement documents dépoque et ce qui en reste dans les mémoires de Menthon. Il aurait été intéressant dapprofondir la question des conditions décriture dune biographie, de «lillusion biographique». De ce point de vue, il faut regretter la brièveté de lintroduction générale qui aurait pu sattarder un peu plus sur les problèmes méthodologiques et épistémologiques de lécriture dune vie.
Au travers du cheminement dun homme, François de Menthon, lauteur nous livre donc bien plus quun simple portrait dun politicien parmi dautres ; il nous donne lexemple dune trajectoire et dun engagement cohérents en faveur de la Démocratie chrétienne, nous rappelant, ce faisant, que celle-ci ne se résume pas à une quelconque fidélité strictement partisane, ce que la vie de François de Menthon illustre excellemment.
Nicolas Champs ( Mis en ligne le 27/04/2006 ) Imprimer
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