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Les paradoxes de la sainte d’Avila | | | Joseph Pérez Thérèse d'Avila Fayard 2007 / 24 € - 157.2 ffr. / 374 pages ISBN : 978-2-213-61870-8 FORMAT : 14,0cm x 22,0cm
L'auteur du compte rendu : Historienne et journaliste, Jacqueline Martin-Bagnaudez est particulièrement sensibilisée aux questions dhistoire des religions et dhistoire des mentalités. Elle a publié (chez Desclée de Brouwer) des ouvrages dinitiation portant notamment sur le Moyen Age et sur lhistoire de lart. Imprimer
Encore une biographie de la réformatrice du Carmel ? Plus que cela. Dabord parce que celle-ci est due à un fin connaisseur de la civilisation espagnole du XVIe siècle et ensuite parce que lauteur, historien et rien dautre, cherche avant tout, loin de toute tentation hagiographique, à replacer Thérèse dans le monde de son temps. Les amateurs dextases, de mysticisme et dédification devront sadresser à dautres ouvrages ; même si, bien sûr, J. Pérez ne tient pas pour élément négligeable les expériences religieuses exceptionnelles vécues par son personnage.
Représentative de lEspagne de son temps, cest dabord ainsi que cet ouvrage raconte Thérèse. Par sa famille déjà, celle dun hidalgo économiquement peu à laise, comme tant dautres, nanti de nombreux enfants dont il casera certains dans larmée tandis quun autre participera à la grande aventure de la conquête du Nouveau Monde. Témoin dune société marquée par la diversité religieuse et lhistoire récente de la lutte contre les appartenances religieuses hétérogènes, Thérèse compte un grand-père juif parmi ses ancêtres directs. Dailleurs, J. Pérez fera remarquer, dans le cours de louvrage, à quel point la christianisation des populations espagnoles est superficielle, même si la réforme protestante sera peu sensible ici.
Pur produit dune famille sincèrement chrétienne, grande réformatrice et fondatrice de douze carmels, béatifiée une trentaine dannées après sa mort et érigée en patronne de lEspagne, on sattendrait à ce que Thérèse ait fait preuve dès son plus jeune âge dune irrésistible attirance pour la vie religieuse. Sans doute fait-elle montre dune personnalité particulièrement forte. Mais en ce qui concerne les motifs de lentrée au carmel, point de démarche religieuse exemplaire. Le retrait du monde na rien dune vocation, ni même dune façon commode de trouver une position honorable ; il sagit ici dun acte certes voulu, mais choisi par une jeune fille en réponse à un esprit dindépendance, comme seul moyen déchapper à la soumission quimposerait le mariage. En somme, le choix de la vie religieuse est un acte posé «contre», et non une réponse à un appel.
Et la vie conventuelle dabord vécue par Thérèse na rien de bien pieux. Le carmel ? Le dernier endroit où lon tient salon ! La future réformatrice y mènera pas moins de vingt années cette vie sans exigence particulière, avant que le sentiment de la «médiocrité» de cette façon de vivre ne conduise, en 1555, à une authentique conversion. Celle-ci lamènera, 7 ans plus tard, à fonder le premier carmel réformé, Saint-Joseph dAvila. Douze fondations établies personnellement par Thérèse. Parmi les difficultés rencontrées, un obstacle à vaincre qui en dit long sur lambiance religieuse du temps : les autorités, la sainte elle-même, craignent de se heurter à la concurrence des couvents déjà existants, qui drainent les aumônes locales. Or les ressources de la générosité nétant pas illimitées, sur quoi les nouveaux (nouvelles) venu(e)s pourront-ils(elles) compter pour assurer le quotidien ? Poids des contingences matérielles dans un dessein dune haute spiritualité...
Quant à ces carmélites à qui elle impose une stricte coupure davec le monde environnant, ce nest pas dans des lieux retirés que la fondatrice les installe, mais au cur de cités actives. Toujours ce désir dattirer les largesses de pieux donateurs, auquel sajoute, il est vrai, le souci de mettre au service de ses surs des directeurs de conscience dune haute tenue intellectuelle. Autre conduite inattendue : les milliers de kilomètres parcourus par une femme qui entendait imposer une stricte clôture à ses compagnes et qui passa sa vie sur les routes. Péripéties des voyages de fondations, difficultés matérielles de tous ordres, nécessaires concessions pour obtenir les appuis parfois intéressés des grands, le tout mis au service dune volonté réformatrice sans faille, cela est bien connu. J. Pérez les raconte ici avec pittoresque et lucidité. Il met à mal la tradition selon laquelle Thérèse aurait souffert des étroitesses de lInquisition : sans doute eut-elle à faire avec le Tribunal, mais elle ne fut jamais poursuivie.
Cest dans la recherche des significations des événements que lauteur de ce livre fait uvre la plus originale. Il replace luvre de la mystique à lintérieur des courants spirituels du moment, souligne comment elle se distingue des supercheries de personnages douteux prétendant avoir une relation directe avec Dieu. Il montre aussi que les liens, mis en avant par certains chercheurs, de Thérèse avec le soufisme, la mystique rhénane, ne sont que spéculations. Ultime paradoxe : le caractère de cette femme libre. Bénéficiaire dexpériences mystiques telle que la fameuse «transverbération» de 1560, elle prône la mesure, léquilibre en toutes choses, la soumission et le contrôle, pour elle comme pour ses filles, du confesseur. Femme dune grande culture, elle feint lignorance, afin de ne pas choquer. Et cette grande malade était gaie, aimait le rire.
Le travail de lhistorien Pérez, appuyé sur les sources connues de la vie de Thérèse dAvila notamment les écrits du personnage lui-même ‑ sapplique à en faire une relecture universitaire, quil complète, à lusage du lecteur cultivé et curieux, de croquis géographique, dindex, de chronologie, de bibliographie (celle-ci utilisable par tous parce que particulièrement légère).
Jacqueline Martin-Bagnaudez ( Mis en ligne le 04/05/2007 ) Imprimer
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