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Ambition et ambitions au temps de Louis XIII | | | Christophe Blanquie Un magistrat à l'âge baroque. Scipion Dupleix - (1569-1661) Publisud 2008 / 26 € - 170.3 ffr. / 281 pages ISBN : 978-2-86600-848-2 FORMAT : 14,0cm x 22,5cm
L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié : Les Demeures du Soleil : Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (Champ Vallon, 2003). Imprimer
Il est devenu banal en évoquant litinéraire politique, professionnel ou littéraire des hommes de robe dAncien Régime de parler de «stratégie dascension sociale». Qui dit carrière, dit «faire carrière» et suppose recherche de progression et dascension.
Lexamen de la très longue vie plus de quatre-vingt-dix ans ! et de luvre abondante de Scipion Dupleix viennent nuancer pour le moins cette commode grille danalyse. Au premier abord, le personnage semble parfaitement entrer dans le moule : auteur à succès, historien quasi officiel, Dupleix est dordinaire rangé parmi les «créatures» du cardinal de Richelieu. Il fait partie de la longue théorie des «intellectuels dÉtat», que le service du pouvoir vient élever au-dessus de leur condition première.
En examinant de près la vie de cet auteur, en remontant aux sources, notamment locales, Christophe Blanquie montre quil en va assez différemment. Scipion Dupleix appartient à une famille noble, et son père, pendant les guerres de religion, a servi comme capitaine dans les troupes de Blaise de Monluc. Il nen choisit pas moins un état dans la robe : avocat du roi au présidial de Condom (vers 1599). Très vite, loccasion se présente de monter à Paris : en 1600, Dupleix est député à la Cour des aides pour solliciter au sujet dun différend portant sur les modalités de paiement de la taille. Dès lors, le magistrat se partage entre Paris et sa province, publie de premiers ouvrages de philosophie et de droit (La Logique, 1600 ; Les Lois militaires sur le duel, 1602 ; La Physique, 1603) ; Il entre au service de la reine Marguerite de Valois, dont il devient le maître des requêtes. Dans le même temps (1606), il se sépare de son office davocat du roi pour acquérir celui dassesseur criminel au même présidial de Condom. Loin de «monter» définitivement à Paris, tel un Rastignac de lâge baroque, Dupleix alterne périodes de résidence à Condom, dont il fréquente assidûment les assemblées de ville, passages dans ses terres et séjours dans la capitale.
En 1619, Scipion Dupleix publie son premier ouvrage dhistoire : les Mémoires des Gaules. Suivront LHistoire depuis Pharamond jusquà Hugues Capet (1621, 1624 et 1628), lHistoire de Louis le Juste (1635), lHistoire romaine depuis la fondation de Rome (1638 et 1644), Continuation de lhistoire de Louis le Juste (1648), lHistoire de la maison dEstrades (1655). Nommé historiographe de France, Dupleix résigne son office dassesseur criminel en 1622, sans pour autant séloigner de sa ville, dont il est élu premier consul en 1626. Il est élevé à la dignité de conseiller dÉtat en 1632, mais ce titre est purement honorifique et apparaît comme lultime récompense dun vieux serviteur (il a soixante-quatre ans). La «carrière» de Scipion nest pas achevée pour autant : en 1639, il prend la présidence du présidial qui vient dêtre créé à Nérac, et, après deux ans dexercice, laisse la charge à son fils. La rupture avec le pouvoir royal nintervient quau moment de la Fronde, et nempêche pas Dupleix dexercer ses charges jusquau bout. Il meurt le 5 mars 1661, quelques jours avant la «prise du pouvoir» de Louis XIV.
Il y a en fait plusieurs vies dans cette vie, des vies concurrentes qui ne marchent pas au même rythme : celle du seigneur foncier, celle du magistrat municipal et judiciaire, celle de lauteur, celle du serviteur du roi. Plusieurs vies, où se lisent plusieurs ambitions diverses, et moins un désir dascension que de continuité, denracinement, daffirmation dune dignité personnelle et familiale. Lidée de carrière est même étrangère à la mentalité de Dupleix. Plutôt quune créature de Richelieu, Scipion Dupleix se veut magistrat et homme du roi, et surtout dun roi, Louis XIII. Tel est le lien entre ses fonctions publiques et son activité dauteur-historiographe.
Christophe Blanquie suit avec beaucoup dérudition les pérégrinations de son personnage ; il analyse finement sa pensée (chapitre XII à XIV). On regrettera cependant quil ne lui laisse pas davantage la parole, comme Françoise Hildesheimer la fait dans son Richelieu en citant généreusement les écrits du cardinal-ministre. Quelques pages de Dupleix philosophe et de Dupleix historien auraient permis au lecteur de mieux situer la figure littéraire du héros.
Cette biographie nen apporte pas moins une solide contribution à la connaissance des officiers «moyens» et des présidiaux de lancienne France, dans la lignée de travaux de Jean Nagle, de Michel Cassan, et plus récemment de Vincent Meyzie et de Christophe Blanquie lui-même.
Thierry Sarmant ( Mis en ligne le 26/03/2008 ) Imprimer
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