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''Juriste conteur''
François Ost   Shakespeare - La Comédie de la Loi
Editions Michalon - Le Bien commun 2012 /  18 € - 117.9 ffr. / 312 pages
ISBN : 978-2-84186-662-5
FORMAT : 11,8 cm × 18,7 cm

L'auteur du compte rendu : Alexis Fourmont a étudié les sciences politiques des deux côtés du Rhin.
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«Les poètes sont les hiérophantes d'une inspiration imprévue ; les miroirs des ombres gigantesques que l'avenir projette sur le présent ; les mots qui expriment ce qu'ils ne comprennent pas ; les trompettes qui sonnent la bataille et ne sentent pas ce qu'elles inspirent ; l'influence qui n'est pas mue mais qui meut. Les poètes sont les législateurs non reconnus du monde».

C’est en ces termes tout empreints de lyrisme que le poète romantique britannique Percy Bysshe Shelley expliquait naguère, dans sa Défense de la poésie, le rôle de premier ordre dévolu aux poètes au sein des sociétés humaines. Comme l’indique le professeur François Ost dans son très bel ouvrage Shakespeare. La comédie de la Loi, tel était également le cas du célèbre dramaturge et poète William Shakespeare (1564-1616), que d’aucuns tiennent pour un formidable «juriste conteur» inspirant aujourd’hui encore les juges de la Cour suprême des États-Unis d’Amérique.

Dans ce remarquable livre, François Ost s’interroge sur les multiples liens existant entre la littérature et le droit. Ceux-ci foisonnent littéralement dans l’œuvre de Shakespeare, ainsi qu’en témoignent les nombreuses études anglo-saxonnes sur ''Shakespeare and the Law''. Toutefois, précise d’emblée l’auteur, il n’est naturellement pas possible «de ramener tout Shakespeare au droit, et d’interpréter la trentaine de ses pièces seulement en termes de pouvoir, de justice, de décrets, de vengeance ou d’équité». Ainsi la clé juridique est certes essentielle et tout à fait féconde afin de saisir le sens profond du corpus shakespearien, mais, à n’en pas douter, elle n’est pas l’unique moyen d’y parvenir, tant s’en faut.

A juste titre, grand cas est fréquemment fait de l’«esprit juridique» de Shakespeare. Après tout, «l’homme océan» (Victor Hugo) n’avait-il pas choisi pour devise «non sans droit» ? Par ailleurs, d’aucuns affirment souvent que le jeune William travailla au service du greffier de Stratford. Pour d’autres, Shakespeare officia en tant que clerc de notaire. A la lecture de ses manuscrits, nombre de graphologues estiment que le dramaturge avait une écriture de juriste. Shakespeare bénéficiait de surcroît d’une bibliothèque très fournie en publications juridiques. En outre, il dut constamment ester en justice à cause d’innombrables litiges civils et pénaux devant les juridictions religieuses ou civiles, locales ou royales.

Il convient également de noter l’articulation fondamentale entre théâtre et procès, entre scène et prétoire grâce notamment aux inns of court, ces petites communautés résidentielles réunissant à la fois juristes professionnels et étudiants désireux d’apprendre le droit. A mi-chemin entre le club et l’abbaye, ces institutions constituaient l’un des centres de la vie culturelle et littéraire londonienne les plus dynamiques. S’y côtoyaient les élites les plus éduquées de l’époque, lesquelles y cultivaient l’art du raisonnement juridique et l’éloquence.

Le rapport entre ces collèges de droit et le théâtre élisabéthain était à bien des égards «consubstantiel» : en effet, explique le professeur François Ost, «un rapport de réversibilité et de fécondation réciproque s’y développe qui fait du spectacle le foyer d’une idéologie politique, et de bon nombre des pièces qui y sont jouées ou créées des laboratoires de la pensée juridique ; à l’inverse, cette norme spectaculaire, ce style et cette rhétorique théâtrales ne manquent pas d’imprégner l’exercice du pouvoir royal, autant que la pompe des tribunaux et l’imaginaire de la doctrine». Shakespeare fréquenta assidûment ces collèges de droit, dont le Gray’s Inn.

En dépit de son «esprit juridique», Shakespeare n’était en aucune façon un «philosophe du droit» à proprement parler. Ainsi que l’indique François Ost, le dramaturge britannique ne s’adressait pas prioritairement à l’intellection, mais plutôt à l’imagination de son public. «Cet imaginaire, il le nourrit de discours, d’images, de gestes, de couleurs, de musiques ; il l’emporte dans le rythme de son verbe et de l’action». Dans ses pièces, Shakespeare «expérimente, comme dans un laboratoire vivant, la validité des constructions politiques et juridiques qui s’affrontent dans la réalité» de cette Angleterre tourmentée par des mutations sociales, économiques, politiques, religieuses et juridiques de tout premier plan.

Grâce à la force du jeu, la fiction shakespearienne gagne «une réalité supplémentaire, un surcroît d’énergie, un supplément de clarté qui en accusent plus vivement les contrastes et qui en font ressortir la vérité cachée». Ce faisant, Shakespeare s’affronte aux passions politiques, il les joue de toutes les façons, il fait appel à l’imaginaire du public et il implique celui-ci dans la construction de ses montages. «Une véritable poïesis est ici au travail : la construction d’un imaginaire collectif».

Pour le professeur François Ost, l’œuvre shakespearienne met en scène cette philosophie du droit selon laquelle le droit repose non pas sur une doctrine ou sur une théorie, mais sur un imaginaire collectif compris comme «un système de représentations, un ensemble de valeurs unifié par un récit auquel le peuple accorde crédit et qui est susceptible de motiver son engagement continu». A rebours du libéralisme individualiste et utilitariste des modernes, la société est conçue comme une «communauté narrative» fondée sur un «roman politique» (Sandel) mêlant notamment poésie, théâtre et histoire.

A cet égard, rappelle l’auteur, Iain Ward a finement remarqué qu’une «constitution suppose une activité narrative et un recours à l’histoire. Dans ces termes, une constitution devrait être comprise comme étant un produit de l’imaginaire. Elle cherche à condenser en elle les mœurs politiques et juridiques d’une communauté par le simple fait qu’à la base de celle-ci se trouve un texte écrit qui, à la fois, décrit et prescrit un imaginaire juridique particulier». En ce qui concerne la Constitution anglaise, Shakespeare en serait donc l’auteur, rien de moins. Par exemple, la pièce Henry V «offre un fondement textuel à l’effort visionnaire d’un Anglais d’exception bataillant pour le Commonwealth et l’idée d’Etat-nation. Il s’agit là de la création d’une respublica d’Angleterre, nation entièrement unifiée par une grâce commune, élue par Dieu et ainsi constituée».

Si dans la perspective tracée par la ''theory of law as narrative'' William Shakespeare peut être compris comme l’un des plus éminents des «juristes conteurs», le projet juridique d’ensemble du dramaturge, son horizon politique idéal et sa vision de la justice souhaitable demeurent tout à fait insaisissables. Chaque fois qu’un point de vue est esquissé, il est mis en question lors de la scène suivante. D’où l’extrême ambivalence de l’œuvre de Shakespeare, dans laquelle il s’efforce de représenter le spectacle de l’humanité dans son infinie complexité.

Versant dans une philosophie du droit teintée d’herméneutique, François Ost combine les approches thématique et transversale. Dans des pages extrêmement érudites et savoureuses, l’universitaire belge s’intéresse notamment à la théorie des deux corps du roi, qu’il étudie à partir d’œuvres comme Richard II, Jules César, Hamlet et Le Roi Lear. S’agissant des thèmes comme les limites du droit de punir ainsi que celles de l’autonomie de la volonté et la validité des clauses pénales, l’approche est en revanche thématique. En raison de leur grande richesse, les pièces Mesure pour mesure et Le Marchand de Venise donnent lieu à une analyse transversale des notions d’équité et de pardon.


Arnaud Fourmont
( Mis en ligne le 17/07/2012 )
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