| Pierre Rosanvallon Pour une histoire conceptuelle du politique Seuil 2003 / 8 € - 52.4 ffr. / 61 pages ISBN : 2-02-057932-4 Imprimer
La Leçon inaugurale de Pierre Rosanvallon au Collège de France, professée le 28 mars 2002, est retranscrite ici intégralement. Ceci explique la brièveté de louvrage, néanmoins pourvu dune bibliographie de lauteur quasi exhaustive.
Le Collège de France, comme le rappelle lauteur dans lintroduction, est une institution sans commune mesure, «unique par sa liberté de pensée.» Il espère que cette nomination ne sera pas la conclusion de sa carrière scientifique, mais au contraire il la considère comme un «nouvel élan.» Comme tout nouveau départ, il convient de faire un état des lieux, de dresser un bilan historiographique et épistémologique dun champ détude, le politique. Les prémisses remontent aux années soixante-dix, avec la constitution dun réseau de chercheurs provenant de milieux scientifiques hétéroclites (historiens, sociologues, politologues, philosophes.) Ce courant a reçu le double héritage du renouvellement intellectuel en provenance de lEHESS suite à la crise des Annales, et des différents travaux de Raymond Aron. Lenjeu avoué est de faire de lhistoire du politique un concept globalisant, analysant la façon dont la société sinstitue historiquement dans lexpérience politique, champ détude observable plus particulièrement dans nos sociétés démocratiques «cest à dire dans celle où les conditions du vivre ensemble ne sont définies a priori, fixées par une tradition, ou imposées par une autorité.» Pierre Rosanvallon avait déjà, dans différents articles, présenté, défini, et conceptualisé cet objet spécifique. Voir notamment «Pour une histoire conceptuelle du politique» daté de 1986 paru dans la Revue de synthèse, ou «Faire lhistoire du politique» dans la revue Esprit de février 1995, ou encore son article «Le Politique» dans louvrage dirigé par Revel et Wachtel, Une école pour les sciences sociales, Paris, Le Cerf-EHESS, mars 1996. La création dune chaire dhistoire moderne et contemporaine du politique, dont Pierre Rosanvallon est le titulaire depuis 2001, consacre donc cet état de fait, et reconnaît institutionnellement son titulaire comme chef de file.
Lapproche historique du politique nest pas celle que lon peut entendre communément. Il ne sagit pas de dresser un inventaire, une typologie des pratiques politiques et de les replacer dans un espace temporel, ni de dresser une chronologie des évènements. La démarche est autre. Elle revient à considérer le politique, dans nos sociétés démocratiques, comme lessence même de la cité et sa compréhension ne peut se faire quen analysant les différentes représentations idéologiques, étymologiques, contradictoires, des groupes qui la composent, et qui se sont construites à travers des générations. «La démocratie a une histoire, mais elle est aussi une histoire». Cest une histoire réflexive que nous propose l'auteur, par une interaction permanente entre la réalité et sa représentation. Lhistoire sert ici «à faire revivre la succession des présents comme autant dexpérience qui informent le nôtre». Avec cette formule, nous pensons immédiatement à René Rémond, qui ne cesse daffirmer que la compréhension du présent est impossible à qui ignore tout du passé, et quil faut avoir conscience de ses héritages consentis ou contestés. Mais le rapprochement sarrête là, Rosanvallon sattachant, et dune façon peu cavalière, à se démarquer de lhistoire politique, en reprenant dans des termes similaires les reproches formulés en leur temps par les Annales. Cette démarche paraît inévitable, dès lors quil sagit daffirmer un courant scientifique cherchant à dépasser les autres sciences sociales tout en les utilisant.
La méthodologie, quant à elle, sarticule selon trois approches. Les objets privilégiés de lhistoire conceptuelle du politique sont les apories ou antinomies, les limites et les bords, et les déceptions que provoque une société démocratique. Le raisonnement amène à sinterroger sur les contradictions inhérentes à un problème complexe, la gestion librement consentie de la cité, malgré des composants hétérogènes. Lauteur privilégie les moments de rupture, les dérives, comme le basculement vers le totalitarisme, ou bien les contradictions de formes qui existent entre lidéal et le praticable, et son corollaire, les attentes forcément déçues que génère un tel mode de fonctionnement. De là, les problématiques et les pistes de recherches sont diverses et très intéressantes. Il sagit, entres autres, de sinterroger sur les effets du «tiers organisateurs» dans un régime ou les groupes sociaux sont censés se gouvernés eux-même ; de voir les «tensions de temporalités» qui existent entre une décision et ses effets ressentis par les intéressés. Ce qui dune autre façon revient à sinterroger sur les causes de la dissolution du politique.
Nous laurions compris, ce texte se veut être le devis dun vaste chantier dont Pierre Rosanvallon sera larchitecte.
Gérald Madérieux ( Mis en ligne le 04/02/2003 ) Imprimer | | |