| Dominique Reynié Le Vertige social-nationaliste - La gauche du Non et le référendum de 2005 La Table Ronde 2005 / 16.50 € - 108.08 ffr. / 314 pages ISBN : 2-7103-2831-3 FORMAT : 15,0cm x 22,0cm
L'auteur du compte rendu : Chercheur associé à la Bibliothèque nationale de France (2004), Thomas Roman, diplômé de Sciences-Po Paris et titulaire d'un DEA d'Histoire à l'IEP, poursuit sa recherche en doctorat, sur les rapports entre jeunesse et nationalisme en France à la "Belle Epoque". Il est le responsable de la section "Histoire & sciences sociales" de Parutions.com. Imprimer
Linsécurité soit-elle sociale, économique ou purement psychologique mobilisant aujourdhui les masses comme le socialisme hier, doit-on sétonner de ce que daguerris animaux politiques sen soient emparés sans vergogne et, en fait, avec une superbe fidélité à eux-mêmes ? Socialiste en 1980, plus libéral que jamais autour de 2000, Laurent Fabius ne pouvait-il que dangereusement flirter en 2005 avec lhydre nationaliste ?
Cest à ce superbe Phénix du Vote et à la famille politique disparate à laquelle il appartient aujourdhui, cette Gauche du Non, que Dominique Reynié, européen quon comprend convaincu et, donc, amèrement déçu, consacre la présente étude. Ici, lexpertise du politiste, professeur des Universités à Sciences-Po Paris, est mise au service dune démonstration brillante, convaincante, certes partisane mais de froide raison.
Lanalyse politique à la fois des scrutins et des campagnes qui les ont induits avril 2002, mai 2005, mais aussi 1992 et Maastricht -, de lhistoire politique du vingtième siècle français et de la dernière décennie dans le monde (chute du communisme, progrès spectaculaires de la construction européenne avant le coup darrêt du printemps dernier), permettent une magnifique mise au jour des mécanismes de la crise politique actuelle. Dominique Reynié, daccord avec dautres, les résume dans limage de la «pente fatale» (titre de la première des trois parties de lessai) : du social au national, lhistoire la souvent montré, le glissement est facile : «Pour la gauche du Non, les acquis sociaux sont devenus des acquis nationaux» (p.121) Les différentes branches de cette gauche du refus ont beau se laver les mains des implications xénophobes de leurs discours, le fait est là : il sagit de discours xénophobes et lauteur en apporte la preuve, maintes citations à lappui. Autour de thèmes également mobilisateurs lantilibéralisme, lexaltation de lEtat et la peur des «hordes» venues de lEst -, altermondialistes, socialistes dissidents, trotskystes et communistes, quelques écologistes aussi, ont tendu, pour certains, malgré eux, la main aux tribuns de la droite radicale, souverainistes ou franchement nationalistes.
Le processus, pour la gauche gouvernementale, est connu : sanctionné en 2002 pour une politique jugée trop libérale, le Parti Socialiste a connu une déroute et un difficile repositionnement idéologique. Cette déroute, peut-être aggravée par labsence de la poigne mitterrandienne qui aurait pu resserrer les rangs du parti, a favorisé les dissidences et le marasme politique. Alors quil devenait difficile, après la chute des murs, de contester léconomie de marché sans être mis politiquement à la marge, les dissidents socialistes ont par ailleurs profité et se sont laissés aimanter par le succès croissant des thèmes altermondialistes depuis dix ans, qui, sans effets réels dans un scrutin électoral, ont trouvé dans ce référendum loccasion dune force de frappe. Bien plus, celle-ci sest renforcée en retour par le compagnonnage inespéré dun Laurent Fabius qui a donné toute leur légitimité à ces discours, en tant quhomme politique éminent et européen convaincu. Et dune ellipse, Dominique Reynié explique ce retournement fabiusien par le souci des échéances électorales (p.154)
Triste CQFD.
On sourit jaune par la force du contraste que lauteur révèle ou rappelle, entre lenthousiaste engagement européen de Fabius ou Emmanuelli en 1992, et leur hargne contre le TCE treize ans plus tard. La cause de ce revirement est à chercher aussi dans la peur de lEst et linstrumentalisation politique de langoisse en général, fondée ou non, chez les électeurs. Certains le trouveront tiré par les cheveux, mais le développement que Dominique Reynié consacre à laffaire Bolkestein est des plus pertinents. Qui ignore limpact dun nom ou dune image en politique ? Le refus de ce nom en plus du projet de directive quil résume, le thème de Dracula et lantisémitisme que toute période de «crise» ne manque pas de réveiller, sont ici évoqués à juste titre : «Marché-Golem, Frankenstein financier, adoration du veau dor moderne, religion des taux dintérêts : voilà lEurope quon nous sert» (p.117) Et lauteur dajouter, pour une directive qui na jamais fait partie du TCE : «Lutilisation par le camp du Non du projet de directive sur la libéralisation des services construit une représentation particulièrement anxiogène de limmigration comme de lélargissement et suscite, au sens propre, le sentiment de xénophobie» (p.208).
Certes, en grossissant le trait sur les séquelles xénophobes des engagements suspects dune certaine frange de la gauche gouvernementale, lauteur, peut-être, fait oublier les inquiétudes proprement sociales et légitimes dune autre partie de la gauche, voire celles incluses dans ces discours mêmes. Certes, le traitement souvent suspect de ces mêmes thèmes par les médias aurait mérité un plus ample développement ; car la force de frappe est, indéniablement, là aussi. Mais le lecteur ne sera pas dupe.
Car il ne sagit pas ici de taxer Laurent Fabius et dautres de racisme mais de montrer les graves implications de lutilisation de ces discours et références appuyés, tout comme la façon dont ceux-ci sont perçus et intégrés par les électeurs. Ici, il nest pas seulement question de la «sanctuarisation du modèle social français» (p.293), dévoiement dun nationalisme jadis universaliste, aujourdhui recroquevillé sur ses frontières, mais dune utilisation préjudiciable et malhonnête de la figure de lautre. Telle est «la posture de lopposant» (p.162), ici esquissée de façon percutante et informée.
Thomas Roman ( Mis en ligne le 14/12/2005 ) Imprimer
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