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Le retour de la deuxième gauche ? | | | Michel Rocard Georges-Marc Benamou Si la gauche savait - Entretiens avec Georges-Marc Benamou Robert Laffont 2005 / 20 € - 131 ffr. / 372 pages ISBN : 2-221-10435-8 FORMAT : 15,5cm x 24,0cm Imprimer
Cétait un face à face attendu : dun côté, Michel Rocard, ancien premier ministre, ancien secrétaire national du PSU, ancien premier secrétaire du PS, ancien sparing partner de François Mitterrand, ancien espoir de la gauche, député européen et (au vu du prestige relatif de cette assemblée au sein des partis nationaux) quasi retraité de la politique, prêt à entrer dans lHistoire. Face à lui, Georges Marc Benamou, héros de cinéma avec Le Promeneur du champ de Mars, mais surtout lun des journalistes politiques les plus inspirés de la place. Après avoir observé Mitterrand, lavoir accompagné, enquêté sur lui, après avoir revisité le passé algérien et la résistance, après sêtre fait une spécialité de la question gênante, il fallait bien quil sattaque à lautre face de la gauche, la pragmatique. Mi-candide, mi-critique, G.-M. Benamou ne craint pas de poser des questions parfois rudes (et les réponses ne sont pas toujours lénifiantes, même si lon peut imaginer que sur certains personnages et certains épisodes, Rocard se retient) et de revenir sur les épisodes dune carrière riche en rebondissements (lAlgérie, mai 68, lélection de François Mitterrand en 1981, Matignon, la direction du PS, les européennes, le gouvernement Jospin et léviction des éléphants
).
Passant dun père à la fois brillant (à deux doigts du Nobel de physique) et assez raide (tyrannique même : hors de la science, point de salut et surtout pas dans la politique) à lENA et linspection des finances, via une trajectoire classique (scoutisme et Sciences-po), Michel Rocard est au diapason de ce milieu politique né dans laprès guerre, formé dans lassociationnisme chrétien et entré en politique après divers déclics (le Vietnam, Mendès France
). Bref, un homme de son temps, formé, comme toute une génération, par la guerre dAlgérie, la France gaullienne et mai 68. Né à la politique durant ses études à Sciences-po, via les Etudiants socialistes puis lUNEF et un contremaître vétéran dEspagne, on le croise très tôt dans laction : face à un jeune Le Pen, ténor de la corpo de droit, face à lAlgérie des centurions ou surfant sur la vague gauchiste et lesprit de mai (68). Et cest lun des points dintérêt de louvrage : la visite guidée au cur de la nébuleuse gauchiste soixante-huitarde. Reprenant en détail laventure du PSA et surtout du PSU, M. Rocard tire un bilan «globalement positif» de cette structure originale, plus école de formation que formation politique, main tendue aux démocrates-chrétiens, auberge espagnole «bordélique» (sic) pour une génération que Guy Mollet ne fait pas rêver, une «guerre infernale» (re-sic) qui sachève en 1974, au départ vers le PS (et une autre guerre, plus larvée, plus froide
et plus longue).
Si il ne sétend guère sur ses passages au pouvoir (à lexception de Matignon et avant, du ministère de lagriculture, quil affectionne tout particulièrement comme grand ministère et, à le lire, la démonstration est, de fait, convaincante), M. Rocard dévoile, avec un bonheur gourmand, les rituels au temps de F. Mitterrand, les entrevues, les manuvres diverses, la système de cours érigé par un disciple avoué de Machiavel. Ainsi, le déjeuner où lancien président annonce à M. Rocard son investiture comme premier ministre vaut bien le célébrissime dîner dortolans qui introduisait Le Dernier Mitterrand. De même, la formation du gouvernement Rocard, résultat dun affrontement plutôt que dune concertation avec Mitterrand, monarchiste impénitent. Il y a là, dans le plaisir de la narration et lappétit de G.-M. Benamou à revenir sur ce type danecdotes éclairantes, il est vrai, concernant lambiance à lElysée une contribution substantielle à lhistoire des rituels et représentations politiques en régime républicain et présidentiel, après beaucoup dautres témoignages, il est vrai. Car Mitterrand est bien évidemment la statue du commandeur qui domine ces entretiens : la relation Mitterrand-Rocard est une énigme, un lieu de mémoire de la «politique politicienne», un duel mythique entre deux visions du monde et du jeu politique. Doù vient la brouille ? M. Rocard hésite (affecte dhésiter ?) et évoque un conflit instrumentalisé, avec ses phases de rupture et dalliance objective (comme aux présidentielles de 1969)
Mais il y a des étapes, des déchirures : est-ce le refus du PSA (dont il nest que militant) daccepter ladhésion mitterrandienne en 1959 ? Est-ce le «oui, mais» de lamendement Servet (pseudo de Rocard au PSU) concernant la candidature Mitterrand lors de la présidentielle de 1965 ? Est-ce les critiques de lancien inspecteur des finances Rocard atterré par lindigence des conceptions économiques du PS en 1976 ?
Ainsi, cet ouvrage est avant tout un bilan, celui dun homme qui défend une certaine conception de la gauche (pragmatique et idéaliste à la fois), non sans lyrisme (on lui aura pourtant assez reproché sa raideur et son manque de charisme télévisuel) mais avec le sentiment déprimant des réformes en souffrances et autres occasions manquées (notamment la période 1981-1983, au plus fort de lirréalisme économique de la gauche, ou encore la conquête à risque du PS en 1993) nuancé par quelques succès. Certes, il faut considérer lensemble dun regard critique : les risques de reconstruction a posteriori font partie du jeu. Mais tel quel, on peut aussi trouver dans ces entretiens un premier regard historique sur le PS, et une première explication à lindiscutable crise quil traverse aujourdhui, faute dun aggiornamento comparable aux partis anglais, allemand ou italien. Homme de lInternationale, M. Rocard souligne dailleurs le poids parfois écrasant du complexe obsidional dans la formulation dune pensée qui gagnerait en efficacité à se tourner vers lextérieur. Un bilan de la deuxième gauche donc, assorti de quelques tirs de mortiers (contre Chevènement en porte-flingue nationaliste égaré au PS, contre Fabius, en fils prodigue de la mitterrandie qui entend bien liquider la concurrence
). Du reste, cest M. Rocard qui a évoqué les «4 morts» du parti socialiste (il sen explique dailleurs, en nuançant cette vision). Un portrait des «rocardiens» (une famille ? une culture ? une alliance ?
le sujet nest pas clos) également, avec, en toile de fond, la définition du rocardisme : une gauche de la main tendue, jauressienne plutôt que guesdiste et méfiante envers les idéologues, une gauche dexperts formés dans la haute fonction publique pour une vision quasiment saint-simonienne de lexercice du pouvoir (naissance de lénarque de gauche), une gauche traumatisée par les entrechats et reculades de Mendès
Le «plan B» de la gauche ?
Louvrage est au final stimulant, comme une grande leçon dhistoire des gauches, et passionnant comme une conversation en sympathie : les entretiens sont dautant mieux menés quentre les deux hommes, il ny a pas eu de faux semblants, Michel Rocard sadressant autant au biographe de Mitterrand (à cet égard, la relation entre intervieweur et interviewé va bien au delà du simple entretien, comme la connivence entre les deux maîtresses abandonnées par le même séducteur) quau journaliste politique. Peut-être manque-t-il quelques visages, comme celui de Jacques Chirac, un peu absent
Le résultat est toutefois assez saisissant, en ce quil invite à reconsidérer certains moments à la lumière dune conscience politique (et lombre ou le modèle de Mendès France nest jamais très loin non plus). De fait, le titre Si la gauche savait est excellemment choisi : mais la gauche veut-elle vraiment «savoir» ? Ne dit-on pas «protégez-moi de mes amis, quant à mes ennemis, je men charge» ? La lecture simpose
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 27/03/2006 ) Imprimer
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