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Histoire & Sciences sociales -> Science Politique |
| Alain Laurent Le Libéralisme américain - Histoire d'un détournement Les Belles Lettres 2006 / 21 € - 137.55 ffr. / 271 pages ISBN : 2-251-44302-9 FORMAT : 13,5cm x 21,0cm
L'auteur du compte rendu : Mathieu Zagrodzki est diplômé en droit privé de lUniversité Paris II et de Sciences Po Paris. Il est actuellement doctorant au sein du Pôle Action Publique du Centre de Recherches Politiques de Sciences Po (CEVIPOF). Imprimer
Il y a des termes que lon entend à tout bout de champ dans la bouche des hommes politiques, des journalistes ou encore des intellectuels en France. Le libéralisme est de ceux-là. Parfois évoqué comme un remède aux maux économiques et sociaux contemporains, plus souvent décrié, presque toujours accompagné des adjectifs «ultra», «néo» ou «sauvage», il déchaîne les passions, à tel point quon en oublie ce quil est réellement et doù il vient. Dautant plus quun élément vient brouiller la définition du concept : le libéralisme recouvre des idées diamétralement opposées selon que lon se trouve dans le monde anglo-saxon ou en Europe continentale. Cest à travers létude du liberalism américain quAlain Laurent nous propose de visiter, ou de revisiter, ce pan essentiel de lhistoire des idées, de la philosophie politique et de léconomie.
Quest-ce que le libéralisme ? Pour Alain Laurent, la réponse est simple : il sagit dun corpus didées défendues par des penseurs comme Tocqueville, Bastiat ou Constant, cest-à-dire un Etat limité, la liberté individuelle, le droit de propriété et léconomie de laisser-faire. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes philosophiques si un paradoxe nétait pas venu compliquer les choses à partir de la fin du XIXe siècle. En effet, alors que le libéralisme traditionnel reste solidement ancré en Europe continentale, grâce à Emile Faguet et Yves Guyot en France, Piero Gobetti en Italie, ou encore Franz Oppenheimer en Allemagne, une nouvelle espèce de «libéraux» apparaît en Angleterre et aux Etats-Unis. Constatant les injustices sociales engendrées par un libéralisme classique (qualifié de old liberalism) qui na pas tenu ses promesses dégale liberté pour tous, des figures intellectuelles comme Thomas Green et Leonard Hobhouse outre-Manche et John Dewey outre-Atlantique appellent de leurs voeux un new ou modern liberalism, destiné à corriger les imperfections du modèle originel. Et en quoi consiste ce libéralisme dun genre nouveau ? Principalement en une intervention énergique dans les sphères économique et sociale dun Etat Providence devenu le garant de la justice sociale, soit lopposé diamétral des recettes du libéralisme individualiste et laisser-fairiste. Ainsi, ce sont les deux pays en principe les plus ouverts à la liberté individuelle et au capitalisme qui voient lapparition du liberalism, «imposteur» proche de la social-démocratie européenne voire du socialisme modéré, qui dominera la scène intellectuelle américaine pendant plusieurs décennies.
Le old liberalism na pourtant pas dit son dernier mot aux Etats-Unis, et ce sont des intellectuels souvent dorigine européenne, comme les Autrichiens Ludwig von Mises et Friedrich Hayek, qui enclenchent la contre-attaque dite «néolibérale», qui nest en fait quune remise à lordre du jour des idéaux dun libéralisme classique favorable aux droits individuels et hostile à linterventionnisme étatique. Dans cette partie, qui est probablement la plus intéressante du livre, Alain Laurent explore la bataille didées menée contre les liberals par des courants de pensée aussi riches que variés : les monétaristes, dont Milton Friedman est le chef de file, les libertariens, partisans dun Etat minimum comme Ayn Rand, les anarcho-capitalistes favorables à la privatisation de toutes les fonctions étatiques, à linstar de Murray Rothbard, la National Review de William Buckley ou encore les néo-conservateurs, anciens liberals et gauchistes passés à droite. Cette «guerre» pour la réhabilitation du libéralisme dans son acception première (même si ses acteurs ont dû, comme on la vu, adopter des appellations différentes, les liberals sétant appropriés le terme pour de bon aux Etats-Unis) illustre à quel point la bataille des idées est fondamentale dans toute compétition électorale : ce sont en effet ces «soldats» du libéralisme classique qui ont préparé le terrain pour lavènement de Ronald Reagan.
Au final, Alain Laurent démontre dans cette dénonciation de lusurpation terminologique que constitue le liberalism américain limportance des mots en science politique. La confusion en France entre liberalism et libéralisme mène par exemple au genre de contresens qui fait dun John Rawls, liberal au sens américain, le représentant du libéralisme individualiste classique
Mais au fond, les deux traditions ne seraient-elles pas compatibles au sein dune synthèse que lon pourrait qualifier de socialiste libérale ? Non, répond lauteur, car le libéralisme et le socialisme «représentent deux solutions économiques et deux modèles de société en grande partie antinomiques et, partant, inconciliables», lattachement à la liberté politique que partagent libéraux classiques et sociaux-démocrates ne suffisant pas à en faire un courant politique cohérent. Voilà qui a le mérite dêtre clair !
Mathieu Zagrodzki ( Mis en ligne le 02/09/2006 ) Imprimer
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