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L'utopie laïque
Catherine Kintzler   Qu'est-ce que la laïcité ?
Vrin - Chemins philosophiques 2007 /  7.50 € - 49.13 ffr. / 128 pages
ISBN : 2-7116-1876-5
FORMAT : 11,5cm x 18,0cm

L'auteur du compte rendu : Laurent Fedi, ancien normalien, agrégé de philosophie et docteur de la Sorbonne, est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la philosophie française du XIXe siècle, parmi lesquels Le problème de la connaissance dans la philosophie de Charles Renouvier (L'Harmattan, 1998) ou Comte (Les Belles Lettres, 2000).
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Universitaire, professeur de philosophie, C. Kintzler a déjà consacré plusieurs publications à la laïcité et à Condorcet. Elle signe ici un livre «de maturité» sur un sujet très actuel, qu’on recommandera en particulier aux étudiants et aux professeurs intéressés par les conditions «philosophiques» de leur métier. Dans ce petit livre dense, mais fort accessible, elle montre que la laïcité est un concept philosophique qui a sa place parmi les concepts-clefs de la philosophie politique.

A la différence de la tolérance, qui postule que la loi ne doit pas s’occuper de tout, mais peut admettre dans le même temps la possibilité d’une religion d’Etat, la laïcité repose, elle, sur le choix de la non-croyance, la suspension de la foi, comme base de l’association politique, d’une association qui ne doit plus rien, du coup, à l’appartenance communautaire, ni même au lien social, mais repose sur le pouvoir critique et rationnel d’individus singuliers et libres. La «déduction» opérée dans la première partie du livre obéit à une démarche de type kantien. Tandis qu’une société tolérante se borne à harmoniser les différentes composantes majoritaires et minoritaires, «la laïcité raisonne au-delà de la prise en compte des forces existantes» (p.21). L’abstention absolue de la puissance publique en matière de croyance et l’exclusion des communautés de la formation de la loi sont les deux versants d’un Etat laïque où la laïcité est un espace a priori de possibilité, une condition quasi-transcendantale de la sphère publique. D’où son caractère de fiction, son manque de réalisme diraient ceux qui réclament une laïcité plus «ouverte», plus «tolérante»… C. Kintzler passe en revue différentes figures actuelles, comme celle de l’intégriste laïque (le «laïcard» souvent attaqué de nos jours) qui voudrait étendre le principe de réserve des fonctionnaires à l’ensemble de la société civile.

La question de la loi de 2004 interdisant le port des signes ostensibles à l’école publique est abordée. L’école publique n’est pas un service comme un autre, un espace de simple jouissance du droit, mais un lieu de formation du sujet, tel qu’il soit nécessaire de passer par certaines obligations ; car il y a des conditions non spontanées de constitution de la liberté. L’interdiction des manifestations religieuses en est une. Cette thèse est étayée par un argumentaire poussé sur les différentes formes du doute : fluctuation, relativisme ou esprit critique. La tolérance, dans sa forme vague, peut être la porte ouverte à n’importe quoi. Les humanités correspondent en revanche à une position ferme : celle d’une pensée qui se saisit elle-même comme condition de production de ses objets. L’identité du sujet prime sur l’identité collective. L’introduction (en 2002) de l’enseignement du fait religieux remet-elle en cause ce dispositif – cartésien, kantien, humaniste - d’écart ? C. Kintzler le pense parce qu’elle y voit un retour en force du lien comme nécessité anthropologique et politique, le signe inquiétant d’une acceptation non critique de l’universalité des appartenances comme données sociales incontournables. «A célébrer ainsi le fait religieux comme fait social total affectant les mentalités collectives, à accorder la primauté à l’existence des communautés, on invite et on accoutume chacun à s’y inscrire» (p.65).

Cette suspicion de la part de l’auteur nous paraît sans fondement et ressemble à un procès d’intention (l’absence de référence, y compris au rapport Debray, en est peut-être un indice). On pourrait aussi bien dire que le «fait religieux» correspond à une objectivation de la religion qui devient par ce biais un objet d’études, de savoir, de compétence rationnelle et critique. Dans la pratique, l’Education nationale n’a fait que remettre en circulation des repères historiques indispensables à une jeunesse dramatiquement coupée de toute compréhension de la culture et du monde contemporain et victime parfois de préjugés générateurs de violence. Par conséquent, si l’argument de C. Kintzler est recevable au plan spéculatif, il nous paraît peu crédible au plan concret de la pédagogie.

La deuxième partie est consacrée à des commentaires de textes (Locke et Condorcet). Dans une philosophie de la tolérance comme celle de Locke, l’Etat s’occupe des choses nécessaires à la sauvegarde des biens civils. Bayle fait un pas de plus, il insiste sur la compatibilité de l’athéisme avec la société civile, il pense que l’athée est plus sensible qu’un autre à l’autorité des lois. Reste que la laïcité n’est pas constituée chez ces philosophes comme un principe politique fondateur : c’est plutôt un résultat auquel on aboutit une fois qu’on a dressé la liste de ce que l’Etat doit tolérer. Il en va autrement avec Condorcet chez qui C. Kintzler décèle une authentique pensée de la laïcité (bien que le terme lui soit postérieur), une pensée qui rompt en effet avec le modèle du contrat : «la théorie politique de Condorcet est avant tout une théorie de la souveraineté individuelle» (p.107). L’individu n’a aucune raison de faire confiance, de croire sur parole : car seul le vrai a valeur d’autorité et il n’existe pas de critère absolu du vrai ; dans ces conditions l’Etat devra faire le maximum pour armer les citoyens contre l’erreur. Tel est au fond le rôle de l’école publique. Tel est aussi le rôle de la loi qui est là pour protéger l’instruction, pour écarter les pouvoirs, toujours suspects, autrement dit pour garantir l’indépendance de chacun. La croyance n’a plus cours : sur ce point C. Kintzler a bien raison de signaler, au passage, que Condorcet est allé plus loin que les Ferdinand Buisson et les Jules Barni, encore attachés à la foi (sous la forme par exemple d’une foi «laïque», «spiritualiste»).

Il y aurait là, pour d’autres chercheurs, un point d’histoire des idées à exploiter, en dirigeant le projecteur vers le spiritualisme mais aussi vers la religion positiviste de Comte et son «culte de l’Humanité» encore célèbre à l’époque du solidarisme de Léon Bourgeois et du socialisme de Jaurès. C. Kintlzer tire du commentaire de Condorcet une conclusion sur le lien politique qui résume l’ensemble de son livre : ce lien qui unit les hommes sous la condition de leur singularité est une opération qui fait l’économie des origines et vaut par elle-même. A la lecture d’une analyse du concept menée dans toute sa radicalité, on se demande si la laïcité n’est pas tout simplement utopique.


Laurent Fedi
( Mis en ligne le 28/02/2007 )
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