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Histoire & Sciences sociales  ->  Sociologie / Economie  
 

Où en est l’ambition sociologique ?
Alain Caillé    Collectif   Une théorie sociologique générale est-elle pensable? - Revue du MAUSS N° 24
La Découverte 2004 /  30 € - 196.5 ffr. / 473 pages
ISBN : 2-7071-4463-0
FORMAT : 14x23 cm

L'auteur du compte rendu: Guy Dreux est professeur certifié de Sciences Economiques et Sociales au lycée Michelet de Vanves (92). Il est titulaire d'un DEA de sciences politiques sur le retour de l'URSS d'André Gide.
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L’ouvrage publié par le MAUSS présente les actes d’un colloque international organisé par Alain Caillé et Stéphane Dufoix. A tous les intervenants, une trentaine de représentants prestigieux de la sociologie, il avait été adressé un questionnaire proposant une question centrale : «L’idée d’une théorie sociologique générale a-t-elle encore un sens aujourd’hui ?».

L’interrogation a le mérite de poser clairement la question du rapport entre la sociologie contemporaine et ce qu’il est convenu d’appeler la sociologie classique (pour l’essentiel, celle du XIXe siècle). Quelle est l’unité des sociologies classiques ? Faut-il s’inscrire dans l’héritage de ces sociologies ou rompre avec elles ? Quel est le panorama des sociologies contemporaines ? Présentent-elles une unité ? Quel rapport existe-t-il entre la sociologie et l’idée de société ? L’affaiblissement de l’Etat-nation et la mondialisation compromettent-ils l’identité même de cette discipline ? Autant de façons de décliner une même interrogation sur l’ambition sociologique d’aujourd’hui.

Chaque auteur est donc amené à préciser ce qui pour lui est au cœur du projet sociologique, ce qui le rend possible et les méthodes qui lui semblent les plus appropriées. Si les différentes contributions sont cohérentes (et, pour les lecteurs avisés, attendues) avec les orientations de recherche de leurs auteurs, elles offrent un panorama fort intéressant des différentes conceptions de la discipline. Elles vérifient en quelque sorte ce que Raymond Aron, cité par Alain Caillé, en disait : «La seule chose sur laquelle les sociologues sont d’accord, c’est sur le fait qu’ils sont en désaccord sur ce qu’est la sociologie» (p.271). Les sceptiques y verront le signe de la faiblesse d’une discipline mal assurée, les autres celui de développements et de controverses encore vivants.

Pour Alain Touraine, par exemple, le projet sociologique naît d’une configuration historique particulière, caractérisé par l’avènement des Etats-nation et des sociétés, qui tend à disparaître. Affirmant que les individus se définissent de plus en plus comme des acteurs culturels (et de moins à partir de «situations ou d’évaluations objectives, économiques ou autres»), que «la «société» n’est plus un produit de l’organisation économique» (p.55), la sociologie en sort terriblement transformée. Pour cet auteur, son unité ne réside plus que dans «la recherche des acteurs» (p.58). Cette démarche est censée nous «débarrasser du pessimisme extrême qui ne voit que des victimes là où il faut découvrir des acteurs» (p.61).

Plus sobrement, si l’on ose dire, Raymond Boudon profite de l’occasion pour rappeler que seul l’individualisme méthodologique, plus ou moins séparé de la théorie des choix rationnels, est susceptible de poursuivre une démarche de recherche réellement scientifique. Laurent Thévenot, dans la perspective de ses travaux avec Luc Boltanski, défend l’idée d’une indispensable pluralité des approches pour comprendre non pas tant «l’être humain ou même l’acteur humain», mais «les artifices façonnés par les êtres humains pour équiper leur vie ensemble» (p.126). Pour Jean Baechler, la sociologie ne peut être conçue qu’en relation avec l’histoire et la philosophie, trois domaines qui, selon lui, sont plus des disciplines que des sciences (p.147). Ce ne sont là que quelques exemples.

Mais on l’aura compris, les uns se réjouissent, les autres regrettent le fait qu’une théorie générale ne soit plus au cœur des développements de la sociologie. D’autres enfin (François Dubet ou Alain Caillé, par exemple) proposent quelques pistes pour que les travaux contemporains s’inscrivent dans une perspective générale. Mais l’impression est bien celle d’un empire éclaté. Alors qu’elle avait pour ses fondateurs (Auguste Comte en premier lieu, inventeur du mot), la grande ambition de constituer la science sociale, tous les auteurs s’accordent sur le fait que la sociologie contemporaine se caractérise par une extrême spécialisation des champs de recherches qui confinent parfois au cloisonnement.

François Dubet est sur ce point des plus sévères lorsqu’il évoque le «triomphe pratique» de l’interactionnisme, qui s’explique selon lui par le fait que c’est là un cadre théorique qui permet le plus proprement une véritable routine de recherche. L’écrasante majorité de la production sociologique actuelle repose, écrit-il, sur une professionnalisation et une spécialisation outrancières quand elle n’est pas plus simplement le résultat de stratégies de carrière. «Chaque sociologie spécialisée [de la famille, de l’école, des professions,…] recompose sa propre tradition et sa propre dramaturgie paisible, signant ainsi un éclatement de la sociologie qui correspond assez bien à la demande sociale et académique» (p.225).

Si la plupart des intervenants constatent, pour le regretter ou s’en féliciter, l’éclatement de la discipline et finalement un lent mais certain abandon des plus hautes ambitions théoriques, il reste à en expliquer les causes profondes. Certes, des phénomènes aussi massifs que la mondialisation et l’affaiblissement des Etats-nations compliquent sensiblement les processus de définition des identités sociales. Mais au delà de l’apparente nouveauté de ces phénomènes, il se pourrait bien qu’ils rendent plus nécessaire encore la re-lecture des classiques.

C’était tout le sens de la conclusion du livre important de Christian Laval, L’ambition sociologique (La Découverte, 2002), pour qui notre époque «répète certaines phases critiques précédentes marquées par une déstabilisation des cadres sociaux sous la poussée du capitalisme et des phénomènes d’individualisation». Et c’est parce que les «pères fondateurs» ont été confrontés à ces problématiques fondatrices que «les problèmes qui se posent aujourd’hui à toute théorie de la société moderne ont les plus étroits rapports avec ceux qu’ont dû affronter les sociologies classiques» (op. cit., p.469).

Dans cette perspective, il conviendrait donc d’analyser sociologiquement comment le champ de la recherche lui-même (instituts de recherche, universités, etc.) s’est en quelque sorte converti à cet abandon. Comment l’ambition fondatrice portée sur des théories générales a pu peu à peu (de plus en plus ?) laisser la place à un empirisme par certains aspects mortifère. Faire une sociologie de ces nouveaux avatars de l'Homo Academicus ne serait pas simplement concéder à une simple démarche réflexive. Cela pourrait avoir une portée beaucoup plus générale.


Guy Dreux
( Mis en ligne le 24/01/2005 )
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