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Histoire & Sciences sociales -> Sociologie / Economie |
| David Mangin La Ville franchisée - Formes et structures de la ville contemporaine Editions de La Villette 2004 / 35 € - 229.25 ffr. / 398 pages ISBN : 2-903539-75-8 FORMAT : 17x21 cm
L'auteur du compte rendu : Emmanuel Cros étudie larchitecture au Bauhaus de Weimar en Allemagne. Imprimer
Architecte-urbaniste, David Mangin est lauteur de ce livre didactique, empreint de lintention pédagogique dun professionnel expérimenté qui est aussi professeur. Il sest fait largement connaître récemment comme lauréat au sein de léquipe SEURA de la consultation internationale pour le réaménagement du quartier des Halles à Paris. Son projet discuté, faute davoir convaincu ses pairs qui reprochent à ce choix un manque dambition pour un lieu qui devrait afficher lenvergure de la capitale dans la compétition des métropoles, tire sa légitimité du soutien majoritaire quil a reçu lors de la consultation publique organisée par la ville à cette occasion.
Cet ouvrage durbanisme est paru aux Editions de la Villette. Celles-ci, fondées à Paris en lécole darchitecture du même nom, sont riches de nombreux titres, issus de plusieurs écoles darchitecture françaises. Voici une parution qui, par sa maquette inédite, semble ouvrir une nouvelle série consacrée à des études thématiques approfondies.
Lauteur sattache à expliquer les développements urbains qui produisent la ville contemporaine, en France en particulier. David Mangin part du constat quil nexiste pas de description des structures de la ville, mais seulement des interprétations. Il tente donc ici dans une visée scientifique de décrire avant pour mieux analyser ensuite. «A chaque époque de la croissance urbaine son problème théorique», note lauteur (p.321) qui décompose les évolutions des phénomènes urbains en phases successives caractéristiques. «Sur le plan urbanistique, une chronologie apparaît (1950 et lautomobile, 1960 et les infrastructures, lurbanisme commercial en 1970, la maison individuelle en 1980), soulignant le désengagement progressif de lEtat et des communes.» (p.190) Il en donne une description morphologique et typologique informée des particularités idéologiques des périodes où elles sont apparues.
Le style de lauteur rend le sujet accessible au plus grand nombre. Lécriture en chapitres courts et distincts, dont les thèmes se recoupent, assure à louvrage un «usage» pratique évident. Parce que ce livre est aussi un manuel, on peut regretter quil lui manque un glossaire ou un index qui regrouperaient les termes spécifiques et les sigles qui sont définis au fil de leur apparition dans le texte. Lintégralité de cette étude est rendue par des schémas à main levée, en couleurs, qui éclairent habilement le propos.
David Mangin use dexemples sans excès dexotisme, de gigantisme troublant et diconographie spectaculaire et massive sur les incroyables phénomènes urbains planétaires. Il sait que des mutations urbaines denvergure se produisent aussi en France, souvent avec plus de force quon ne lenvisage, et les révèle au fil des pages.
Lincohérence territoriale de la France, dun paysage «obligé» par la voiture ou paradoxalement «8% seulement du territoire français est urbanisé» fait lobjet dune observation documentée. David Mangin montre que lépanouissement urbain nest pas synonyme détalement urbain, et quil est dangereux de consommer des étendues sans compter. Dans ce paysage artificiel, «lurbanisme de secteur a supplanté lurbanisme de tracé» (p.67) : des environnements contrôlés, de moins en moins publics et gratuits apparaissent, sans liens alentours. La ségrégation urbaine sinstalle dans les visions et les pratiques sécuritaires de laménagement ; comme la ségrégation résidentielle par exemple saffiche dès la carte scolaire. Peurs et communautarismes créent des espacements et des effets denclave ou sopère une privatisation progressive et sélective de lespace public. Des «paysages urbains disqualifiés» résultent dun abandon généralisé, symptomatique du rôle diminuant de lEtat quand nombre des missions de services publics sont aujourdhui confiées à des acteurs privés du domaine public. David Mangin note avec pertinence à ce sujet : «Dans la ville individuée, lautorité publique, largement démissionnaire face à sa responsabilité au regard de la continuité de lespace public, compense en revanche avec larchitecture des maisons, là justement où elle devrait accorder davantage de libertés.» (p.187).
Face à «la privatopia en marche, lautopia installée, le-topia fantasmée et lutopia marchandisée» (p.236), David Mangin propose le scénario alternatif de «lurbanisme du possible» (p.319). Il y développe le concept de la «ville passante», fondé sur une moindre dépendance automobile, une forte hétérogénéité des architectures, une véritable diversité dusages et un espace public gratuit accessible à tous. Son programme «(
) consiste à réconcilier la ville avec elle-même, à penser que développement durable et développement urbain sont indissociables.» (p.345). Néanmoins il redoute le «nouveau fonctionnalisme, habillé du vert de lécologie et du principe de précaution (
) qui risque de fossiliser les centres-ville, tout comme de rendre mort-nées les périphéries». (pp.332 et 333). Il engage ainsi à repenser les tracés à léchelle territoriale pour établir une cohérence au-delà du projet urbain, à densifier lhabitat individuel surtout afin de diminuer la dépendance automobile, à permettre une création darchitectures et de paysages plus diverse et évolutive, hétérogène.
Mais «dans lEurope daujourdhui, la division idéologique et professionnelle du travail est devenue radicale : les infrastructures aux ingénieurs, les produits, les typologies et les terrains aux promoteurs, les délaissés de voiries aux paysagistes, la façade aux architectes.» (p.67) Lon pourrait sur cette sentence sinterroger à propos du projet à Paris de David Mangin pour les Halles (Cf. pp.326-327). Larchitecte ne sest-il pas tenu là dans un rôle darrangeur, misant sur une image architecturale flatteuse une étendue végétale et un auvent pour emporter par consensus un concours où dautres concepteurs élargissaient leur action au-delà dun signal, dune enseigne, à un concept global pour un centre infrastructurel, commercial et jusqualors souterrain au cur de la capitale, libre de passage pour le plus grand nombre ?
Emmanuel Cros ( Mis en ligne le 11/09/2005 ) Imprimer
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