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Histoire & Sciences sociales -> Sociologie / Economie |
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Une peste sociologique ? De qui se Foot-on ! | | | Jean-Marie Brohm Marc Perelman Le Football, une peste émotionnelle Gallimard - Folio actuel 2006 / 7.50 € - 49.13 ffr. / 390 pages ISBN : 2-07-031951-2 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Lauteur du compte rendu : Mathieu Zagrodzki est diplômé en droit privé de lUniversité Paris II et de Sciences Po Paris. Il est actuellement doctorant au sein du Pôle Action Publique du Centre de Recherches Politiques de Sciences-Po (CEVIPOF). Imprimer
On ne peut raisonnablement nier les travers, pour ne pas dire plus, qui caractérisent le football. La violence dans les stades, le dopage, les dérives du foot-business et la corruption généralisée sont autant de faits incontestables et connus de tous. Pourquoi donc le ballon rond génère-t-il autant deffets pervers, aux antipodes des valeurs que le sport est censé véhiculer ? Autant tout de suite lever les illusions de ceux qui espèrent découvrir la réponse à cette question dans Le Football, une peste émotionnelle : ce livre est tout sauf une analyse sociologique honnête des dérives du football.
Largument central des deux auteurs nest pas difficile à retenir, dans la mesure où il est répété en boucle tout au long des 330 pages de l'essai : le football est par définition une aliénation, une mystification des masses, un spectacle par essence violent qui nest que linstrument du capitalisme destiné à leur faire oublier leur condition. Dieu merci, MM. Brohm et Perelman ont recours à un registre lexical relativement varié et parviennent à dire plusieurs dizaines de fois la même chose avec des mots différents, épargnant ainsi au lecteur de violents maux de tête. Lamour du football est ainsi tantôt une «distorsion psychique», tantôt «une épidémie», sa pratique est assimilée à de la nécrophilie à un endroit, à de lhomosexualité refoulée un peu plus loin, le stade est un instrument de «fascisation des masses» (sans que lon sache exactement ce que cela veut dire) où se déroule «un ballet de violence» ou encore «un rêve destiné à cacher la réalité». Et ? Et rien du tout. Les auteurs se contentent dénumérer des faits effectivement inquiétants et dy déceler à chaque fois, conformément à la paranoïaque Théorie critique du sport dinspiration marxo-freudienne dont ils se réclament, la marque dun gigantesque complot à léchelle mondiale, auquel ils seraient les seuls à avoir miraculeusement échappé.
Il est assez malaisé dénumérer tous les arguments tantôt involontairement hilarants, tantôt malhonnêtes, tantôt scandaleux, tantôt délirants, tantôt tout simplement faux que nous servent les deux auteurs, leur nombre étant absolument incalculable. On se contentera donc den citer quelques-uns, pour donner une idée de la crédibilité de cet ouvrage. Pour Brohm et Perelman, la popularité du football sexplique par le fait que ce soit un sport caractérisé par des contacts, répondant ainsi aux besoins de violence du public. Daccord, mais pourquoi dans ce cas le rugby ou le hockey sur glace ne sont-ils pas plus populaires ? Autre exemple : si lutilisation par la plupart des régimes autoritaires du football comme instrument de propagande est indéniable, louvrage va plus loin. Le football est par nature «complice de la barbarie» soutiennent nos deux échappés de Matrix. La preuve, en Chine, en Afghanistan ou encore au Chili, des stades de football ont servi de lieux de torture et dexécution. Epatant. Par conséquent, quand les soviétiques massacrent plusieurs milliers dofficiers polonais dans la forêt de Katyn en 1940, cest avant tout la faute des arbres !... Enfin, comment ne pas être interloqué par certains stéréotypes douteux, comme celui qui consiste à estimer quêtre amateur de foot, traduisez un beauf violent, raciste et sexiste, et avoir une conscience politique sont deux choses absolument incompatibles ?
Plus que labsurdité de la quasi-totalité de largumentation déployée dans Le Football, une peste émotionnelle, cest avant tout la méthode utilisée pour mener cette étude qui agace, surtout quand on sait que lun des deux auteurs se prétend sociologue. Il nest en effet pas interdit de conclure au caractère structurellement nocif et violent du football si cette assertion se base sur une étude empirique rigoureuse. Brohm et Perelman ont-ils rencontré, interrogé voire psychanalysé des supporters de football pour déceler chez eux des pulsions violentes ou nécrophiles ? Sont-ils allés dans un stade pour observer le comportement des foules ? Non, bien sûr. Selon eux, cela conduirait à se «noyer dans son sujet» et à être induit en erreur par des entretiens inutiles avec des «footeux» de toute façon aliénés et manipulés. Cest vrai quil est préférable de théoriser dans son salon plutôt que sabaisser à fréquenter de pauvres hommes
Le pire, cest que nos contempteurs du football vont encore plus loin en critiquant de manière virulente des chercheurs honnêtes comme Christian Bromberger, qui ont mené de véritables enquêtes empiriques dans les stades pour essayer de comprendre le phénomène football. Inacceptable selon Brohm et Perelman : comprendre, cest excuser. Ces messieurs ont-ils entendu parler de la sociologie compréhensive de Max Weber ? La première étape de toute étude sociologique est justement de reconstituer la logique interne des acteurs pour être en mesure dexpliquer un phénomène social.
Voilà tout le problème de l'ouvrage : il ne sagit pas dun livre de sociologie mais didéologie. Les auteurs, dune mauvaise foi particulière, ne retiennent que les faits qui vont dans le sens de leurs a priori politiques. Pour eux, le football se résume à «un broyage de tibias», au racisme, à la violence, à la propagande et à lexploitation. Les gestes techniques dun Ronaldinho ou dun Zidane, les scènes de liesse, lémotion des grands matchs ne sont que des illusions, et toute personne prétendant le contraire est soit stupide soit manipulée. Certes, les auteurs ont raison de souligner que le football nest pas forcément paré de toutes les vertus (intégration des jeunes issus de limmigration, promotion de la mixité sociale, relance de léconomie, renforcement de lunité nationale
) quon lui prête dès que les Bleus réussissent lors dune compétition internationale. Malheureusement, lacharnement déployé pour prouver que le football est lincarnation du Mal tout au long dun ouvrage émaillé de délires idéologico-psychanalytiques ôte toute crédibilité au propos. Dommage, car le sujet méritait que lon sy attarde.
Mathieu Zagrodzki ( Mis en ligne le 25/10/2006 ) Imprimer
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