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L’égalité et la distinction
Olivier Ihl   Le Mérite et la République - Essai sur la société des émules
Gallimard - NRF Essais 2007 /  25 € - 163.75 ffr. / 495 pages
ISBN : 978-2-07-078487-5
FORMAT : 14,0cm x 22,5cm

L'auteur du compte rendu: Guy Dreux est professeur certifié de Sciences Economiques et Sociales en région parisienne (92). Il est titulaire d'un DEA de sciences politiques sur le retour de l'URSS d'André Gide.
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«Je défie qu’on me montre une République ancienne ou moderne dans laquelle il n’y a pas eu des distinctions. On appelle cela des hochets. Eh bien, c’est avec des hochets que l’on mène les hommes. […] Voilà l’un des secrets de la reprise des formes monarchiques, du retour des titres, des croix, des cordons, colifichets innocents, propres à appeler les respects de la multitude, tout en commandant le respect de soi-même.» Ce propos de Napoléon pose de belle manière une double réalité au cœur de l’ouvrage de Olivier Ihl : la pratique des signes de reconnaissance et de distinction n’est pas l’apanage des sociétés monarchiques, elle est de tout pouvoir ; cette pratique reconnaît la valeur des êtres tout en leur commandant d’être valeureux. Faire des émules, voilà la secrète ambition et la justification dernière de la récompense des êtres et des actions remarquables.

Les ordres et les médailles ont été largement développés sous l’Ancien Régime. Traversé par un large mouvement de sécularisation, le pouvoir prend en charge, en les codifiant, les distributions de prestige et les mesures des grandeurs monarchiques. Récompenses et décorations visent à s’assurer des fidélités qui, dans un système où les relations personnelles restent essentielles, assurent en retour la solidité et la pérennité du pouvoir en place. Mais avec la Révolution française un problème nouveau se pose : comment reconnaître et distinguer les talents rares, les actes remarquables, les personnes singulièrement dévouées et les talents utiles, comment les faire valoir auprès du plus grand nombre sans contrarier le principe d’égalité. Jusqu’où aller dans ces distinctions ?

Il y aura bien des hésitations et des contradictions qui apparaîtront au gré du tumulte de la période révolutionnaire et des régimes successifs au XIXe siècle. Mais la nécessité de cette pratique sera suffisamment reconnue pour être définitivement inscrite dans les pratiques de tout pouvoir. La légion d’honneur, créée en 1802, est comme un symbole de cette pratique. Reconnaissance universelle, militaire et civile, elle est aujourd’hui encore l’ordre le plus prestigieux des récompenses d’Etat. Mais à propos de cette décoration Olivier Ihl souligne un aspect qui pourrait paraître purement factuel, sinon anecdotique : le caractère permanent du port de cette décoration. La justification de cette disposition n’est pas sans intérêt : «J’ai pensé, écrira Dumas [secrétaire de la Commission Cambacérès en charge de ce dossier] que cette étroite obligation était un frein nécessaire pour quelques hommes qui ont besoin qu’un objet toujours présent leur rappelle qu’ils doivent se respecter eux-mêmes et faire respecter en eux la récompense dont ils ont été honorés.» Par cette brillante formule, le général Dumas livre ce que Olivier Ihl nomme «la clef du régime disciplinaire de ce nouvel ordre de mérite décoré». Décorer ne vise pas seulement à reconnaître a posteriori une action méritante. Cela vise aussi à s’assurer la fidélité et la constance des personnes ainsi honorées et donc s’assurer de leur part des conduites et des comportements toujours méritant des honneurs qui leur ont été faits.

La perspective de Olivier Ihl part en effet d’un point fort ; celui de considérer que les logiques disciplinaires, au sens de Michel Foucault, sont trop souvent comprises par les aspects «négatifs» comme celui du contrôle ou de l’enfermement. Or, nous dit Olivier Ihl, il existe un aspect «positif» de la logique disciplinaire : celui de l’émulation. Le pouvoir suscite et crée des émules, règle et contrôle les actions, en définissant, reconnaissant et célébrant sans cesse les bonnes actions.

Ce qui pourrait donc apparaître comme un «simple» ouvrage d’érudition renvoie donc à une interrogation plus centrale sur les formes de gouvernementalité, pour utiliser un terme foucaldien. Les questions de la hiérarchisation des mérites, de la bureaucratie des honneurs ou du management honorifique (pour reprendre quelques formules du livre) mettent progressivement et brillamment en perspective des questions très actuelles comme le «salaire au mérite» ou «l’égalité des chances». Cet essai brillant et érudit est aussi, il faut le souligner, écrit avec beaucoup de soin dans une belle langue.


Guy Dreux
( Mis en ligne le 20/12/2007 )
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