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Histoire & Sciences sociales -> Historiographie |
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Philosophie de l’histoire et science sociale | | | Gabriel Tarde Philosophie de l’histoire et science sociale, la philosophie de Cournot Les empêcheurs de penser en rond 2002 / 29 € - 189.95 ffr. / 308 pages ISBN : 2-84671-013-9 Imprimer
Le nom de Tarde (1843-1904) nest guère familier au grand public et cest assez regrettable car ce périgourdin, qui fut collègue de Bergson au Collège de France, est un représentant non négligeable dune tradition assez largement occultée de lhistoire intellectuelle française, que lon redécouvre aujourdhui. Contre la réification des faits sociaux et ce que certains appelaient limpérialisme sociologique, celui qui fut le rival malheureux de Durkheim défend une logique sociale (nous dirions plus volontiers une psychologie sociale) qui met lindividu au premier plan et insiste sur le rôle de limitation. Il nest donc pas étonnant que les partisans, aujourdhui nombreux, de lindividualisme méthodologique aient vu en lui un précurseur.
A sa façon, Cournot (1801-1877) appartient lui aussi à la même tradition et on comprend sans peine que, dans son combat contre une sociologie durkheimienne dont les dettes envers Comte sont manifestes, Tarde se soit réclamé de lauteur des Recherches sur les principes mathématiques de la théorie des richesses (1838), car le différend qui opposait au début du siècle dernier les deux sociologues reproduit à bien des égards, celui qui opposait une ou deux générations plus tôt Comte et Cournot, et où il est permis de voir la matrice qui, dans lHexagone, structure encore de nos jours les débats portant sur les questions socio-politiques.
Le texte correspond aux leçons professées par Tarde en 1902-1903, soit un an avant sa mort. Un projet de publication avait été envisagé par ses héritiers et abandonné, suite à un avis défavorable de Darlu, celui-là même qui fut le professeur de philosophie de Proust au Lycée Condorcet. Il sagit donc dun inédit, publié par les soins de Thierry Martin, qui la fait précéder dune utile introduction.
Le plan du cours est fort simple. Pour présenter Cournot, lauteur commence, de façon fort significative, par lopposer à Auguste Comte. Suit une brève biographie. Après quoi le reste de louvrage est consacré à lexamen des trois principaux ouvrages philosophiques de Cournot : lEssai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique (1851), le Traité de lenchaînement des idées fondamentales dans les sciences et dans lhistoire (1861) et enfin les Considérations sur la marche des idées et des événements dans les temps modernes (1872). Lexposé des doctrines est accompagné dune (de leur) évaluation et lauteur y mêle également des aperçus sur des questions qui étaient alors dactualité, comme lorsquil évoque les vues de Poincaré sur le continu.
Mathématicien de formation, comme Comte, Cournot occupe dans le panorama intellectuel français une place quil est malaisé de définir avec précision. Bien que son ouvrage de 1838 fasse de lui un des fondateurs de léconomie mathématique, il est plus connu pour sa philosophie, qu'il a lui-même présenté comme un probabilisme. Les titres des deux derniers de ses grands ouvrages lindiquent : la critique philosophique débouche immédiatement sur une philosophie de lhistoire qui, comme chez Comte, accorde une large place à la philosophie des sciences. Mais, alors que le positivisme est partisan dun déterminisme historique dont la loi des trois états est lexpression la plus célèbre, Cournot met laccent sur la contingence, le fortuit, défini comme la rencontre de deux séries indépendantes. Dans le même esprit, il différencie soigneusement la cause et la raison, anticipant ainsi sur une distinction chère à Wittgenstein. Chez son prédécesseur, Tarde croit discerner deux conceptions de lhistoire incompatibles entre elles : si laccidentel découvre le rationnel, il ne peut plus exister de faits vraiment capitaux; aussi propose-t-il de substituer, à la Raison de Cournot, une Logique sociale qui présente lavantage dêtre beaucoup moins prédéterminée.
Entreprise sous la direction dÉric Alliez, lédition des oeuvres de Tarde, qui comprendra onze volumes répartis en deux séries, rend un réel service à tous ceux qui sintéressent aux sciences sociales. Louvrage nest certainement pas le meilleur de lensemble et Tarde possède des titres de gloire plus solides que ces leçons dont le style souffre parfois de la redondance propre à loral. Reste quil a désormais sa place dans la littérature consacrée à Cournot, où les bons travaux ne manquent pourtant pas. Le texte se lit sans effort et cest une excellente occasion de découvrir deux auteurs injustement méconnus.
Michel Bourdeau ( Mis en ligne le 09/01/2003 ) Imprimer | | |
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