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Histoire & Sciences sociales -> Historiographie |
| Arlette Farge Quel bruit ferons-nous ? Les Prairies ordinaires - Contrepoints 2005 / 15 € - 98.25 ffr. / 219 pages ISBN : 2-350-96000-5
Lauteur du compte rendu : Philippe Poirrier est Professeur dhistoire contemporaine à lUniversité de Bourgogne. Il est notamment lauteur de plusieurs ouvrages dhistoriographie : Aborder lHistoire (Seuil, 2000) et Les Enjeux de lhistoire culturelle (Seuil, 2004). Imprimer
Ce volume, le premier de la collection «Contrepoints» des éditions Les Prairies ordinaires, donne la parole à lhistorienne Arlette Farge. Ces entretiens, menés avec le compositeur de musique contemporaine Jean-Christophe Marti, participent de la vogue de lego-histoire. Le lecteur du Goût de larchive (1989) et des Lieux pour lhistoire (1997) retrouve avec bonheur dans ce volume édité avec soin une qualité décriture, et se prend à entendre cette voix singulière que les auditeurs de lémission de France Culture, «Lhistoire autrement», connaissaient bien.
Arlette Farge revient sur sa trajectoire académique, et souligne limportance de certaines rencontres (voir aussi : Arlette Farge, «Le parcours dune historienne», Genèses, septembre 2002, n°48, pp.115-135) : Robert Mandrou qui oriente la jeune juriste vers les archives de police ; le travail en commun avec Michel Foucault sur les lettres de cachet des archives de la Bastille ; le militantisme autour de la revue Révolte logique de Jacques Rancière. Lauteure évoque aussi sa relation plus difficile avec la sociologie de Pierre Bourdieu, tout en soulignant limportance pour sa propre réflexion des notions dhabitus et de violence symbolique. La véritable rencontre avec le sociologue se fera tardivement, en 1998, au moment de la publication de La Domination masculine.
Plusieurs pages sont dailleurs consacrées à la manière dont Arlette Farge envisage lhistoire des femmes. Actrice de la construction dune histoire des femmes à la française, elle en souligne les principales caractéristiques : la phase militante des années 70 et le refus de créer de véritables women studies comme aux Etats-Unis. Ses ouvrages, co-dirigés avec Cécile Dauphin, sur la séduction (Séduction et société, 2001) et la violence des femmes (De la violence et des femmes, 1997) témoignent des infléchissements du questionnaire historien. Arlette Farge revient aussi sur ces sources quelle na cessé de revisiter et dinterroger : les archives de police au XVIIIe siècle, les procès-verbaux et les interrogatoires, les plaintes et les informations. Ces archives ne sont plus seulement considérées comme des sources permettant de quantifier la déviance, mais sont utilisées comme sources dinformations sur la normalité des relations entre individus. Elles permettent de reconstruire un paysage social.
Limportance de lécriture historienne est lun des fils rouges qui traversent louvrage. Comment rendre compte des paroles des acteurs du passé ; mettre en scène ce passé tout en nesquivant pas les incertitudes qui régissent la vie des hommes et femmes des temps passés ? «Lexercice, conclut Arlette Farge, nest pas tant de mettre au jour des trouvailles en histoire que de révéler lalchimie des opinions, des sensibilités, des désirs du futur et des utopies des siècles passés. Lenjeu est de mettre en place une utopie commune à ces deux siècles, lun terminé et lautre qui ne sait pas encore où il va, une utopie quils échangent encore constamment» (p.219).
Le regard que porte lhistorienne sur lengagement des acteurs des sciences sociales au cours des années 70 est sévère. Un double échec est pointé : le reniement de nombreux universitaires et labsence de transmission. «Léchec dune génération qui na pas su transmettre son savoir, son élan, sa générosité, ni pousser en avant les générations suivantes, mais les a au contraire «coiffées», comme on recouvre une terre dune chape de plomb» (p.71). Parler dun présent en faisant de lhistoire reste une priorité pour lhistorienne qui a placé lessentiel de son uvre à comprendre les «classes populaires» ; à travailler à partir des traces laissées par celles-ci.
Ce livre dentretiens permet ainsi de mieux comprendre litinéraire dune historienne quelque peu à la marge de linstitution universitaire. Il donne envie de replonger dans une uvre originale dont le cur est bien cette volonté de faire entendre la parole du peuple. Louvrage répond parfaitement au cahier des charges de la collection : «Des voix singulières qui se heurtent les unes aux autres pour tracer un motif commun, un champ dinterrogations ouvert sur le monde contemporain». Une collection à suivre
Philippe Poirrier ( Mis en ligne le 17/09/2005 ) Imprimer
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