| Paul Claudel La Crise. Amérique. 1927-1932 Métailié 2009 / 11 € - 72.05 ffr. / 252 pages ISBN : 978-2-86424-699-2
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Paul Claudel arrive à lambassade de France à Washington en 1927, pour y remplacer son collègue Bérenger, tombé en disgrâce auprès du président Coolidge pour avoir négocié un accord déchelonnement de la dette de guerre française
Un poète remplace donc un économiste
Décadence de la diplomatie française abandonnée aux esthètes alors que la réalité se fait grondante ? Image facile et simpliste à la veille dune des crises aux conséquences politiques et sociales les plus terribles. Il serait pourtant très réducteur de ne voir en Paul Claudel que lécrivain inspiré, et forcément détaché des réalités. Diplomate de grand style, formé à lancienne, Paul Claudel fait la démonstration, dans ce recueil de dépêches diplomatiques, dun tempérament danalyste, doublé dune rare sagacité, capable de percevoir, derrière lenthousiasme délirant dun Hoover (qui, à la veille de la crise, estime que lAmérique a finalement vaincu la pauvreté), la réalité dune bulle de spéculation menaçante.
Comme le constate le professeur Renaud Fabre dans une préface bienvenue, qui explore logiquement la question de la crise actuelle au prisme de celle de 1929, il y a dans cette correspondance plus technique que politique un sens de la forme et du style qui relève du défi, pour le diplomate écrivain. Loin de la prudence habituelle de ce type de documents, Claudel fait la part du prophétique et de lanticipation réfléchie, et donne à sa plume un tour à la fois ample et efficace, riche, agréable même (pour de la prose administrative sentend). Une variation bienvenue sur le style diplomatique de son temps. Car la qualité littéraire est là, loin de lhermétisme parfois cultivé par le dramaturge : le sens de la formule, de lanecdote éclairante, de la citation bienvenue rendent plaisante cette lecture qui pourrait au premier abord nêtre quhistoriquement utile. Jonglant avec les références littéraires (qui illustrent autant de figures typiques de lAméricain), Claudel restitue, pour le ministère, une atmosphère particulière, celle dun emballement qui devient menaçant, lillusion dune prospérité invincible. Alternant les statistiques, les chiffres (rébarbatifs, il faut bien lavouer) et les analyses, Claudel joue aux Cassandre
avec raison.
Si lon peut regretter une présentation un peu succincte (le texte brut, sans référence darchive, ni index des lettres et à peine agrémenté de quelques notes), on appréciera cette contribution inattendue à la figure de lécrivain-diplomate, éclairante dans le contexte de la crise actuelle.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 01/09/2009 ) Imprimer | | |