| Alexander Werth Leningrad. 1943 Tallandier 2010 / 19.90 € - 130.35 ffr. / 262 pages ISBN : 978-2-84734-728-9 FORMAT : 13cm x 20cm
Traduction de Nicolas Werth et Evelyne Werth
L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Présenté par Nicolas Werth, éminent spécialiste de lhistoire soviétique, ce récit du siège de Leningrad, durant la Seconde Guerre mondiale, par le correspondant de guerre britannique Alexander Werth est typique du genre. Il ne sagit toutefois pas dune étude, mais bien dun témoignage. Louvrage est constitué dune série de scènes de siège, qui senchaînent chapitres après chapitres, en commençant par larrivée compliquée et dangereuse dans une ville encore assiégée jusquau départ (et au retour dans une ville désormais dégagée), de septembre 1943 à janvier 1944.
Russe de naissance (il a vécu à Saint-Pétersbourg/Leningrad jusquà lâge de 16 ans), cosmopolite de métier, Alexander Werth revient à Leningrad comme dans la maison de son enfance, et sous sa plume, le lecteur découvre deux villes : lune, ancienne, disparue, qui brille encore un peu de son lustre dancien régime et en a gardé lesprit (dans ses monuments emblématiques, et jusque dans lonomastique des rues, qui résiste aux changements politiques) ; lautre moderne, affamée et bombardée, qui survit et attend désormais la victoire. Et au passage, le journaliste fait le grand tour de la cité : les hôtels rouvrent, les usines fonctionnent, les artilleurs veillent, les aviateurs se battent, les enfants travaillent et font des rédactions patriotiques, les artistes veillent à la propagande
Leningrad telle que la redécouvre lauteur se réveille dun long cauchemar et recommence à espérer. Elle retrouve aussi, dans une certaine mesure, le complexe de supériorité de lancienne capitale devenue la capitale résistante face à Moscou, la capitale de 1918, plus protégée.
Dans ce récit efficace, en forme de chroniques de presse, lumineusement présenté par Nicolas Werth, on oscille constamment entre le temps de guerre et une normalité contrainte, factice : Werth se promène dans les parcs de son enfance, dans son ancien appartement, croise les notabilités politiques et littéraires, cause avec la population, les soldats, les ouvrières, les enfants
Il accumule, enregistre des récits du siège de la manière la plus sobre, en seffaçant derrière le témoin, sans surinterprétation. Le résultat est forcément saisissant, et le talent du journaliste vient sans doute autant de sa capacité à donner à voir une ville (et une vie) disparue, à laisser parler lémotion par moment, quà enregistrer, en conscience, la vie de ceux que lon nécoute pas, des anonymes confrontés à la tourmente.
Les amateurs dhistoire y trouveront une riche moisson danecdotes, sur la vie en temps de siège lun des sièges les plus éprouvants de la guerre, tant il apparaît que le dessein de larmée allemande était moins de conquérir la ville que dy exterminer, par la famine, ses habitants. Un témoignage précieux pour une histoire de la guerre à lEst encore en plein essor.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 12/10/2010 ) Imprimer | | |