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Histoire & Sciences sociales -> Témoignages et Sources Historiques |
| Manuel Chaves Nogales L’Agonie de la France Quai Voltaire 2013 / 17 € - 111.35 ffr. / 220 pages ISBN : 978-2-7103-6852-6 FORMAT : 11,5 cm × 19,0 cm
Catherine Vasseur (Traducteur) Imprimer
Les éditions de la Table Ronde ont entrepris, depuis 2010, de traduire et de publier les uvres de Manuel Chaves Nogales, et cest pour le lecteur français une occasion incroyable de découvrir la vie et la réflexion que ce journaliste espagnol de la première moitié du XXe siècle tient sur une Europe en train de sabîmer dans la guerre. Après la publication de ses récits sur la guerre dEspagne puis sur la guerre civile qui ravagea la Russie après 1917, LAgonie de la France, publiée pour la première fois à Montevideo en 1941, rapporte presquen direct le suicide du pays en 1940 et cherche à débusquer les causes profondes ou immédiates de la débâcle.
Dune certaine manière, les objectifs de Chaves Nogales ne sont pas très éloignés de ceux de Marc Bloch dans LEtrange défaite. En effet, le journaliste espagnol, républicain convaincu mais fondamentalement ennemi de toute forme dextrémisme, qui a fui lEspagne pour la France en 1936, se trouve lui aussi au milieu de la mêlée ; il occupe un poste dans un ministère (au commissariat général à linformation avant de passer à lIntérieur dans léphémère équipe de Georges Mandel) tout en continuant à livrer une multitude darticles et de reportages ; il est lié au milieu intellectuel parisien et surtout, il est le témoin des quelques neuf premiers mois de guerre où tous les problèmes de la société française ainsi que limpéritie de létat-major sont apparus au grand jour.
Lanalyse quil livre est avant tout celle dun étranger qui a cherché refuge en France, patrie des droits de lHomme, ultime espoir de nombreux Européens qui, dans les années 1930, durent quitter leur pays pour échapper aux guerres, aux persécutions ou aux régimes totalitaires. Les plus belles pages de cet ouvrage sont dailleurs sans doute là quand, tel un amoureux effroyablement trompé, Chaves Nogales élève un monument à la France, «La Mecque des hommes libres dEurope», «bastion de la démocratie et de la civilisation», avant de pleurer un pays qui, reniant ses valeurs, ne laissa aux hommes qui avaient placé en lui leur foi et leur espérance, que «le cadavre fardé dune République démocratique aux entrailles viciées où prospérait la vermine du totalitarisme». Par son statut dintellectuel soucieux de démêler les causes ainsi que les responsabilités qui ont présidé à ces alternances de désordre, dhystérie et dapathie de la drôle de guerre et de la débâcle, Chaves Nogales montre que les concepts utilisés à lépoque ne peuvent servir de clés de lecture : le schéma maurrassien ne fonctionne pas, lappel aux masses, moteurs des événements non plus tout comme le mythe civilisateur français.
Sa place dobservateur le prive cependant dun recul qui lui serait nécessaire, si bien quil attribue à certaines données, notamment diplomatiques, une valeur que les travaux des historiens leur refusent et que lon retrouve étrangement sous sa plume quelques explications sur la dégénérescence populaire que certains de ses contemporains, partisans de la Révolution nationale, nauraient pu contredire, preuve sil en est que lon a ici autant une analyse stimulante de la défaite quune source exceptionnelle pour comprendre létat desprit de lépoque. Restent des pages dun antimilitarisme assez savoureux et de manière générale, malgré la gravité du sujet, un humour certes désespéré mais qui permet à Chaves Nogales, accablé par la situation, de redresser quand même la tête.
Lucide sur son avenir, Chaves Nogales quitte la France pour lAngleterre dès juin 1940, non sans avoir mis sa famille à labri. Il y meurt en mai 1944, sans avoir cessé de pleurer «la destinée dune nation qui pouvait prétendre à limmortalité».
Amélie Bruneau ( Mis en ligne le 11/02/2014 ) Imprimer
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