| Bruno Apitz L'Enfant de la valise - Comment un petit garçon a survécu à l'enfer de Buchenwald Denoël 2014 / 23.5 € - 153.93 ffr. / 471 pages ISBN : 978-2-207-11639-5 FORMAT : 15,5 cm × 22,5 cm
Pierre Malherbet (Traducteur) Imprimer
Grand classique de la littérature antifasciste des années cinquante en Allemagne de lEst, cette belle histoire dans lHistoire, parue en 1958 sous le titre Nackt unter Wölfen, nous parvient aujourdhui, rééditée et enrichie de passages inédits issus du manuscrit original. Nu parmi les loups a été publié, entre autres en français en 1961 (Les éditeurs français réunis. traduction de Yves-Pierre Loreilhe, préface de Georges Séguy) et adapté à lécran par Frank Beyer (RDA, 124 min.) en 1963.
En deux mots, le contenu est le suivant : transféré en mars1945 à Buchenwald après lévacuation dAuschwitz (et non linverse comme on peut parfois le lire), et en partance pour Bergen-Belsen, un détenu juif polonais cache dans sa valise un petit garçon qui, avec le concours des communistes internés, au prix de multiples conflits et péripéties, comptera parmi les quelques miraculés retrouvés vivants à la libération du «KLB» le 11 avril. Lintérêt majeur de cette centration est de se placer précisément au moment où certains camps sont déjà liquidés et où à chaque heure interminable sannonce la fin des suivants.
À la fois anecdote et symbole, mythe et réalité, présentée sous la forme attrayante dun thriller à la fois émouvant et angoissant, cette fiction se fonde sur deux séries dévènements réellement survenus : dune part, le sauvetage dun enfant il sagit de Stefan Jerzy Zweig par son père Zacharias Zweig et les détenus communistes de Buchenwald ; dautre part, la parfaite connaissance qua Bruno Apitz (Leipzig,1900 Berlin,1979) de la vie à Buchenwald, pour y être resté captif durant huit ans en tant quopposant politique, une activité de résistance poursuivie tout au long de ses longues années de détention, et au-delà, sous dautres formes.
Aussi est-ce avec une mémoire intacte, un sens aigu de lobservation et son implication encore vive que, plusieurs années après les avoir vécues et/ou imaginées, lauteur reconstitue chaque séquence ou en crée de nouvelles, à travers ce document passionnant à suivre, porteur de multiples interrogations encore actuelles dans divers registres. Lécriture vive et directe, excellemment traduite par Pierre Malherbet en termes contemporains toujours bien ciblés, privilégie la mise en scène et en dialogues des représentations contrastées entre les divers protagonistes «comme si on y était» : combat un peu caricaturé des bons contre les méchants, où les valeurs de courage et de probité lemportent sur la tyrannie et labjection, un cliché certes connu mais toujours savoureux, dont il serait bien dommage de se priver.
À ceci près que «les bons» seront à leur tour honnis pour les raisons politiques que lon sait. Entre le début de la rédaction de L'Enfant de la valise, autrement dit du rapport Khroutchev à la construction et la chute du mur de Berlin, il se sera passé en effet tellement dévènements décisifs pour le devenir des équilibres mondiaux quon ne peut que se réjouir de la réédition de cet ouvrage et des stimulantes recherches quelle peut susciter aujourdhui, en particulier pour les jeunes générations soucieuses de connaître le contexte historique de laprès-guerre et son devenir. Notons entre autres le travail très documenté de Bill Niven, The Buchenwald Child. Truth, Fiction and Propaganda, paru en 2007. Et plus près du dramatique vécu de cet enfant devenu citoyen israélien, il faut insister sur Tränen allein genügen nicht (''Les larmes seules ne suffisent pas'', Wien, Eigenverlag 2005), dans lequel Zacharias Zweig et Stefan Jerzy Zweig confient les circonstances de ce sauvetage, en fait le troc dune vie contre une autre, une douleur quaucun torrent de larmes ne réussira à effacer.
Lorsque fictionner le réel permet de rendre les faits accessibles et pensables par un large public, lentreprise mérite quon en parle.
Monika Boekholt ( Mis en ligne le 22/04/2014 ) Imprimer | | |