|
Histoire & Sciences sociales -> Témoignages et Sources Historiques |
| |
L’Algérie française : l’Atlantide de Georges Marc Benamou | | | Georges-Marc Benamou Un mensonge français - Retours sur la guerre d'Algérie Robert Laffont 2003 / 21 € - 137.55 ffr. / 344 pages ISBN : 2-221-09668-1 FORMAT : 16x24 cm
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à luniversité Paris X - Nanterre ainsi quà lIEP de Paris. Imprimer
La mémoire collective est parfois moins prégnante que la mémoire personnelle. Alors que la société française tend parfois à se contenter de la «paix des braves» que le général de Gaulle appelait de ses vux lors des affaires algériennes, Georges Marc Benamou, écrivain et journaliste, revient sur «son» Algérie denfant et sur ce qui est arrivé aux Français dAlgérie.
Car la guerre dAlgérie pose diverses questions, et notamment la date exacte de son début et celle de sa conclusion. Comme le souligne lauteur, si la France officielle na reconnu que dernièrement le fait que les «opérations de police» savérèrent une véritable guerre, les Français, dont nombreux en furent les acteurs plus ou moins volontaires, savent bien ce quil en est. Les polémiques autour du choix dune date de commémoration, la question de la torture et la récente affaire Aussaresses, laffaire de Charonne
tout indique que ce passé là «ne passe pas» non plus, pour reprendre le titre dune ouvrage dEric Conan et Henry Rousso consacré à un autre traumatisme, Vichy.
En revenant sur la guerre dAlgérie, G.-M. Benamou entend éclairer ces zones dombres, soulever certaines casseroles, dénoncer non pas un, mais plusieurs mensonges qui finissent par peser sur la conscience nationale, sinon sur les consciences individuelles.
Car les consciences ont fait leur tri : lauteur montre ainsi quels furent les discours des divers partis politiques, à droite comme à gauche, et combien la notion dAlgérie française semblait à tous une réalité incontestable et une figure constante de la rhétorique parlementaire. Pourtant, le pays réel allait rapidement démontrer linanité de ces discours. Dans une quatrième république indécise, la pression exercée par certains groupes politiques bascule dans le terrorisme. Laffaire du bazooka (un attentat raté contre le général Salan, le 16 janvier 1957) sert dillustration à une évocation du gaullisme, côté jardin : on y croise un Michel Debré contempteur de la Quatrième République et comploteur menaçant, un général de Gaulle qui sait se faire désirer, un mystérieux Comité des Six, à mi-chemin entre politique et terrorisme, et un monde politique relativement déboussolé (à limage du jeune V. Giscard dEstaing, que certains anciens de lOAS revendiquent comme leur informateur). Reliée à laffaire de lobservatoire, cette crise éclaire dun jour nouveau la fin de la Quatrième République, mais aussi les agissements de certains gaullistes de choc. Comparant cette république à un roman feuilleton digne des uvres de Dumas, G.-M. Benamou évoque une histoire officieuse du régime, depuis les complots nombreux jusquà la mystérieuse opération Résurrection, qui ramène de Gaulle au pouvoir, et sa gestion de la crise.
Car De Gaulle demeure dans lHistoire comme lhomme de la solution à la «question algérienne» : G.-M. Benamou remonte les fils de la décision, depuis la visite en Algérie et le «Je vous ai compris» jusquà Evian et son difficile accouchement. Il éclaire surtout certaines affaires douteuses, comme loffre de paix faite en juin 1960 par Si Salah (commandant dune des six willayas du FLN) au général de Gaulle en personne, offre rejetée tandis que son auteur disparaissait peu après. Du douteux au douloureux, il ny a hélas quun pas dans cette affaire, cest celui franchi parles harkis, sacrifiés par la raison dÉtat prononcée au plus haut niveau et massacrés par leurs compatriotes. Il en va de même pour les milliers de victimes françaises du massacre du 5 juillet 1962, également «oubliées» au nom dune irénique volonté de conciliation.
Il sagit dune histoire à la subjectivité assumée : G.-M. Benamou se souvient, ou du moins tente de se souvenir, autant quil enquête. Comme ses témoins, il retrace une Algérie personnelle, telle quil a cru la comprendre, et quil distingue de lAlgérie réelle, celle qui a fini par simposer aux colons comme aux Algériens en 1962. Cette «Atlantide algérienne», pour reprendre une belle formule, il faut la chercher dans la mémoire des acteurs survivants. Lauteur maîtrise à la perfection la technique de linterview et sait «faire parler» : le récit des rencontres avec les anciens activistes de lAlgérie française (particulièrement les conversations avec Philippe Castille, lartificier, ou Alain Griotteray, léminence grise
) est captivant et efficace. Toutefois, lun des passages les plus émouvants de ce livre est sans doute le silence de Delphine Renard, dont la seule participation à cette guerre fut dêtre la victime médiatisée dun attenta OAS à Paris
Confronté à un refus de parler qui se conjugue avec ses propres doutes, le journaliste hésite et réfléchit.
Le grand absent de louvrage demeure toutefois Albert Camus dont G.-M. Benamou trace un portrait magnifique sans oublier les ombres portées par le soleil algérien. «Interrogeant» lauteur de La Peste, il en éclaire les tentatives, lindécision et le trouble, mais aussi les espoirs. Révélant même une tentative dassassinat (ou du moins un projet caressé par quelques-uns des soldats perdus de lOAS), il fait de Camus le dernier des Algériens français de bonne volonté.
Car du côté des anticolonialistes, certains mensonges subsistent. Face aux menées des partisans de lAlgérie française, lanticolonialisme semble à la fois homogène et certain dincarner le bon droit : G.-M. Benamou revient sur cette apparence et distingue les excès dun Sartre dont on ne soulignera jamais assez les phrases criminelles et lautisme intellectuel avec lequel il a soutenu les pires dérives de la modération constructive dun Camus, ou dune Germaine Tillion, modération vouée néanmoins à léchec.
Au final, ce livre est, comme les précédents du même auteur, passionnant : dune lecture aisée, il évolue entre lintime et lhistorique et donne de cette «guerre sans nom» une vision sans fards, complétée par des annexes précieuses. On pourra parfois lui reprocher des audaces de style, mais elles font le charme dune lecture qui nest pas académique. Quiconque a lu Le dernier Mitterrand se souvient de ce festin dortolans introductif et saisissant : lun des talents de G.-M. Benamou réside dans sa capacité à croquer à la perfection une scène, une image ou une conversation afin den tirer un morceau dhistoire anthologique. Certes, certaines affirmations brutales, certains raccourcis peuvent étonner le lecteur précautionneux : lauteur ne vise pas à un discours de la méthode ; il s'agit dun essai, mais qui témoigne éloquemment dun malaise général, et de mensonges peu à peu assumés.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 21/01/2004 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Mon père, ce harki de Dalila Kerchouche Pour comprendre la guerre d'Algérie de Jacques Duquesne | | |
|
|
|
|