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Histoire & Sciences sociales -> Témoignages et Sources Historiques |
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Une leçon d’exégèse allégorique | | | Jérôme Homélies sur Marc Cerf - Sources chrétiennes 2005 / 27 € - 176.85 ffr. / 232 pages ISBN : 2-204-07928-6 FORMAT : 12,5cm x 19,5cm
L'auteur du compte rendu : Emmanuel Bain est agrégé dhistoire ; il est actuellement allocataire-moniteur à lUniversité de Nice Sophia-Antipolis, où il prépare une thèse en histoire médiévale sur «les fondements bibliques du discours ecclésiastique sur riches et pauvres aux XII-XIIIe siècles». Imprimer
Jérôme est, avec Ambroise, Augustin et Grégoire le Grand, l'un des quatre principaux Pères de lÉglise. Il est lauteur dune uvre abondante comprenant des textes polémiques, des lettres de direction spirituelle, de multiples traductions, de nombreux commentaires bibliques, et surtout la mise au point dune nouvelle traduction latine de la Bible, à partir de lhébreu, qui sest imposée dans tout lOccident : la Vulgate. Ces Homélies sur Marc sont donc luvre dun très grand connaisseur de la Bible et de ces différentes langues, notamment le grec et lhébreu.
Toutefois elles occupent dans son uvre une place originale, puisquil apparaît nettement que ce nest pas un texte rédigé pour lécrit. Elles se situent, daprès léditeur, dans les années 397-402. Jérôme mène alors une vie monastique à Bethléem, et se rend avec ses moines le dimanche à léglise de la Nativité. La prédication y semble assez libre et il est régulièrement amené à prendre la parole avant ou après le prêtre, comme il le déclare par exemple dans lhomélie 5 : «Puisque le saint prêtre a divinement prêché sur le psaume, nous nous chargeons de lÉvangile». Il faut croire quun auditeur a pris des notes par lesquelles nous accédons à ces prêches, et cest justement l'un des charmes de la lecture de ce texte, ponctué de notations concrètes, que de pouvoir simaginer au milieu de cet auditoire. Jérôme sadresse directement tantôt aux moines, tantôt aux clercs, tantôt aux catéchumènes et dans le dialogue rhétorique quil instaure avec lassemblée, chacun peut imaginer les rumeurs, les objections qui naissaient dans lauditoire.
Dans ces dix ou quatorze homélies, selon que lon divise ou non les deux premières, Jérôme se concentre sur des passages de lÉvangile de Marc, mais sappuie pour cela sur sa science des Écritures. Comme dans ses commentaires il suit le texte pas à pas, sappuie sur la connaissance du grec, et surtout de lensemble de la Bible. Systématiquement, il élucide les références à lAncien Testament et compare le texte de Marc à celui des autres Évangiles. Il ne recule pas devant les questions en apparence naïves (p.125 : «Pourquoi prend-il toujours ces trois-là avec lui et laisse-t-il les autres ?», en parlant de Pierre, Jacques et Jean) et encore moins devant les contradictions entre les différentes narrations dun même épisode, quil semble au contraire rechercher.
Ce sont en effet ces contradictions qui bien souvent lui servent à justifier une exégèse allégorique. Ainsi quand Jésus invite laveugle quil vient de guérir à rentrer chez lui, mais non dans le village où il habite, Jérôme commente : «Si nous comprenons selon la lettre, cela ne tient pas debout» (p.147), et il faut passer à une intelligence spirituelle. Dans ces homélies, le souci constant est de justifier une exégèse allégorique : par des autorités bibliques (Paul), mais surtout par des raisonnements fondés sur une incongruité du texte évangélique quil faut expliquer.
En cela, ces homélies sont des leçons dexégèse et une apologie de linterprétation spirituelle, y compris pour les textes évangéliques : le sens littéral est extérieur, tandis que le sens spirituel est celui de lintériorité et de la rencontre avec le divin : «Demandons donc nous aussi au Seigneur de nous faire entrer dans sa chambre et disons avec lépouse du Cantique des cantiques : le roi ma fait entrer dans sa chambre» (p.91). Lhomélie 6, sur limportance de laquelle insiste léditeur, est effectivement un magnifique exemple de justification de la lecture allégorique à travers le commentaire de la Transfiguration.
Toutefois le résultat de cette allégorie risque de décevoir et ne correspondra probablement pas à lattente des fidèles actuels. Elle permet en revanche de mieux saisir les préoccupations de Jérôme et probablement des communautés chrétiennes de Palestine à la fin du IVe siècle. En effet, la plupart des allégories ici développées conduisent uniquement à la condamnation du judaïsme, ce qui montre la prégnance de la polémique antijuive dont l'un des enjeux majeurs est la compréhension du texte sacré que les deux communautés partagent : la Bible. Jérôme, connu par ailleurs, et parfois critiqué, pour ses relations fructueuses avec les communautés juives, se montre ici virulent polémiste.
Malheureusement toutes ces remarques reposent sur un texte lacunaire et douteux. Ces quelques homélies ne sont que des fragments dune prédication plus complète : plusieurs sont perdues, ce qui nuit à la compréhension de certains textes subsistants, comme lhomélie 4. Mais surtout le texte latin ici édité et traduit repose, en dehors de lhomélie 1, uniquement sur une édition du XVIe siècle, qui est le plus ancien témoin des homélies 2 à 10. Cest donc un texte dont la fiabilité doit être remise en question. Le silence des sources sur un texte attribué à Jérôme est assez surprenant. Il est regrettable que lintroduction de cette édition, qui aborde rapidement les questions dauthenticité et de contexte pour sattarder sur «lenseignement de Jérôme», nait pas traité de la postérité et de linfluence éventuelles de cette uvre, ce qui aurait peut-être permis davoir des traces indirectes de cette prédication.
Emmanuel Bain ( Mis en ligne le 13/02/2006 ) Imprimer | | |
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