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Retour du purgatoire
Emmanuel Berl   La Fin de la IIIe République
Gallimard - Témoins 2007 /  22.50 € - 147.38 ffr. / 376 pages
ISBN : 978-2-07-078200-0
FORMAT :  15,0cm x 22,0cm

L'auteur du compte rendu : agrégé d’histoire, Nicolas Plagne est un ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure. Il a fait des études d’histoire et de philosophie. Après avoir été assistant à l’Institut national des langues et civilisations orientales, il enseigne dans un lycée de la région rouennaise et finit de rédiger une thèse consacrée à l’histoire des polémiques autour des origines de l’Etat russe.
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Ont-ils fait leur «purgatoire» ? On réédite ces derniers temps quelques esprits brillants et distingués des années 30, qui furent les acteurs modestes et les témoins et analystes distingués de la France et du monde occidental de leur temps dans l’évolution étonnante de la société et de l’économie entre 1900-1980, phénomène que Daniel Halévy appela «accélération de l’Histoire». Avec ce recul de vingt ou trente ans, Bertrand de Jouvenel (père de la «futurologie»), Emmanuel Berl, Jacques Ellul dans un autre genre, se relisent avec un respect intellectuel et un plaisir du style qui sont la marque des classiques. Journalistes engagés, attentifs et perspicaces, essayistes ingénieux, à l’occasion polémistes brillants, professeurs pédagogues et passionnés, ils passent le rang de nombre de leurs contemporains académiques autrefois réputés plus «sérieux».

Les jeunes générations savent-elles qui est Berl ? Né en 1892, ce jeune parent de Proust et Bergson (à qui il faisait corriger ses dissertations de terminale !) était mort en 1976 sous la présidence de Giscard, dont lui, Jouvenel et Aron voyaient l’élection comme le succès de leur modernisme néo-libéral anti-totalitaire forgé dans l’Entre-deux-guerres. Un soupçon de souffre flottait autour de la réputation de Berl, connu comme un ancien munichois et l’auteur paradoxal (car juif) des premiers discours du maréchal Pétain, tandis que Jouvenel restait marqué par son adhésion au PPF de Doriot avant guerre. Celui qu’on a parfois (dis-)qualifié de «nègre (juif) de Pétain» ne travailla jamais pour le Chef de l’Etat français et le régime de Vichy mais rédigea des projets de discours pour Reynaud puis Pétain, derniers présidents du conseil légitimes de la IIIe République, à Bordeaux. S’il était convaincu de la nécessité d’une réforme radicale de l’Etat et très critique depuis des années pour la IIIe République, il ne soutint jamais l’abolition du régime républicain et ne bascula pas comme d’autres jeunes «néo» de gauche (son ami le radical Bergery) dans le soutien à «la Révolution nationale» telle qu’elle s’engagea, ni a fortiori dans un fascisme à la française.

Dès le 25 juillet 1940, écoeuré par l’esprit de revanche sur le Front Populaire et l’antisémitisme ambiant (le Statut juif), il n’eut plus de collaboration de travail avec les autorités pétainistes, mais bénéficia de quelques fuites d’amis sur les menaces qui pesaient sur lui pendant l’occupation. Sauf un texte de 1942 sur le rôle de l’intelligence dans la société, où il critique élégamment les lieux-communs anti-intellectualistes de Vichy et la stigmatisation démagogique de «l’Intelligence» (la gauche intellectuelle et la spécialisation des activités rationnelles, accusés d’abstraction et d’irréalisme utopique dangereux), il ne publie pas pendant la guerre.

Ce n’est donc pas par collusion intellectuelle avec Vichy que Berl refuse certitudes rétrospectives douteuses et règlements de compte faciles à la Libération. Il ne renie pas ses engagements passés qu’il juge tous décents et refuse de confondre échec historique et erreur de jugement avec faute morale ou bêtise politique. Il demande pour soi et pour chacun loyauté et honnêteté intellectuelle sans anachronisme, un sens de la perspective et des nuances. Il est facile en 1946 de refaire l’histoire et de juger les acteurs et les sentiments de l’époque, mais l’avenir n’était pas écrit et la prospective la plus lucide avait ses limites. Quant à l’exigence morale… Munich était-il un acte de lâcheté ou de lucidité (sans enthousiasme) confirmé par juin 40? Tragique de l’histoire : il y avait des contradictions à porter. Berl assume d’avoir été munichois par pacifisme et par réalisme patriotique (il plaidait pour un réarmement énergique : si vis pacem, para bellum), et rappelle que Laval le félicitait à l’époque de rendre service à ses corréligionnaires qu’on accusait de pousser à la guerre.

La volonté de restituer le climat et les enjeux de l’époque, de rendre justice à chacun, de faire saisir la complexité anime La Fin de la IIIe République, réédition utile d’un ouvrage de 1968 dans la série des «Journées qui firent la France» sur Le 10 Juillet 1940. Le lecteur de 2007 y lira avec intérêt la bonne préface de Bernard de Fallois, «Berl l’étrange témoin» et en fin d’ouvrage quelques compte-rendus critiques de 1968-71 qui nous replongent dans le syndrome français du rapport à «Vichy», «ce passé qui ne passe pas» au moment de la crise du résistancialisme gaulliste et de la réouverture involontaire de la boîte de Pandore de la Mémoire sous Pompidou.

L’ouvrage se compose de 6 parties : «La toile de fond» (La situation, Les perspectives), «Armistice ou capitulation» (II), «Les hommes» (III) constitué de quatre excellents portraits de Reynaud, Mandel, Weygand et Pétain, mais où de Gaulle apparaît par moment ; «Bordeaux» (IV) et «La démission de la République» (L’entrée de Laval en scène, Le développement du complexe anti-républicain, La demande d’armistice, Le faux départ et l’affaire du Massilia) ; «Vers le nouveau régime» (VI) (L’imbroglio franco-britannique, Mers-el-Kébir, Vichy, le 10 juillet). Un «28 années après» conclut la réédition, à laquelle Gallimard a ajouté un «Dossier» établi par Bénédicte Vergez-Chaignon, comprenant une chronologie de la vie et une bibliographie de Berl et un ensemble de documents utiles sur juin 1940, mais aussi de textes de Berl de 1946 à 1968 sur la fin de la IIIe république et Laval, ainsi que sa bibliographie commentée pour La fin de la IIIe République. On y trouve aussi des extraits du Journal inutile de Paul Morand et d’Interrogatoire par Patrick Modiano.

Dans un style différent, très classique «NRF», Berl, qui avait un grand talent de plume et beaucoup de finesse, fait parfois penser à Châteaubriand mémorialiste des troubles de son temps : sincérité sur soi-même, volonté de comprendre sans simplifier, de faire sentir l’esprit du temps et la nature des caractères, capacité d’empathie et absence de haine sans indifférence ni détachement affecté, sans pédantisme de spécialiste surtout. Et puis le sens des formules ramassées qui disent l’essentiel… Trop de classe pour sentir vulgairement et nous infliger le chapelet des lieux communs politiquement corrects de son temps et du nôtre… Une lecture au plus haut point utile.


Nicolas Plagne
( Mis en ligne le 06/09/2007 )
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