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Histoire & Sciences sociales  ->  Géopolitique  
 

Des colonies aux ''grands ensembles''
Yves Lacoste   La Question post-coloniale - Une analyse géopolitique
Fayard 2010 /  24 € - 157.2 ffr. / 432 pages
ISBN : 978-2-213-64294-9
FORMAT : 15,3cm x 23,5cm
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Contre toute attente, c'est un fait divers qui a inspiré pour ce livre le célèbre géographe Yves Lacoste, refondateur de la géopolitique en France : presque cinq ans après, il revient sur les émeutes qui éclatèrent dans les banlieues françaises à l'automne 2005, et qui devaient durer près d'un mois. Si la situation semble s'être apaisée, malgré des embrasements ponctuels dont le procès de la fusillade de 2007 de Villiers le Bel s'est fait récemment l'écho, nombreux sont ceux qui jugent que le climat reste explosif, et qu'aucune solution politique n'a encore été mise en œuvre pour empêcher la reproduction de tels événements. Le débat a animé et anime encore une bonne partie des intellectuels français, le problème étant à l'évidence loin d'être réglé. Et pour cause : tant que les hommes politiques, mais aussi les chercheurs préoccupés par la question ne se seront pas entendus sur le diagnostic, il est peu probable qu'ils trouvent par miracle les remèdes adéquats.

Quand certains ont voulu voir dans ces émeutes l'expression d'un malaise social – l'abandon de certaines couches de la population et l'expression de leur rancœur dans les débordements de l'automne 2005 -, pour d'autres l'explication est d'ordre culturel – l'impossibilité pour une partie des jeunes issus de l'immigration récente de «s'intégrer» au reste de la population française. Yves Lacoste propose quant à lui une approche radicalement différente : pour lui, le problème est clairement géopolitique. D'abord parce qu'il touche des populations qui ont pour point commun, plus que leurs origines ethniques, le fait d'être concentrées dans un même territoire, les fameux «quartiers» ou «banlieues», que Lacoste préfère dénommer plus précisément les «grands ensembles». Ensuite parce que ces «jeunes issus de l'immigration» forment pour la plupart, si ce n'est tous, la seconde ou troisième génération de populations originaires des anciennes colonies françaises. Pour Lacoste, si l'on veut comprendre le «malaise des banlieues françaises», il faut refaire l'histoire de ces territoires, et remonter le temps, depuis la création des grands ensembles en France, jusque, cent cinquante ans plus tôt, la colonisation des territoires africains, dont étaient originaires la plupart des jeunes émeutiers.

C'est la démarche que se propose d'emprunter ce livre original, polémique à plus d'un titre dans le fond si ce n'est dans la forme, car allant clairement à l'encontre du courant des post-colonial studies, né aux Etats-Unis dans les années 90, et porté en France par des chercheurs comme Nicolas Bancel ou Pascal Blanchard. Selon ces derniers, la période coloniale n'est toujours pas révolue, mais perdure encore sous diverses formes, avec des répercussions jusque dans nos banlieues. Or pour Yves Lacoste, le malaise provient surtout du fait que ces jeunes méconnaissent la réalité de l'histoire des décolonisations et a fortiori de la colonisation, dont ils n'auraient qu'une vison caricaturale et incomplète.

Il en prend pour preuve le désormais célèbre manifeste des «Indigènes de la République», paru en janvier 2005, avant donc que n'éclatent les émeutes de l'automne. Ce texte, qui a provoqué beaucoup de réactions au moment de sa parution, et qu'Yves Lacoste reproduit in extenso, mettait en avant le sentiment que la période coloniale n'était pas achevée et que les populations d'origine immigrée vivant actuellement en France étaient ou se sentaient traitées exactement comme elles l'étaient jadis dans les colonies, à savoir comme des Français de seconde zone, ou en tout cas ne bénéficiant pas des mêmes droits que les autres, puisque subissant toutes sortes de discrimination. Yves Lacoste ne répond pas clairement à cette accusation, car ce qui l'intéresse, c'est le fait que, consciemment ou inconsciemment – le manifeste des Indigènes de la République est le fait d'une élite intellectuelle, jamais les émeutiers de fin 2005 n'ont exprimé une quelconque revendication allant dans ce sens –, la seconde ou troisième génération des populations d'origine immigrée en France sentent que le problème remonte à la colonisation.

La première question était donc de se demander pourquoi et au terme de quel processus les populations d'origine immigrée se sont retrouvées concentrées dans ces quartiers de plus en plus laissés à l'abandon. Construits en hâte au cours des années 60 pour répondre à la crise immobilière, ces logements aux normes de confort supérieures à la moyenne à l'époque, mais bâtis hors des centres et loin des voies de communication, ont fini par se dégrader lorsque les premiers habitants sont partis, laissant place à des populations d'origine immigrée aux familles plus nombreuses. Par ce rappel historique, Lacoste balaie d'un trait de plume l'idée qu'il y ait pu avoir dès le départ une volonté de ghettoïsation par les pouvoirs publics de la population d'origine immigrée.

L'autre question était de comprendre pourquoi les anciennes populations des colonies avaient été si nombreuses à rejoindre la France après la décolonisation plutôt que de participer à la construction de leurs nouveaux Etats. Ici, Yves Lacoste relève un paradoxe : en France, l'immigration post-coloniale a été principalement algérienne, alors même que c'est en Algérie que la décolonisation française fut une des plus difficiles. Pour expliquer cela, il faudrait que les jeunes interrogent enfin leurs pères et leurs grands-pères, enfermés dans un «non-dit» qui affecterait toutes les couches des populations immigrées. Si les jeunes issus des populations immigrées, nous dit en substance Lacoste, étaient enfin éclairés quant à leur histoire, alors ils aimeraient peut-être davantage la France que leurs parents ou grands-parents ont choisi d'habiter. Pour ce qui concerne les Algériens, si nombreux à émigrer en France après 1962, la réponse selon Lacoste se trouve dans la guerre d'Algérie elle-même, une guerre qui n'a pas seulement opposé le camp français et le camp nationaliste, mais à l'intérieur de ce dernier, des factions opposées peu prêtes à partager le pouvoir au moment de l'indépendance - en l'occurrence les membres du FLN et les partisans du MNA en majorité kabyles qui ne voulurent rester ou rentrer en Algérie en 1962.

Fort de cet exemple, Lacoste se propose donc dans la deuxième partie de son livre de revenir sur les différentes voies de décolonisations françaises de l'Afrique, avant, dans une troisième partie, de remonter plus loin dans le temps, au moment même des colonisations. Histoire là aussi de tordre le cou aux idées reçues en rappelant que la colonisation n'a pas été un projet machiavéliquement programmé, et qu'elle ne peut se comprendre dissociée des enjeux géopolitiques de la fin du XIXe siècle. Et puis surtout rappeler qu'il n'y avait pas deux camps clairement établis, dominants blancs contre dominés indigènes, mais que l'entreprise coloniale s'est appuyée sur les divisions qui existaient préalablement entre diverses ethnies ou tribus, comme l'esclavage avait lui-même longtemps été autant le fait des Africains eux-mêmes.

Au terme de cette étude, on n'est cependant qu'à moitié convaincu par la démonstration proposée par Lacoste. Certes, la première partie propose de nouvelles pistes intéressantes pour y voir plus clair dans un débat d'ores et déjà passionné, mais les deuxième et troisième parties, en prétendant donner des réponses dans le simple rappel, forcément synthétique, de l'entreprise coloniale française et des décolonisations africaines, déçoivent. Car si Lacoste nous permet bien sûr de sortir des caricatures qui circulent de part et d'autre en ce moment sur la colonisation en rapportant des faits historiques souvent méconnus du grand public, sans les juger – l'idée de savoir si la colonisation eut des aspects positifs ou non est à ce titre totalement hors sujet – , le simple argument consistant à dire que le malaise des banlieues n'est dû qu'à une méconnaissance des jeunes de leur histoire familiale et plus largement de l'histoire de la colonisation, paraît bien faible : il semble insuffisant pour expliquer le sentiment de rejet, justifié ou non, qu'expriment clairement les «habitants des grands ensembles», pour reprendre l'expression de Lacoste. Si le refus de la «repentance» est à la mode, comme le rejet de la victimisation des peuples issus des anciennes colonies, dont les tiers-mondistes des années 80 ont sans doute abusé, l'impact de la période coloniale ne saurait s'être arrêté à l'obtention des indépendances, et il est un peu rapide d'affirmer que ce sont désormais des Etats souverains totalement libres de leur destin. De même la critique des post-colonial studies et en particulier des travaux de Blanchard et Bancel méritait plus qu'une longue analyse du manifeste des «Indigènes de la République», qui ne saurait à lui seul, si ce n'est de façon caricaturale, en résumer le discours. L'approche géopolitique dont se prévaut Yves Lacoste ne peut faire fi des cinquante années qui ont suivi les indépendances, durant lesquelles les liens entre la France et ses anciennes colonies se sont complexifiés et ont forcément à voir aussi avec le malaise des populations aujourd'hui françaises mais originaires des anciennes colonies.

Malgré tout, le livre vaut le détour, ne serait-ce que parce que Lacoste réussit à dresser une synthèse magistrale de la colonisation et de la décolonisation de l'Afrique, dont devraient s'inspirer ceux qui mettent en œuvre les programmes de l'Education Nationale : il prouve qu'il est possible d'enseigner l'histoire de cette période tout en étant dénué d'intentions partisanes, et qu'il est même urgent de s'y atteler.


Natacha Milkoff
( Mis en ligne le 20/07/2010 )
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