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Histoire & Sciences sociales -> Géopolitique |
| Roland Dumas Affaires étrangères - Tome 1, 1981-1988 Fayard 2007 / 24 € - 157.2 ffr. / 438 pages ISBN : 2-213-63017-8 FORMAT : 15,0cm x 23,5cm
L'auteur du compte rendu : Juriste, essayiste, docteur en sociologie, Frédéric Delorca a dirigé, aux Editions Le Temps des Cerises, Atlas alternatif : le monde à l'heure de la globalisation impériale (2006). Imprimer
Comment une puissance moyenne comme la France peut-elle exister sur la scène internationale ? L'universalisme français a-t-il toujours un sens, et si oui, quel contenu doit-il revêtir et comment peut-il sexprimer ? Ces questions qui ont intéressé l'opinion publique française pendant la guerre d'Irak en 2003 et durant la campagne référendaire sur le traité constitutionnel européen, peuvent être utilement éclairées par le livre de réflexions personnelles que l'ancien ministre des affaires étrangères socialiste consacre à la politique extérieure du premier septennat de François Mitterrand.
Le récit s'ouvre sur une antinomie. Il y a, d'une part, cette phrase du président au sommet de Cancun le 20 octobre 1981 : «La France aura à dire avec force qu'il ne saurait y avoir de communauté internationale tant que deux tiers de la planète continueront d'échanger leurs hommes et leurs biens contre la faim et le mépris» ; mais, d'autre part, exactement au même moment, cet aparté que révèle Roland Dumas, où François Mitterrand glisse à son homologue américain Ronald Reagan : «Quand je lis la presse, j'ai le sentiment, qui n'est pas totalement inexact, qu'il y a entre nous beaucoup de points de divergence. Mais quand, au lieu de lire, je réfléchis, je me rends compte qu'il y a encore beaucoup plus de points sur lesquels nous sommes d'accord». Entre le tiers-mondisme et latlantisme, le président français fera rapidement son choix : en quelques mois, il abandonne son projet de relance mondiale keynésienne par une aide massive au Sud, met ses pas dans ceux de Guy Mollet et infléchit la politique arabe (gaullienne) de la France par son discours de la Knesset de mars 1982, soutient avec ardeur la guerre de Margaret Thatcher contre lArgentine (que condamnent à lépoque lURSS et les pays non-alignés), approuve le déploiement des euromissiles nucléaires américains en République fédérale dAllemagne, convertit la France au crédo monétariste néo-libéral anglo-saxon.
A chacune des grandes étapes de lhistoire de la diplomatie française des années 1980, et notamment pour ce qui concerne la période où il la dirige, à partir de 1984, Roland Dumas sefforce de mettre en perspective les choix du chef de lEtat avec sa trajectoire personnelle et ses rapports avec ses pairs étrangers. En quatorze chapitres articulés autour de quelques moments clés, il décrit les intérêts en présence, lenchaînement des choix tactiques ou stratégiques au fil des négociations, et tente de justifier le bilan des prises de positions de la France. On y découvre ainsi les coulisses de grands moments de lunification européenne, et aussi dévénements plus anecdotiques comme laffrontement, dans le cadre du débat télévisé de la campagne électorale présidentielle de 1988, entre François Mitterrand et Jacques Chirac, à propos de la libération du terroriste libanais Anis Naccache.
Roland Dumas a déjà écrit ses mémoires sous le titre Le Fil et la Pelote (Plon, 1996) et prétend ici éclairer seulement «quelques grandes dates» sans souci dexhaustivité. Il est dommage cependant que ses choix le conduisent souvent à négliger des sujets substantiels pour la compréhension de notre époque. Ainsi, on cherchera en vain dans lindex des noms propres celui du capitaine Thomas Sankara, le président progressiste du Burkina Faso, qui attaqua brillamment le néo-colonialisme français lors dune visite du président Mitterrand à Ouagadougou, en novembre 1986, et fut renversé dans le sang lannée suivante. Le premier-ministre du régime de lapartheid Peter Willem Botha ny figure pas non plus, pas plus que celui de Nelson Mandela, comme si le problème des rapports avec Pretoria, qui mobilisait tant les consciences de gauche dans les années 1980 ne sétait jamais posé à la France. Pas un mot non plus sur le rôle pour le moins ambigu de Paris dans la guerre civile qui, en Angola, opposait le gouvernement marxiste aux milices de lUNITA - le bilan de cette guerre, environ un million de morts, tout comme lexploitation qui en fut faite dans certains cercles liés au pouvoir en France, daprès ce quont laissé entrevoir les procès de laffaire Elf, justifiaient pourtant quon en fît mention...
Dune manière générale lAfrique est le parent pauvre du livre (un seul chapitre et encore il concerne seulement la Libye contre cinq sur la construction européenne), mais il est vrai que cette zone relevait davantage du ministère de la Coopération et de lElysée, voire de réseaux parallèles, que du Quai dOrsay. Dautres «sujets qui fâchent» dans lesquels la diplomatie française a joué un rôle important mais controversé sont prudemment évités, comme la politique mitterrandienne au Liban en 1982-1983, ou la protection du dictateur haïtien Jean-Claude Duvalier après sa chute en 1986. Quelles considérations, dans ce genre daffaire, ont conduit Paris à renoncer à se faire lavocat des droits de lhomme et de la souveraineté des peuples pour légitimer la raison du plus fort ? A lheure où une nouvelle Force multinationale à forte composante française agit au Sud-Liban et où la justice internationale senquiert du sort des anciens tortionnaires, un témoignage sur ces thèmes aurait somme toute autant sa place dans ce genre de livre, sinon même davantage, que le souvenir des manuvres diplomatiques autour de lisolement dAndreï Sakharov.
Malgré ces lacunes regrettables, louvrage de Roland Dumas, rédigé dune plume alerte et élégante, reste une contribution utile à lhistoire contemporaine. Les lecteurs les plus âgés y retrouveront, et les plus jeunes y découvriront, une époque à maints égards déjà éloignée de la nôtre, où le débat sur larmement nucléaire de lUnion soviétique faisait la «Une» des journaux télévisés. Cependant, dès ce moment là, se mettait en place lhégémonisme états-unien (décrit dune manière très suggestive dans le chapitre sur le sommet de Versailles), et se manifestaient les contradictions internes à lEurope qui allaient, au cours des deux décennies suivantes, et notamment au tournant des années 1990, réduire encore davantage la marge de manuvre du gouvernement français à léchelle internationale.
Frédéric Delorca ( Mis en ligne le 05/03/2007 ) Imprimer | | |
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