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Un éclairage critique sur le lobby agrochimique français | | | Fabrice Nicolino François Veillerette Pesticides - Révélations sur un scandale français Hachette - Pluriel 2008 / 9,50 € - 62.23 ffr. / 384 pages ISBN : 978-2-01-279403-0 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Première publication en février 2007 (Fayard).
L'auteur du compte rendu : Ingénieur Agronome et Docteur en Epidémiologie Végétale, Frédéric Suffert est chercheur dans un institut de recherche publique, spécialiste des maladies des plantes et de la protection des cultures. Imprimer
Le livre Pesticides : révélations sur un scandale français que Fabrice Nicolino et François Veillerette consacrent aux pesticides se veut être un ouvrage de référence. Outre le fait quil se lit telle une intrigue policière - à ceci près que les auteurs tentent de ramener le lecteur à une sinistre réalité plutôt que de le laisser croire à une fiction - il décrit avec une précision remarquable la façon dont le fonctionnement des lobbies de lagrochimie (les fabricants de pesticides et leurs prescripteurs) a été à lorigine de choix stratégiques aux conséquences parfois dramatiques.
Comment expliquer que les erreurs de jugement se répètent encore et toujours ? Sur un ton parfois irrévérencieux, dans un style dynamique, les auteurs assènent ce qui, selon eux, ne peut être quune vérité, sappuyant sur des références scientifiques se voulant vérifiées. Enfin un ouvrage qui dénonce tout en cherchant à comprendre, qui critique en se fondant sur des faits avérés, qui agace les experts du secteur parce quil sait mettre le doigt là où ça fait mal. On aurait cru que les décisions publiques avaient été prises en toute objectivité ; il semble que cela ne fut pas le cas. Au premier abord, le livre a tout pour déranger - forcément - et faire réfléchir.
Avec cette diatribe du «petit monde des pesticides» [on a limpression que tout le monde se connait
ce qui nest pas faux!], François Veillerette, journaliste, président du Mouvement pour les Droits et le Respect des Générations Futures, et administrateur du réseau européen associatif anti-pesticides, nen est pas à son coup dessai. Cest un «tueur de pesticides» ! Fabrice Nicolino, journaliste et chroniqueur, est un adepte dune écologie que lon pourrait qualifier de radicale, critique à légard de ce qui nest pas conforme à une vision verte de la société. Les pesticides font peur, ce nest pas nouveau. A lire ce livre, il y a de quoi ! Ils seraient partout, «jusque dans la rosée du matin». Les conséquences sanitaires de lexposition aux pesticides sont dores et déjà massives. Des centaines détudes de niveau international montrent que les produits issus de lagrochimie agissent, même à des doses infimes, sur notre équilibre le plus intime. Pourtant, dautres études ont établi labsence de lien de causalité évident, et dautres scientifiques sont plus modérés dans leurs conclusions ; mais le livre ny fait pas référence. Ce parti pris de François Veillerette et Fabrice Nicolino, qui apparaît seulement après une lecture plus poussée de louvrage, mérite dêtre relevé. Le danger lié aux pesticides est pourtant incontestable. Cest un fait.
Tout a commencé vers 1945, avec le DDT. Des professeurs réputés, le prestigieux Institut National de la Recherche Agronomique, le Ministère de lAgriculture, les ingénieurs du GREF, ont accepté de mener ce qui est décrit ici comme de la «propagande». Le livre montre avec pertinence comment la saga des pionniers des pesticides, tous des gens «formidables, passionnés, altruistes», a tourné au cauchemar, comment des lobbies ont pu faire main basse sur la quasi totalité des centres de décisions et comment ils ont infiltré de façon insolente les commissions chargées de lévaluation et des contrôles. Doit-on pour autant parler de scandale ? Cest possible. Mais si scandale il y a, il tient davantage de la façon dont les pièces du puzzle se sont peu à peu assemblées, de la façon dont le réseau s'est tissé entre industriels, services de l'Etat, organismes de recherche, et syndicats agricoles.
Dailleurs, comment aurait-il pu en être autrement ? Selon les auteurs, lindustrie des pesticides a pris le pouvoir en France, sans que personne ne sen doute. Mais qui aurait dû sen douter à lépoque ? Des paysans disparaissant chaque année par milliers ? Des néo-ruraux ? Des urbains redécouvrant la campagne ? Ceux qui font mine de se rapproprier ce «scandale» près de quarante ans après la parution du livre de Rachel Carson, Le Printemps Silencieux (1962) ? Sont-ce également les puristes du Bio ? Certains redécouvrent quune parcelle de 1 ha de blé ne produit pas 100 quintaux avec seulement de leau et du soleil
et affirment que cétait mieux avant. Avant quoi ? Les conséquences de lagriculture intensive sont dramatiques, cest indéniable. Mais elles résultent dun choix collectif que la société doit assumer dans son ensemble. La faute aux ingénieurs du GREF, aux chercheurs, aux lobbyistes
Un argument un peu facile.
Le livre se voulait être un pavé dans la mare. Malheureusement, si mare il y a, elle est à sec depuis longtemps. A la différence du livre de Rachel Carson, cet ouvrage nest pas un scoop par les connaissances scientifiques quil a su réunir. Il est en revanche réellement novateur dans lanalyse quil fait des relations public-privé dans le secteur agrochimique et phytosanitaire, des conflits dintérêts non assumés, des non-dits. Que le ministère de lAgriculture, lINRA et les diverses commissions chargées de lévaluation des pesticides soient accusés de partialité, ce nest pas nouveau. Depuis longtemps, les lobbyistes environnementalistes attaquent tout azimut. Ils existent eux aussi, ce que semblent oublier les auteurs, même si leur influence na jusqu'à présent pas été vraiment comparable à celle de lUIPP (Union des Industries de la Protection des Plantes). En revanche, la nouveauté est que la collusion entre ladministration publique et le secteur privé, étayée par des faits et des paroles savamment rapportés, est clairement établie. Cest certainement ce qui fait le plus peur, même si les auteurs rappellent à juste titre que cette collusion a existé à la fin des années 60 «pour mieux nourrir la France».
A lire ce livre, on aurait quasiment truqué des congrès scientifiques, avec laide de lobbyistes. Oui, les industriels auraient infiltré jusquà aujourdhui les commissions officielles chargées du contrôle des pesticides ! Oui, lagriculture raisonnée, que la France officielle présente comme la solution de lavenir, est une farce, une incroyable manipulation ! On ne peut être indifférent à cette perception, même si elle est radicale. On s'est même demandé à un moment si Fabrice Nicolino et François Veillerette navaient pas raison. Et puis on s'est repris : ils nont pas tort, mais certainement pas raison sur tout. Lanalyse du problème est encore plus complexe. Les pesticides sont un moyen de protéger les récoltes contre les maladies (champignons, bactéries, virus), les insectes et les mauvaises herbes. Ces agressions, susceptibles de survenir à chaque étape de la culture, nuisent à la production et à la qualité des récoltes. Cest un fait scientifiquement établi. Ecrire cela, nest pas faire allégeance aux lobbyistes de lUIPP ! Masquer les risques et les conséquences désastreuses dune utilisation excessive des pesticides serait pour autant irresponsable. Les lobbyistes en sont largement conscients depuis une quinzaine dannées.
Au final, le lecteur se fera sa propre opinion, seul devant un ouvrage dexcellente qualité, bien quau discours parfois un brin simplificateur. Il est difficile de critiquer son contenu. Car louvrage se termine malheureusement par les phrases suivantes : «Inutile de dire que ce livre sera attaqué. Inutile dajouter quon tentera de nous discréditer». Cette remarque est lancée comme pour dénoncer un monde aux mains de puissances occultes (ici le «lobby des pesticides»). Pourquoi cet artifice grossier alors que les arguments scientifiques auraient dû suffire ? Peut être parce que les auteurs, qui ne veulent pas reconnaître leur appartenance à un autre groupe de lobbyistes, savent que tout nest pas si simple ! Ce type de construction, presque paranoïaque, est irréfutable, car, pour ceux qui sy adonnent, toute contestation est vaine dans la mesure où «les preuves avancées quun complot nexiste pas se transforment en autant de preuves quil existe», comme lanalyse le sociologue Pierre-André Taguieff.
Après avoir lu cette thèse, le mieux est certainement de lire lantithèse intitulée Abeilles, limposture écologique (Le Publieur, 2006) proposée par Gil Rivière-Wekstein. Il sagit dune violente critique, encore plus radicale que celle de Fabrice Nicolino et François Veillerette (bien quégalement étayée par des faits scientifiques !) qui cherche à comprendre «comment ces insecticides maudits sont devenus le bouc émissaire idéal pour cacher les difficultés croissantes de lapiculture et pour remettre en cause un modèle agricole moderne basé sur le progrès technologique». Où ce cachent les vrais lobbies ? Certainement partout
même là où l'on ne pense pas.
Frédéric Suffert ( Mis en ligne le 30/04/2008 ) Imprimer | | |
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