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Jibrile est une revue indépendante de critique littéraire et politique, créée en mai 2003 à Liège (Belgique) par Frédéric DUFOING et Frédéric SAENEN. Elle sinterroge sur le monde contemporain, la société de spectacle, la démocratie de marché, les conditions actuelles de création, la survie de la pensée, la modernité dans lensemble de ses manifestations, de ses malaises et de ses symptômes
dans un optique qui nhésite pas réconcilier critique de fond et écriture pamphlétaire.
Manifeste
Si la fameuse - et bien mal nommée - «postmodernité» se caractérise par une remise en cause de tous les référents (le progrès, la raison, le sujet, lhistoire, luniversalité, le contrat social, lopposition nature/culture, le marché, la technique, la recherche dune identité sans transcendance, etc.), de toutes les institutions (lEtat, lécole, lindustrie, la famille, la nation, luniversité, les sciences) et méthodes ou discours (notamment scientifiques) dappréhension du réel qui, depuis les Lumières, caractérisaient la modernité, alors, indéniablement, la démarche de Jibrile est «postmoderne».
Mais si la postmodernité consiste juste à abattre les constructions modernes par la force et dans la logique même de ce qui avait permis leur érection, cest-à-dire le refus du donné, de lessence, des limites, de la transcendance, du sens, de la mystique ou de labsurde religieux, de lenchantement du monde, de lhumilité de lhomme, de son intégration initiale dans un grand tout contraignant, voire de lexigence morale ou de la notion de respect ; si cest remplacer le progrès par lerrance et la culture par le tourisme ; si cest escamoter le niveau à bulle de la raison pour amener le cordeau élastique du plaisir ; si cest dissoudre le sujet dans son uvre et dans la jouissance quil en éprouve ; si cest négliger le futur, reconstruire le passé et ne plus se plier quaux rituels consuméristes du présent ; si cest échanger limpératif de la production contre linfinitif du devenir (par les compulsions, les collections et la consomption) ; si cest passer dêtre utilisateur à être gestionnaire du monde ; si cest désormais coloniser avec le sourire de la crémière ce que lon colonisait jadis pour faire son beurre, alors nous ne sommes et ne serons jamais postmodernes.
Mieux : si la postmodernité, cest, concrètement, leugénisme généralisé et systémique au nom de la pluralité et de la mobilité des identités, au nom de lidéologie du consommateur et du fantasme de lautopoïétique ; si cest lenfermement dans cette logique, dans cette liturgie épouvantable de la représentation qui fait percevoir le massacre des Palestiniens, des Tchétchènes et de bien dautres comme une sorte de fatalité climatique, naturelle, affective, humorale, sans autre origine quelle-même ; si cest se soumettre à lempire de lanecdote, aux ukases de la transparence communicationnelle et des (ef)fusions affectives ; si cest être mobilisé et contrôlé en permanence par la Technique et nêtre quun pion pour une partie déchec sans autre règle que dimposer la sienne ; si la postmodernité, cest la mauvaise foi et un nouvel avatar de la volonté de puissance, alors nous la combattrons, dans la mesure de nos moyens mais impitoyablement, sur chacun de ses aspects, à chacune de ses manifestations.
Que les choses soient claires. Nous sommes sceptiques, méfiants et navons aucun espoir ; nous navons pas non plus de méthode de travail ou daction et, au final, noffrons aucune garantie de résultat ou de vérité à nos lecteurs. A ce titre, Jibrile relève plus du baroud dhonneur que de la croisade triomphaliste.
Comme nous lécrivait récemment, et non sans dédain, une sociologue qui, craignant sans doute de tacher son cursus honorum dun peu dencre «axiologique», avait refusé de répondre à quelques questions que nous lui avions envoyées, nous sommes des herméneutes. Nous cherchons à interpréter le réel, non par choix, mais bien parce quil nous semble impossible de faire le moindre constat à son propos. Plutôt que de jouer les saynètes trois fois séculaires, mais toujours aussi mensongères et arrogantes, de la neutralité, de lobjectivité, nous avons pris le parti de la prospective, de lhumilité, de létonnement, de la suspicion et de lérudition, autrement dit de l«hypothético-déductif», au risque dêtre approximatifs, holistes ou confus, mais avec la certitude de ne jamais être très loin de lessentiel.
Au fond, plutôt que de croire que nous sommes la mesure de toute chose, nous préférons laissez les choses prendre notre mesure - ou nous donner la mesure.
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Parutions .com ( Mis en ligne le 20/05/2005 ) Imprimer |