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Brothers and sisters : l’épopée des enfants-fleurs | | | Jean-Pierre Bouyxou Pierre Delannoy L'Aventure hippie 10/18 - Fait et Cause 2004 / 9.30 € - 60.92 ffr. / 426 pages ISBN : 2-264-03970-1 FORMAT : 11x18 cm Imprimer
Cet ouvrage de Jean-Pierre Bouyxou et Pierre Delannoy est quasiment une monographie du mouvement hippie tel quil sest développé dans le monde occidental, essentiellement du milieu des années 1960 à la fin des années 1970. Et ses auteurs sont deux acteurs du mouvement, qui rendent donc compte des faits depuis lintérieur, ce qui rend ce livre particulièrement intéressant et vivant. Louvrage se décline en huit grandes parties (la haine des sixties, summers of love, le temps des prophètes, lutopie communautaire, planète pop, la route, le corps éclaté, the end) et en dinnombrables mini-chapitres qui permettent aux auteurs dévoquer les principaux thèmes attachés au mouvement hippie. Notons quen annexe figurent une chronologie du mouvement hip davant 1964 à 1975, ainsi quune bibiographie-filmographie-discographie copieuse. Les auteurs disent «nous» tout au long de louvrage dès quils parlent du « movement», et le ton est toujours très impliqué.
Ce qui rapproche ce livre dune monographie est son souci détudier tout ce qui a nourri laventure hippie (les situationnistes, les beatniks,...) comme toutes les façons dont laventure sest déclinée (la pop, les communautés, le LSD, les routards, la spiritualité New Age...) mais aussi la manière dont cette aventure a été vue à lépoque où elle a pris place. Aux «freaks» habillés de façon ethnique (comme on dirait aujourdhui) et portant les cheveux longs et sales, sopposent les «straights», cest-à-dire le monde normal des gens qui rentrent dans le rang et font ce que la société attend deux. Ce monde-là représente tout ce à quoi les enfants-fleurs (où le «flower people» comme on les appelle à San Francisco où le mouvement est né) résistent en essayant dinventer de nouvelles façons de vivre. Cest en cela que laventure hippie racontée ici constitue une véritable utopie. Et cette utopie ne naît pas par hasard : elle prend place au cur de la société de consommation, cest-à-dire au milieu des années 1960, à un moment de croissance économique prospère, quand les chocs pétroliers nont pas encore fait mourir le plein-emploi auquel sont habitués les baby-boomers. Cest dans ce contexte, qui leur paraît vulgaire et trop terre-à-terre, que les hippies vont être à lorigine dinnovations qui irriguent toujours notre culture, quil sagisse des grands concerts de pop et de rock mythiques de ces années-là (quon pense à Woodstock, 1969), de lenvie de voyager pour rencontrer dautres lieux (la naissance du guide du routard découle de lattrait de «la route»), dautres cultures, ou encore de lamour libre.
Si lampleur du mouvement hippie oblige les auteurs à sortir souvent de lHexagone pour narrer cette aventure, ils font parfois le point sur la façon dont ce mouvement a été vécu en France. Et le relais français de laventure hippie internationale a été le périodique Actuel (même si Hara-Kiri, puis Charlie Hebdo, ont aussi été des repères pour les hippies français), qui est très abondamment cité tout au long de louvrage. Le fait de ne pas citer précisément ses sources quand apparaît une citation est dailleurs le seul reproche à adresser au livre de Jean-Pierre Bouyxou et Pierre Delannoy. Le mirage du «movement» tel quil existe à San Francisco apparaît en effet bel et bien comme une utopie lointaine dans la France gaullienne : une utopie à laquelle les «freaks» français (ainsi que les appellent les auteurs) essaient de donner vie : les communautés dans le Larzac ou ailleurs, le départ pour le Maroc, les Baléares (les hippies découvrent Ibiza) ou mieux encore, Katmandou. Notons au passage que si mai 68 est évoqué, le mouvement hippie na rien à voir avec les léninismes, maoïsmes et autres marxismes qui hantaient alors les consciences. En fait, les hippies sont même conspués par ces derniers comme enfants gâtés qui ne veulent pas travailler, produits dune culture bourgeoise.
Au cours de leur véritable Histoire de lutopie hippie, les auteurs néludent pas la face sombre que toute mise à luvre dun idéal ne manque pas dentraîner. Dans le cas des hippies, il sagit surtout de la marginalisation croissante des enfants-fleurs. Alors que les temps changent autour deux, ils deviennent zonards. Lhôpital psychiatrique ou la prison étaient un «must» pour prouver une marginalité qui était de bon aloi. Mais quand les «flower people» prennent de lâge, ils perdent la grâce. Cest encore plus vrai quand la recherche du trip et du voyage intérieur grâce aux substances psychotropes, se transforme en toxicomanie. Pouvoir découvrir dautres chemins, dautres faces de soi, pouvoir regarder Dieu ou la mort en face : tout cela, les hippies le recherchent grâce à lherbe, au shit, au peyotl, à lhéroïne, ou encore à LA drogue psychédélique, le LSD. Ce passage obligé transforme certains hippies en junkies, et ce qui était une expérience pour mieux se connaître devient un enfermement.
Le livre se termine par la fin programmée et de nombreuses fois annoncée du mouvement hippie : cest à lépoque un titre qui fait recette dans les journaux. En réalité le mouvement meurt dans les années 1970, décennie-même qui a vu son apogée. Les années 1980 seront celles des yuppies et de largent-roi, du chômage, des punks, et les derniers hippies seront appelés «babas».
Marie Cattelain ( Mis en ligne le 26/07/2004 ) Imprimer
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