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Genèse des Bienveillantes ?
Jonathan Littell   Tchétchénie, An III
Gallimard - Folio Documents 2009 /  6 € - 39.3 ffr. / 140 pages
ISBN : 978-2-07-043698-9
FORMAT : 11cmx18cm
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Le dernier livre de Jonathan Littell, publié chez Gallimard dans la collection «Folio Documents», se présente comme un reportage sur la Tchétchénie, trois ans après l’accession au pouvoir du président prorusse Ramzan Kadyrov.

Jonathan Littell ne cesse de nous surprendre, et nous ne nous attendions pas à le rencontrer ici. Ses deux précédentes œuvres, Études et Récit sur rien, étaient de courts récits énigmatiques, oniriques et fantasmatiques, au narrateur anonyme, torturé et impudique. Rien de tel dans Tchétchénie, An III, qui nous plonge dans une actualité réaliste et très contemporaine (il rend compte d’un voyage effectué seulement quelques mois avant la parution du livre), dépeinte dans un style journalistique.

L’auteur se livre à une enquête sur l’état du pays, notamment à Groznyï, où il a passé plusieurs semaines. Il s’agit de montrer, à travers ses observations et les questions qu’il pose à de nombreuses personnalités tchétchènes et russes, que le pays, trois ans après la fin de la guerre, est habité par la terreur que font régner Ramzan Kadyrov et son système totalitaire, en dépit d’une apparente normalisation. Le livre commence par la description d’une cérémonie officielle, un «ballet» (terme qui confirme le goût de Jonathan Littell pour les métaphores de la danse et de la musique), dont l’auteur ne cache pas le caractère à la fois grotesque et monstrueux. Sur Kadyrov : «on le sent entièrement à sa place dans cette grotesque messe rituelle, c’est une vraie bête de scène, les masses, il adore ça». Et de conclure : «au royaume de Ramzan, en cette troisième année de son règne, on ne meurt pas si on ne le mérite pas, ainsi a décrété le patron». Ce qui est évoqué dans la suite de l’enquête aura souvent cette dimension carnavalesque, un carnaval sanglant, tant sont grossiers les procédés utilisés pour donner l’illusion d’une Tchétchénie régie par des principes républicains. Puis Littell décrit, avec l’extrême minutie qu’il affectionne, l’organisation du système mis en place, dans sa complexité par moment labyrinthique, sa hiérarchie compliquée, tant les intérêts, les forces en présence et les implications sont divers et contradictoires, à l’image de ce que fut le conflit tchétchène.

Le texte se transforme lui aussi en un labyrinthe explicatif, aussi étrange qu’étranger à nos yeux d’Occidentaux, parsemé de termes russes et tchétchènes définissant la nomenclature et les systèmes de valeurs, anciens et nouveaux. Le livre s’accompagne d’un glossaire, ce qui n’est pas sans rappeler Les Bienveillantes. D’autres aspects de l’ouvrage renvoient d’ailleurs au premier roman de Littell. Il est question d’un pays et d’un système régis par la terreur et la violence, où des commandos enlèvent, torturent et exécutent. Dans plusieurs entretiens ayant porté sur la genèse des Bienveillantes, Jonathan Littell a mentionné sa fréquentation des guerres et des bourreaux, dont ceux des guerres tchétchènes, lors de missions humanitaires. Le regard que porte l’auteur sur l’objet de son enquête, le ton employé, entrent eux aussi en résonance avec l’œuvre littéraire. L’enquêteur Littell observe, scrupuleusement, minutieusement, et rend compte des faits, comme il compte le nombre de disparus, d’opposants torturés et assassinés, dans un style qui jamais ne glisse sur le terrain de l’affect, même si le livre se définit clairement comme un texte de dénonciation.

On pourra nous reprocher de vouloir ramener tous les textes de Littell aux Bienveillantes. C’est peut-être que nous ne nous lassons pas de chercher la source et la genèse de ce premier roman énigmatique et fascinant, et il est vrai que la fréquentation de la Tchétchénie pourrait être un élément éclairant. Le livre s’achève sur un cauchemar de Littell, qui nous renvoie, discrètement mais tout de même, à l’univers onirique et fantasmatique qui traverse toutes ses œuvres précédentes, et qui donne à la fin du récit une dimension plus littéraire que journalistique. On se demande également si le livre ne poursuit pas l’entreprise autofictionnelle qui surgit à certains moments dans Études, où il est question de voyages humanitaires en Russie. Car le texte n’est pas seulement une enquête, mais aussi un récit, celui du séjour de Jonathan Littell, de son voyage, de ses rencontres, de son passé (les souvenirs de la guerre) et des rapports qu’il entretient avec la Tchétchénie. Nous parlerons enfin de la figure de Ramzan Kadyrov, épouvantable et fascinante (une «personnalité délirante, parfois à la limite de la psychose») comme pourrait l’être un personnage de roman.


Sonia Anton
( Mis en ligne le 11/12/2009 )
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