L'actualité du livre Jeudi 28 mars 2024
  
 
     
Le Livre
Essais & documents  ->  
Questions de société et d'actualité
Politique
Biographies
People / Spectacles
Psychologie
Spiritualités
Pédagogie/Education
Poches
Divers

Notre équipe
Littérature
Philosophie
Histoire & Sciences sociales
Beaux arts / Beaux livres
Bande dessinée
Jeunesse
Art de vivre
Poches
Sciences, écologie & Médecine
Rayon gay & lesbien
Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un auteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Essais & documents  ->  Politique  
 

Les élites sont-elles encore fidèles à l'Etat ?
Pierre Birnbaum   Où va l'Etat ? - Essai sur les nouvelles élites du pouvoir
Seuil 2018 /  18 € - 117.9 ffr. / 145 pages
ISBN : 978-2-02-137757-6
FORMAT : 14,0 cm × 20,5 cm
Imprimer

L'ouvrage de Pierre Birnbaum propose de prolonger les analyses sociologiques sur les élites dans le cadre mondialisé d'aujourd'hui en reprenant ses travaux issus de la période des débuts de la Ve République (Les Sommets de l'Etat, essai sur les élites du pouvoir en France, 1977 ; Sociologie de l'Etat (avec Bertrand Badie), 1979). Le contexte de l'élection d'Emmanuel Macron en 2017, ancien haut fonctionnaire d'Etat démissionnaire, ainsi que le mouvement de polarisation socio-économique entre des élites déterritorialisées et libérales et des groupes défavorisés et en décrochage, avivent les questionnements sur les élites et leur rapport à l'Etat tandis que la France semble, comme d'autres sociétés, résister à la dernière mondialisation. Celle-ci remet en question l'Etat historique comme pôle d'organisation des pouvoirs. La France, modèle étatique historique fort, se caractérise par une élite politico-administrative puissante et privilégiée, bénéficiant d'une légitimité historique. 

Pierre Birnbaum constate une résistance française de "l'Etat fort" face aux forces du déclin et de son affaiblissement mondial. L'Etat à la française constituerait encore une opposition aux milieux d'affaires, économiques et également aux écueils de la corruption et du clientélisme. L'auteur décrit Emmanuel Macron comme le symbole du rejet de la caste politique par un représentant de la méritocratie. Cet épisode traduit une dissension au sein des élites avec la critique de la figure de l'homme politique perçu comme un commis de "l'ancien monde", jugé désormais inefficace et incompétent pour permettre la survie de l'Etat. Macron comme phénomène politique nouveau charrie une grande incompréhension qui se manifeste par des critiques classiques comme celle de "Président des riches". Il peut susciter la haine ou la caricature parfois réactivant les mythes historiques antisémites ou les harangues du Peuple contre les gros, les supposées "200 familles" issues du "capitalisme", qui écraseraient le bon peuple français des classes moyennes et populaires selon une dernière version modernisée d'une scène déjà jouée à plusieurs reprises dans l'histoire contemporaine nationale. (Pierre Birnbaum, Le Peuple et les gros, histoire d'un mythe, Grasset, 1979).

La circulation des élites politico-administratives françaises a fortement évolué depuis la période gaullienne, avec une entrée importante de membres des élites économiques et des affaires, ce qui est contraire à la "tradition" française d'un monopole du pouvoir par les énarques. La présidence Macron se caractérise par une baisse du nombre de hauts fonctionnaires dans les allées du pouvoir et la hausse des diplômés des écoles de commerce, qui étaient très peu nombreux auparavant. Ces nouvelles élites s'orientent plus facilement dans des parcours mêlant public, privé puis retour au public. Le Premier Ministre actuel, Edouard Philippe, incarne ces nouvelles trajectoires des énarques puisqu'il a été recruté au sein d'un cabinet d'avocats américain avant de devenir le Directeur des affaires publiques d'AREVA. Il a d'ailleurs incité les impétrants énarques, dans un discours aux nouveaux promus de l'Ecole Nationale d'Administration au Conseil d'Etat, à pratiquer cette circularité dans leur carrière comme une voie à suivre. Cette nouvelle circularité des élites politiques rompt avec une pratique plus traditionnelle coupée des milieux économiques et d'affaires qui inspiraient une méfiance certaine que l'on retrouve dans le discours politique classique vis-à-vis du monde de l'entreprise. Si l'ouverture au privé et aux affaires fut fluctuante avec déjà de nombreuses passerelles sous Nicolas Sarkozy, l'inclination du temps pousse à des collusions problématiques entre politique et économie, comme le montrent les carrières d'anciens dirigeants prestigieux comme Gerhard Schröder (Gazprom) ou Manuel Barroso (Goldman Sachs). 

L'ouvrage analyse également la sociologie des parlementaires élus en 2017 : sur 577 députés, au moins 187 sont actionnaires ou gérants de société. Le monde des affaires a fait son entrée dans l'univers institutionnel même s'il ne le domine pas. Le projet de loi sur la réforme constitutionnelle traduit cette méfiance de Macron vis-à-vis des élus politiques à l'ancrage local par rapport à un projet de modernisation de l'économie et de la société. Pierre Birnbaum note un rééquilibrage entre les cadres et employés du privé par rapport à ceux du public, en baisse dans la représentation nationale, et notamment les enseignants et hauts fonctionnaires. Ces modifications ne permettent pas de conclure pour autant à une forme de "privatisation" de l'Etat : les énarques qui pantouflent dans le privé ont encore tendance à revenir dans le public. L'ouverture au monde des affaires reste relative et pondérée : entre 1980 et 2009, seuls 8% des énarques ont durablement quitté le service de l'Etat. La mise en oeuvre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) sous Nicolas Sarkozy à partir de 2007, avec le management par objectifs et la culture du résultat chiffré, n'a pas fondamentalement échappé aux hauts fonctionnaires.

La France paraît nostalgique de la centralité de l'Etat qui n'existe plus dans un monde libéral globalisé. L'Etat a perdu son autorité et une partie de son pouvoir par rapport aux acteurs du marché. L'ouvrage reprend quelques conclusions de travaux de réflexion sur l'évolution de l'Etat en insistant sur la rémanence de l'Etat français par rapport aux institutions d'autres pays. L'auteur s'inquiète davantage de certaines pratiques que d'une déliquescence des élites politico-administratives : il cite le décret du 27 novembre 1991 qui permet à certains hauts fonctionnaires ayant exercé durant 8 années des activités juridiques de bénéficier du statut d'avocat de manière dérogatoire, à l'image de Dominique de Villepin, comme un exemple de "privilège". Mais c'est la corruption qui lui apparaît comme le fléau le plus menaçant, à l'image des affaires Cahuzac ou Guéant, qui fragilisent la confiance des citoyens dans les institutions.

L'essai est plutôt rassurant sur une certaine fidélité des hauts fonctionnaires envers l'Etat, qu'on pourrait probablement prolonger à une grande partie de la fonction publique. Il n'évoque pas d'autres dangers dans la phase d'involution étatique avec un profond affaiblissement de ses structures et un processus de démantèlement qui peut rendre son action inopérante pour les citoyens et saper sa fonction de "sécurité" au sens large : l'endettement massif des Etats et leur dépendance grandissante aux financements des marchés par rapport aux citoyens, le déclin du statut de la fonction publique et les débats sur le coût et la justification du statut dont les caractéristiques n'ont pas évolué avec celles du marché du travail, la dilution de la loi comme norme acceptée et applicable dans le contexte de l'Union européenne, la contestation de l'Etat comme redistributeur de richesses qui se manifeste par exemple dans le rejet de l'impôt, etc... 

Le dernier chapitre, "Sus à l'oligarchie", reprend les conséquences de cette contestation générale de l'Etat et de la montée des populismes : "Cette dilution relative de l'Etat, quoique largement exagérée, se révèle comme un terreau favorable à de nouvelles formes de populisme qui partent en guerre contre une supposée "oligarchie", un establishment dont la réalité est incontestable au sein de pays anglo-saxons dépourvus d'Etat fort ou encore dans les pays d'Amérique latine dominés par une classe supérieure fermée". L'auteur nous encourage à continuer à croire dans la capacité stabilisatrice et régulatrice de l'Etat français à partir de la sociologie de ses élites, qui a évolué mais n'a pas fondamentalement changé le rôle de "gardien de l'Etat". Un essai intéressant pour analyser et réfléchir au rôle de l'Etat dans un contexte de défiance et de délitement, qui peut paraître angoissant.


Dominique Margairaz
( Mis en ligne le 18/07/2018 )
Imprimer
 
SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

 
  Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
Site réalisé en 2001 par Afiny
 
livre dvd