|
Essais & documents -> Pédagogie/Education |
| François Moureau Le Nouveau prolétariat intellectuel - La précarité diplômée dans la France d'aujourd'hui Bourin Editeur - Place de la Sorbonne 2007 / 15 € - 98.25 ffr. ISBN : 2-84941-060-8 Imprimer
Depuis quelques décennies, nous entendons cycliquement quil faut «réformer luniversité» : dabord afin quelle accueille le plus grand nombre des étudiants qui ont bénéficié de la généreuse démocratisation du baccalauréat, puis pour réguler cette nouvelle «masse» dont on ne sait que faire.
La «massification» étudiante, ce serpent de mer qui menace aujourdhui toutes les filières, na-t-elle donc pas été prévue, planifiée ? Passe-t-on de 191 239 bacheliers en 1973 à 250 000 en 1985 et 506 608 en 2005 sans accompagner cet afflux toujours croissant vers les universités ? Il serait faux de dire que rien na été fait
mais on peut en revanche penser que ce qui a été fait, la parfois été en dépit du bon sens.
Il sagit dabord de se demander à quoi servent les études ? Etudie-t-on, comme on lentend parfois, pour passer son temps ? Certainement pas. La grande majorité des étudiants sinscrivent à luniversité parce quils nont tout simplement pas dautres choix, mais aussi parce quon leur a rebattu les oreilles avec la sempiternelle menace populaire «pas détudes, pas de travail». Ils étudient donc pour obtenir plus tard un emploi. Nest-ce pas une finalité rationnelle ? Luniversité est un pont entre le baccalauréat et le monde du travail, auquel cas les études supérieures contribueraient à la formation professionnelle. Cest une évidence dont, semble-t-il, nous navons pas assez tenu compte.
François Moureau analyse avec beaucoup de justesse le passage du «baccalauréat pour tous» au «maquis universitaire», où trouver sa voie nest pas simple (malgré la liberté de choix de la Loi Savary), et où trouver une voie qui permettra dobtenir lemploi rêvé est une gageure. Hormis les filières de médecine et de pharmacie, où lon entre (difficilement) pour apprendre un métier, et les formations professionnalisantes courtes, luniversité, il faut bien le dire, ne prépare pas les étudiants à leur futur emploi. Pour y remédier, certains préconisent un module obligatoire de recherche demploi qui comprendrait la maîtrise dune langue étrangère, de linformatique et de la rédaction dun curriculum vitae (rapport Hetzel). Mais cela ne saurait suffire
Pas plus que nont suffi les divers outils dinformation et dorientation au service des étudiants : les CIO (centres dinformation et dorientation) du secondaire, SCIUO (services communs universitaires dinformation et dorientation), CIDJ (centres dinformation et de documentation jeunesse) et lOnisep (office national dinformation sur les enseignements et les professions), qui délivrent une multitude de brochures, exposant clairement et en couleurs la diversité des cursus universitaires et des passerelles permettant daller de lun à lautre. Mais la réalité des inscriptions a tôt fait décorner les dépliants de ladministration
Il apparaît finalement plus simple et profitable de continuer à gravir les échelons de la filière choisie, jusquau Master, puis au Doctorat
A tort, semble-t-il, puisque «lemployabilité des formations générales diminue à mesure que sallongent les études». Nous entrons au cur du sujet de ce livre : Le Nouveau prolétariat intellectuel.
Si pour Guy Debord «le nouveau prolétariat tend à englober à peu près tout le monde», lexpression est surtout employée par nos politiques et sociologues pour parler des «ouvriers tertialisés» (Eric Maurin). Or, combien détudiants, et diplômés détudes supérieures, un Master ou un Doctorat en poche, vivent dans une grande précarité ? Ils ont presque 30 ans, habitent souvent en banlieue, cumulent les petits boulots et terminent une thèse qui ne leur apportera parfois rien dautre quun peu de satisfaction personnelle. Linadéquation des études à lemploi est pour certaines filières si importante que lintégration de létudiant dans la société est freinée par ses études au lieu dêtre facilitée par elles.
Après avoir très clairement exposé cet état des lieux de lenseignement supérieur français, à lappui de chiffres, mais aussi dexemples de terrain, bien plus parlant encore, François Moureau sinspire à la fois de son expérience, acquise à côtoyer les «nouveaux prolétaires intellectuels», et des récents rapports sur la précarité et lemployabilité des étudiants (rapport Wauquiez, 2005, rapport du Cercle Vinci, 2006, et enquêtes de lObservatoire de la Vie Etudiante) pour esquisser «quelques pistes», à la lumière de ce que font dautres États.
Le texte est riche, fort bien documenté et non partisan. Il ne sagit pas de défendre la sélection à tout crin, ni légalité massifiée, mais bien de chercher à comprendre comment et pourquoi notre société laisse vivre dans la précarité tant de bac+8
Rachel Mourier ( Mis en ligne le 24/01/2007 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Le Marché des universitaires de Christine Musselin | | |
|
|
|
|