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L’unité des complots américains | | | Laurent Guyénot JFK 11-septembre. 50 ans de manipulations Blanche - Contre culture 2014 / 16.95 € - 111.02 ffr. / 312 pages ISBN : 978-2-84628-340-3 FORMAT : 14,9 cm × 22,0 cm
L'auteur du compte rendu : Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, Agrégé d'histoire, Docteur ès lettres, sciences humaines et sociales, Nicolas Plagne est l'auteur d'une thèse sur les origines de l'Etat dans la mémoire collective russe. Il enseigne dans un lycée des environs de Rouen. Imprimer
Médiéviste, passionné danthropologie du religieux, spécialiste des mythes et de limaginaire du Moyen âge, lauteur a publié sur La Mort féérique et La Lance qui saigne. Mais Laurent Guyénot nest pas seulement docteur en histoire de Paris 4 Sorbonne, il est aussi ingénieur de lEcole nationale supérieure de techniques avancées et professeur danglais, et louvrage quil publie en janvier 2014 semble au croisement de ses différents centres dintérêts : force des images, puissance de limaginaire, rapport du mythe et de la réalité, manipulation des esprits et de linformation (dautant plus efficace quelle est mieux cachée), techniques contemporaines de contrôle et de propagande, tout cela considéré dans lespace politique et mental des États-Unis depuis les années soixante.
Lidée centrale de lauteur est simple : la politique américaine, cur de la politique occidentale depuis la Guerre Froide, est le lieu de complots contre la démocratie et la paix dans le monde ; organisées par des pouvoirs occultes extrêmement puissants, principalement le lobby militaro-industriel et lextrême-droite fascisante qui le dirige sous divers masques légaux, ces opérations secrètes, criminelles, ont pour but dorienter la politique des États-Unis dans le sens souhaité par ce courant et de détourner celui du vote démocratique, quand il pourrait gêner la réalisation des objectifs de ces groupes dintérêts ; car ces groupes sont aussi et avant tout les agents des puissances financières et économiques, qui tentent de contrôler la démocratie américaine depuis lorigine et qui voient dans lÉtat fédéral américain linstrument des grandes entreprises du pays («ce qui est bon pour nos entreprises est bon pour lAmérique») ; et quand la corruption généralisée ne suffit plus à orienter la décision du pouvoir politique constitutionnel, ces puissances nhésitent pas devant loption ultime du recours à la violence, calculée et contrôlée, de préférence maquillée en agression extérieure ou en accident ; trucage dautant plus réalisable que le crime organisé dispose souvent de relais essentiels, complices, dans lappareil dÉtat. Un État parallèle, ou plutôt : «lÉtat profond».
Partant de cette idée «machiavélienne» assez crédible sur la cruelle réalité des jeux de pouvoir dans nos démocraties et de la part essentielle du secret et du rapport de forces, lauteur essaie de démontrer que les cinquante dernières années peuvent être considérées comme lépoque dune hégémonie américaine basée sur deux crimes, majeurs pour lhistoire du monde et des États-Unis : lassassinat de John Kennedy en novembre 1963 à Dallas et leffondrement des tours du World Trade Center le ''11 septembre'' (2001). Que ces deux dates aient inauguré des tournants de la politique américaine et mondiale, voilà, pour Guyénot, qui témoigne déjà de limportance de lenjeu que constituèrent ces événements ; mais ces crimes énormes témoignent surtout pour lauteur de la volonté acharnée et de la détermination absolue de cette élite politico-militaro-économique étatsunienne, impérialiste et cynique, dimposer son agenda et un nouvel ordre mondial par tous les moyens, quitte à tuer ses propres citoyens et même ses dirigeants les plus célèbres dans des mises en scènes dramatiques et traumatisantes pour mieux justifier la radicalité des «réponses» à des supposés agresseurs qui ne sont que des leurres et jouer de lémotion pour empêcher au nom du patriotisme tout débat sur ces réponses. Le comble est atteint quand lassassinat instrumentalise lémotion autour de la mort dun dirigeant et la culpabilité diffuse de ne pas avoir su empêcher son meurtre pour obtenir le renversement complet de la politique quil aurait menée ! (Le syndrome Jaurès-Jouhaux juillet/août 14 ?) Une trahison de lesprit au nom de la fidélité à la mémoire, le tout au bénéfice des assassins !
Spécialiste danthropologie et de psychologie sociale, Guyénot défend sa thèse en insistant justement sur la maîtrise des outils intellectuels et des techniques appliquées de manipulation de lopinion par les services secrets et agences privées à lorigine de ces opérations. Ces méthodes de coups tordus ont dailleurs été appliquées hors des États-Unis par des services américains. Disposant dénormes moyens financiers et matériels, on ne voit pas ce qui empêcherait des organismes, parfois théoriquement publics mais quasi-incontrôlables et surtout très peu contrôlés, dintervenir sur le sol américain contre des «ennemis intérieurs» ou du moins des cibles jugées stratégiques ou tactiques. Seule la vertu, un civisme exemplaire, le respect des lois et de la constitution pourraient retenir ces bras armés aux cerveaux pervers
Or on peut se demander si leur machiavélisme connaît vraiment de tels scrupules ; une démocratie ne devrait pas trop y croire ! Mais surtout on connaît aussi bien que possible la mentalité et les conceptions politiques de ces élites et on a le plus grand mal à voir un hasard dans les assassinats et catastrophes, attribués à lennemi étranger, qui comblent si bien leurs vux et leur permettent aussitôt de triompher. On dira que ce sont des soupçons, mais ils sont forts et aux limites de lenquête que permet le secret défense des États-Unis.
Guyénot ne se contente pas de ces généralités. Il passe en revue les grandes affaires qui illustrent son propos et sattarde justement sur le bousillage des enquêtes officielles et les séries incroyables de coïncidences qui convergent vers le complot dÉtat. Dabord lassassinat de JFK : Guyénot démonte impitoyablement le dossier bancal et bâclé de la commission Warren, une version officielle imposée par la raison dÉtat qui ne semble avoir convaincu personne dans les élites américaines ni dans lopinion ! Soulignant les incroyables ratés de lenquête officielle, Guyénot montre de façon assez convaincante que le président a été très vraisemblablement victime dun complot savamment organisé, qui dépasse de loin le cas du tueur désigné Lee Harvey Oswald. La thèse du tueur isolé ne tient pas dautant que le coupable officiel aurait été incapable de réaliser le «job». Les pistes de Cuba et de lURSS ne sont pas plus crédibles, selon Guyénot qui rappelle la modération relative de JFK face à ses généraux en octobre 62, la décision du dialogue direct avec le Kremlin, leffort de rapprochement entre Kennedy et Khrouchtchev après la crise des missiles et leur idée commune de coopération pour le désarmement. Létrange assassinat immédiat dOswald en présence dune police bien inefficace est vraisemblablement le premier acte du bousillage de lenquête : lexamen des pièces du dossier révèle la très faible probabilité quOswald soit le meurtrier, alors que son implication semble avoir été conçue à son insu par ceux qui organisèrent le scénario de lassassinat. Mais ce lampiste aurait pu parler : il semble quOswald aurait soudain pris conscience peu avant son assassinat quil avait été manipulé pour servir de leurre ; aussi fallait-il le faire taire et vite. Ruby, texan anti-kennedyste quune étrange indignation et un patriotisme douteux poussent à assassiner «le tueur isolé», agit avec une facilité surprenante : il ne sait pas encore qui est cet Oswald qui débarrasse après tout le Texas conservateur du libéral Kennedy, la bête noire de la minute davant, mais il lui faut régler son compte de toute urgence à un assassin qui aurait de toute façon été exécuté ! Guyénot rappelle aussi létrange discours immédiat des mass media sur lévénement : tout cela sent lopération de communication préparée de longue main. Tant de gens en savent tant si vite quils ne pouvaient pas savoir et ce nest même pas du savoir, mais une vérité fabriquée qui servira longtemps. Comme si, lancée presque avant le meurtre, elle devait fixer les esprits une fois pour toutes en vertu de la force du trauma associé !
Lassassinat de Robert Kennedy en 1968, au moment où il venait de triompher dans des primaires qui lui ouvraient la marche royale à la candidature démocrate à la Maison Blanche, semble également relever du complot. Limprobable tueur de Bob Kennedy naurait-il pas été manipulé psychiquement selon les méthodes les plus modernes de lépoque ? Lassassinat in-élucidé la même année de Martin Luther King, soutien possible de Robert Kennedy à lélection présidentielle, peut-il être séparé de cette série ? Le leader pacifique des marches pour les droits civiques ne sétait-il pas radicalisé politiquement jusquaux limites de lacceptable pour lestablishment et lappareil militaire dEtat ? Car Guyénot rappelle que ces crimes quon voudrait faire croire isolés et sans lien ou dus à des États étrangers se produisent tous soit aux prémices de la Guerre du Vietnam, soit pendant la Guerre du Vietnam, et visent des personnalités éminentes et influentes qui, dit-il, tentaient de lempêcher, de la limiter ou de sy opposer.
Rappelant limportance de la période Reagan et Bush père pour le renforcement de la CIA et des opérations secrètes à létranger, Guyénot considère que le 11 septembre est lhéritier des conceptions et des pratiques, violentes et cyniques, des néo-conservateurs, et il voit dans la famille Bush le fil rouge sang de cette histoire. George Bush père na-t-il pas été un des agents puis le patron de la CIA ? Sur le 11 septembre, Guyénot est sur la ligne quon appelle parfois «conspirationniste» de Thierry Meyssan mais aussi du politologue allemand et spécialiste réputé des services secrets Andreas von Bülow (ancien ministre allemand de la défense de Helmut Schmidt) et de bien dautres. Au lieu de chercher à les ridiculiser, leurs adversaires devraient surtout répondre techniquement aux questions embarrassantes, très précises, quils posent et qui restent insolubles dans le cadre de la réponse officielle.
Ce livre se lit agréablement et fait réfléchir de façon provocatrice mais documentée et suggestive à plusieurs dossiers mystérieux de lhistoire récente, en utilisant de façon opportune des notions méconnues de politologie et sciences sociales. On peut lui reprocher peut-être un certain philo-kennedysme, un peu candide peut-être, mais Guyénot est en accord ici avec la thèse récente de James W. Douglass (JFK et lindicible), soutenu lui-même par le fils de Robert Kennedy et neveu de JFK. Concernant laction funeste des néoconservateurs et de lÉtat profond, Guyénot est au diapason de la vision tragique de lex-diplomate canadien Peter Dale Scott et plus récemment de lancien agent américain Edgar Snowden ! Lauteur a aussi laudace de briser des tabous, comme celui du rôle des services israéliens dans les complots de lempire américain. On peut bien sûr pointer labsence des preuves définitives à ces «hypothèses habiles» quon trouvera peut-être excessives ou partiales. Mais cest reconnaître que la politique aujourdhui comme hier est largement un continent immergé sous les eaux sombres de lidéologie, de la désinformation et de lignorance. La vertu de ce genre de reconstitution hypothétique de lhistoire est de souligner à quel point la version officielle (ou ses versions concurrentes) reste en-deçà de ce que devrait être lhistoire «scientifique». La recherche sérieuse et contradictoire doit continuer et on attend avec intérêt les réfutations argumentées !
Nicolas Plagne ( Mis en ligne le 17/06/2014 ) Imprimer | | |
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