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''La dose fait le poison''
Soraya Boudia & Nathalie Jas   Gouverner un monde toxique
Quae éditions  2019 /  15 € - 98.25 ffr. / 121 pages
ISBN : 978-2-7592-2946-8
FORMAT : 12,0 cm × 19,0 cm
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A lire en parallèle avec l'ouvrage de la journaliste Stéphane Horel, Intoxication (2015), qui montrait par quels biais politico-institutionnels et avec quelles pressions lobbyistes la question des perturbateurs endocriniens avait été déplacée administrativement, déclassée politiquement et déchiquetée scientifiquement durant son parcours dans les institutions européennes, le livre des sociologues et historiennes des sciences Soraya Boudia et Nathalie Jas est une démonstration fort bien documentée, implacable et à vrai dire désespérante de l'incapacité politique de gérer la question de la multiplicité et de la nocivité des produits chimiques.

Car on a tendance à oublier qu'à la base de toute création industrielle, et même pour les objets les plus anodins, il y a des processus chimiques qui exigent des substances parfois fort complexes, souvent renouvelées en fonction d'impératifs essentiellement économiques, et dont la production tout autant que l'utilisation ou encore les interactions amènent d'immenses problèmes environnementaux et sanitaires – aisés à soupçonner voire à constater, mais difficiles à faire entrer dans des cadres d'analyse scientifique, épidémiologique, légaux et, au final, d'action politique.

Ces substances peuvent poser plusieurs problèmes, cumulables : en sus d'être toxiques, elles peuvent persister longtemps dans l'environnement (le plastique) ou sont carrément impossibles à faire disparaître (les métaux lourds) ; elles peuvent voyager et contaminer sur de longues distances ; elles peuvent s'accumuler et activer ou augmenter le caractère toxique d'autres substances ; enfin, certaines, comme les nanoparticules, ont par leur taille minuscule la capacité de passer la plupart des barrières physiques et physiologiques. Face à ces problèmes, les Etats industriels développèrent trois stratégies (combinables) dont les auteurs retracent l'histoire, les législations principales, les institutions (Food and Drug Administration, Codex alimentarius, etc.) et les aléas politiques, et dont ils tentent d'évaluer les maigres réussites.

D'abord, la maîtrise par la mise au point de normes techniques ou de limitation d'émissions qui ne remirent pas en cause les activités industrielles, notamment en déterminant des territoires d'accueil et de relégations des industries polluantes, sans bien entendu aucun souci ni de l'environnement ni des populations pauvres qui y vivaient – d'où la naissance des mouvements de justice environnementale aux Etats-Unis. Il s'agissait de mesures a posteriori, prises après l'introduction des substances, et sans que le principe de cette production, de sa légitimité ne fut mis en cause ; le nombre de produits évalués était largement en dessous des produits mis sur le marché et les évaluations étaient faites par les entreprises elles-mêmes, avec peu d'information donné au grand public. Il permit cependant des classements (nationaux puis internationaux) des substances afin d'assurer leur traçabilité (stockage, vente, conditionnement, usages). La logique scientifique de cette optique était d'établir des valeurs limites d'exposition («la dose fait le poison»), sans qu'elles devinssent des prétextes à des barrières douanières qui eussent nui au commerce international... Ce modèle fut remis en cause par l'étude de produits carcinogènes, nocifs mêmes à petites doses, avec un vain appel scientifique à l’interdiction totale de tels produits.

Le deuxième stratégie, celle de la gouvernance par le risque, réagit aux critiques virulentes des années 1960, à la naissance d'organisations non gouvernementales transnationales et à l'introduction de nouveaux questionnements, parmi lesquels les effets irréversibles de la pollution, la remise en cause des décisions seulement basées sur des critères scientifiques, et les incertitudes, l'absence phénoménale de connaissance des substances produites. On fit donc intervenir l'idée probabiliste d'un risque raisonnable, donc d'un contrat social de type utilitariste (et basée sur des calculs économiques) par lequel on donnait son accord à un certain risque et un système de compensation plutôt que d'exiger une absence de risque assurée en amont. Autrement dit, on construisit l'acceptabilité sociale du désastre. Or ce modèle présentait bien des défauts, tenant au fait que, d'une part, il était difficile d'évaluer, de quantifier une externalité négative, ou de comparer deux situations, surtout si l'on articulait le risque sur un critère dominant comme la morbidité, en oubliant les autres ; que, d'autre part, il validait une organisation technocratique dont aucun panel de citoyens ne vint mettre le monopole en cause ; qu'enfin les individus ont bien des difficultés à évaluer correctement les probabilité et sont sujets à des biais cognitifs désormais connus, que les industries pouvaient allègrement utiliser. Il est à noter que cette stratégie est aujourd'hui encore dominante. La troisième consista à promouvoir l'adaptation, la «résilience», donc l'acceptation fataliste des effets délétères des substances chimique : information et participation aidant, c'était désormais les clients, les usagers, les citoyens de manière générale, qui devaient adapter leur comportement pour éviter les contaminations !

Le grand absent de l'analyse de Bouydia et Jas, c'est le principe de précaution. Est-ce à dire qu'il n'a eu aucun impact ? Ou qu'il est un dispositif gadget de la deuxième stratégie ? Le sujet aurait mérité un débat et une analyse de l'utilisation scientifique et juridique de ce concept.


Frédéric Dufoing
( Mis en ligne le 27/05/2019 )
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