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| Les minutes d'un juge d'instruction | Eva Joly Notre affaire à tous Gallimard - Folio Documents 2002 / 4.5 € - 29.48 ffr. / 256 pages ISBN : 207042376X Imprimer
Avant de créer lévénement en claquant la porte du TGI de Paris, bien avant de devenir le symbole de la justice financière en France, Eva Joly a grandi « dans le ciel », dans « le pays où lhomme est le plus proche des Dieux » : la Norvège. Des figures merveilleuses émaillent son enfance : ancêtres producteurs de framboises, agriculteurs de montagne, grand-mère « une femme magnifique » - propriétaire dun salon de coiffure et chanteuse dopéra à ses heures, père fabricant de costumes militaires
Gro Farseth, qui allait devenir Eva Joly, en gardera un goût prononcé pour les étoffes riches, et une confiance absolue dans la vie.
Elle débarque à Paris en 1964 comme jeune fille au pair, « tombe en amour » avec Paris, puis senamoure du fils de la famille Joly. Elle a vingt ans, lui vingt et un. Comme il na pas fini sa médecine, elle sera secrétaire. Les cours du soir mènent Eva à un premier poste de conseillère juridique dans un hôpital psychiatrique de lEssonne qui la marque à jamais : « la vie na pas de sens si on nouvre pas chaque jour de nouvelles portes en soi. » Un concours exceptionnel daccès à la magistrature lui ouvre la porte, en 1981, du parquet dOrléans où elle devient substitut du procureur. Deux ans plus tard, elle rejoint le TGI dEvry, où la confrontation quotidienne avec la petite déliquance lui démontre avec violence linadaptation du système judiciaire à la misère sociale. Un passage au Ministère des Finances (1989), dans le cadre du Comité interministériel pour la reconstruction industrielle, linitie enfin à la « culture daction ». Promotion au mérite, absence de bruits de couloir, respect des horaires et
matériel informatique ! Cest un choc. A cet égard, lentrée dEva à la Galerie financière du palais de Justice de Paris, en 1993, sera un retour à « la guerre des crayons » mais une deuxième révolution est en marche, tout juste commencée.
Notre affaire à tous nest pas un pamphlet destiné à faire trembler de nouveaux patrons, à stigmatiser les coupables de la dérive de la justice française, ou à faire la démonstration didactique et culpabilisante de nos responsabilités « à tous ». Bien au contraire. Ecrit sous la forme dun récit simple et au jour le jour, Eva Joly raconte son histoire de « personne ordinaire dans un contexte extraordinaire ». Avec sobriété et pudeur, elle exprimer ses doutes, ses espoirs, ses euphories dans le but de se guérir de son « double de papier » qua engendré sa médiatisation soudaine et excessive.
En cela, les « minutes » dEva Joly nont rien de commun avec celles de Laurence Vichnievsky ou dEric Halphen qui ont été publiées au même moment. Mais elles font incroyablement mouche. Au fil de la narration, personnelle et minutieuse, qui nous attache aux pages malgré nous, se compose peu à peu le tableau dune justice vétuste en décalage abyssal avec la réalité. La justice, qui semblait déjà désarmée face à la petite délinquance, vole en éclats devant le déficit de moyens et lanachronisme des mentalités. La démonstration est simple : notre représentation du monde reconnait un seul processus pénal, fondé sur la rédemption. Le criminel reconnaît son geste et paie sa dette par une condamnation. La société sengage à le « rééduquer socialement ». A rebours, les personnes qui pratiquent la corruption ne sont pas des enfants battus ou des victimes de la societé. « Leur parcours reflète au contraire une suradaptation et une aisance sociale remarquable ». Par ailleurs, « un délinquant financier navoue jamais... » Tant que la justice naura pas pris acte de ce bouleversement intellectuel, elle tournera à vide, reproduisant à linfini ce curieux article du code pénal : « La loi sapplique à tous, sauf à celles et à ceux qui détiennent un pouvoir politique ou économique. »
Florence Puech ( Mis en ligne le 25/04/2002 ) Imprimer | | |
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