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Hallali sur l'Arabie
Robert Baer   Or noir et Maison-Blanche - Comment l'Amérique a vendu son âme pour le pétrole saoudien
Gallimard - Folio Documents 2004 /  5.30 € - 34.72 ffr.
ISBN : 2-07-031519-3
FORMAT : 11x18 cm

L'auteur du compte-rendu : agrégé et docteur en Histoire, Adrien Lherm est maître de conférences à l'université de Paris IV où il enseigne la civilisation des Etats-Unis. Il est l'auteur de La culture américaine (Editions du Cavalier Bleu, 2002) et co-auteur de La Civilisation américaine (PUF, 2004) sous la direction d'André Kaspi.

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Tous les ingrédients d'un roman ou d'un film catastrophe. Sauf que, nous dit Robert Baer, ancien agent démissionnaire (en 1997) de la CIA, le scénario n'a rien de fictif. N'est-il pas déjà en train de se jouer, comme le suggèrent les attaques du 11 septembre et leurs répétitions : attentats de 1993 contre le World Trade Center, de 1995 à Riyad, de 1996 à Khobar, de 2000 contre l'USS Cole ? Le livre s'ouvre d'ailleurs sur l'hypothèse du sabotage de champs pétrolifères d'Arabie, à la mise en oeuvre présentée comme relativement aisée, et aux conséquences désastreuses pour les économies occidentales.

Responsable des questions du Moyen-Orient dans les bureaux de Langley, attaché dans diverses capitales de la région, R. Baer a passé le gros de ses 21 années d'agent secret à rechercher pour son compte les raisons de l'hostilité de nombre de musulmans à l'égard de Washington. Ce qui l'a amené à prendre le chemin de Damas, certes, mais aussi à emprunter ceux de Beyrouth, d'Amman, des nouvelles républiques d'Asie centrale, qui tous, selon lui, conduisent à Riyad. Au reste, 15 des 19 pirates de l'air du 11 septembre 2001 venaient d'Arabie saoudite. Pas de doute d'après l'auteur : les réseaux fondamentalistes terroristes qui prolifèrent convergent autour de la manne de pétro-dollars dispensée par la famille royale saoudienne - sous les yeux fermés et les mains tendues des responsables politiques de Washington, coupables de «bienveillante négligence» et de corruption. Car l'or noir alimente depuis 60 ans la prospérité américaine et arrose depuis au moins 30 ans la Maison Blanche, l'Administration, et tous ceux qui comptent dans la capitale fédérale.

Quelques dates jalonnent cette histoire d'une amitié empoisonnée : 1933, première concession américaine en Arabie, 1945, accord passé entre F. D. Roosevelt et le roi Saoud, qui scelle l'abondance pétrolière à bas prix et la prospérité des Trente Glorieuses, puis les chocs de 1973 et 1979-80 avec l'intérêt renforcé pour cette matière première stratégique et l'afflux d'argent saoudien dans les économies occidentales. L'affaire est donc entendue : pour Washington, l'Arabie est un puits intarissable de pétro-dollars reposant sur un bouclier ou régime stable, Riyad sa meilleure alliée dans la région, Israël excepté. Pas question de voir qu'un clan de plus en plus cupide se maintient au pouvoir et poursuit son pompage des ressources du pays en suréquipant sa police et son armée (d'où des contrats juteux pour les compagnies américaines) et en achetant la paix sociale et politique par le soutien apporté à des associations fondamentalistes wahhabites. Ainsi de la famille Ben Laden, chargée de construire dans le pays des milliers de mosquées destinées à occuper les journées d'un peuple désoeuvré, démobilisé, devenu rétif au travail. Ces groupes ont beau jeu de dénoncer ces collusions d'intérêts, la corruption des dirigeants, leurs compromissions avec la «vraie religion», leur impuissance face à Israël, la présence d'«infidèles» en terre sainte : moyennant financement, ils acceptent de différer leur sape finale du régime pour s'en prendre aux intérêts et ressortissants occidentaux ailleurs dans le monde musulman, et même au-delà, organisant une nébuleuse terroriste à l'échelle mondiale. Sans que personne, pendant longtemps, ne s'en soucie à Washington.

Comme dans un précédent ouvrage, La Chute de la CIA (J.-C. Lattès, 2002), qui déjà tirait la sonnette d'alarme, la censure de l'Agence s'exerce sur les travaux de ses membres, en activité ou anciens : R. Baer choisit de laisser apparaître les passages soustraits au public. Pour mieux rendre compte de sa manipulation et de l'entreprise d'occultation au sommet.

Ce document foisonnant, qui s'apparente au thriller ou au roman d'espionnage, à l'image d'une vie présentée sous l'angle de l'action et de l'engagement, entre tractations avec un trafiquant d'armes russes sur la côte israélienne, échanges avec un prince qatari en exil à Beyrouth, conversations avec un haut responsable de la police à Damas, ou encore entretiens avec un ancien membre du KGB du côté de la Kirghizie, pour ne citer que quelques-uns des récits, tous situés très loin de Riyad, fait entendre le cri d'indignation d'un Eliot Ness de la CIA, seul, pratiquement contre tous, à s'intéresser à cette menace qu'il juge pendante. Rien d'académique ni d'historique, mais la présentation d'une mission quasiment impossible, et pourtant indispensable : Baer se veut un moderne Héraklès cherchant à faire le ménage dans les écuries d'Augias, à grand renfort de l'eau de l'opinion publique, pour faire bouger les responsables politiques de Washington, visiblement englués dans le marigot des pétro-dollars. En somme, un peu d'encre noire pour faire pavé dans la mare -bien noire. «Quoi qu'il en soit, mon propos n'est pas celui d'un historien ; j'écris ce livre pour contribuer à faire émerger la vérité. Tant que nous n'exigerons pas la vérité de l'Arabie Saoudite - et tant que nous ne cesserons pas de nous mentir à nous-mêmes - on peut être certains que l'on n'en aura pas fini avec des tragédies comme celle du 11 septembre ou celle de l'assassinat de Daniel Pearl (à qui est dédié l'ouvrage)».

Cette mise en scène parfois irritante rappelle néanmoins un certain nombre de problématiques des relations internationales contemporaines : la dépendance pétrolière des Occidentaux et en particulier des Américains envers le pétrole saoudien ; le pacte faustien, signé au temps de la guerre froide, entre Washington et les mouvements religieux arabo-musulmans, afin de contrer les nationalistes laïcs arabes dans la région (Nasser) puis les Soviétiques (Afghanistan) ; la dissémination et l'expansion de la menace terroriste islamiste depuis ; les fragilités accrues de l'Arabie (paupérisation relative, mécontentement populaire qu'attisent les fondamentalistes religieux, sentiment d'humiliation, etc).

Ce livre recoupe beaucoup des analyses de Richard Labevière (Les Dollars de la terreur. Les Etats-Unis et l'islamisme, Grasset, 1999) et partage les conclusions alarmistes d'autres observateurs, comme Laurent Murawiec (La guerre d'après, Albin Michel, 2003). Le sujet est d'actualité : certains spécialistes ont fait de l'intervention américaine en Irak le prélude au grand ménage de l'Arabie, le levier destiné à permettre à Washington de mettre Ryiad sous pression sans menacer son approvisionnement pétrolier. Les ouvertures actuelles concédées par la dynastie saoudienne (création d'un «parlement», premières perspectives d'élections) en sont-elles la preuve ? Après la lecture de cet ouvrage, il y a tout lieu de le croire. Doit-on s'en féliciter ? Voire ! Les barils d'or noir accumulés se sont transformés, semble-t-il, en barils de poudre, aussi l'avenir reste-t-il bien inquiétant : «l'Arabie Saoudite est une sacrée pagaïe et c'est notre sacrée pagaïe». R. Baer ne nous engage guère à l'optimisme, vendre son âme a un prix, dixit, et il faudra bien le payer en son temps : «Washington nous a forcés à coucher avec le diable. Il a fait son lit, bordé les couvertures et a invité le diable à nous rejoindre. Nous lui avons murmuré des mots tendres à l'oreille, juré un indéfectible amour. Quand les choses ont commencé à tourner à l'aigre, Washington psalmodiait que tout allait bien, sa main affectueusement posée sur celle du diable. Et tout ce temps, nous ne quittions pas des yeux, éclairé d'un rayon de lune sur la table de nuit, son portefeuille bourré de dollars.»


Adrien Lherm
( Mis en ligne le 13/10/2004 )
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