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Délits de mineurs, délits mineurs
Isabelle Coutant   Délit de jeunesse - La justice face aux quartiers
La Découverte - Textes à l'appui 2005 /  25 € - 163.75 ffr. / 325 pages
ISBN : 2-7071-4371-5
FORMAT : 14x22 cm

L’auteur du compte rendu : Ludivine Bantigny est agrégée et docteur en histoire. Elle enseigne à l’Institut d’Études politiques de Strasbourg et à l’IEP de Paris. Sa thèse, soutenue en 2003, s’intitulait «Le plus bel âge ? Jeunes, institutions et pouvoirs en France des années 1950 au début des années 1960».
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Issu d’une thèse de doctorat dirigée par Gérard Mauger, ce travail prend place dans la sociologie de la déviance et de la délinquance, mais en montre aussi les renouvellements. Remarquant en préambule l’intolérance grandissante à l’égard des déviances juvéniles, intolérance qui se cristallise dans les nouveaux délits inscrits au Code pénal (tags, racket, intrusion dans un établissement scolaire et tout récemment «outrage au drapeau tricolore et à l’hymne national»), et constatant l’augmentation du nombre de mineurs incarcérés (4 030 en 1998 contre 2 368 en 1993), l’auteur s’interroge sur les causes de cette inquiétude qui paraît s’amplifier. Pour ce faire, son enquête de terrain se fonde sur deux observatoires de choix : d’une part, les audiences consacrées aux petits délits des mineurs primo-délinquants en maison de justice et du droit (MJD), institution typique d’une nouvelle «justice de proximité» ; d’autre part, la formation mise en place par la Protection judiciaire de la jeunesse dans un centre d’action éducative de la banlieue parisienne : l’étude de tels stages, dits «de socialisation par le BAFA», permet de mesurer les modalités de la réinsertion (changements intervenus chez les jeunes dans le rapport au temps, au corps, aux normes, etc.).

Pour comprendre les peurs que suscite la déviance des mineurs, Isabelle Coutant a la bonne idée de se tourner vers les plaignants. Elle constate une évolution nette : dans les années 1950 et 1960, les classes populaires avaient très peu recours à la justice, les choses se réglaient «entre soi», et l’institution judiciaire renvoyait au monde de «l’autre». À présent, les plaignants sont le plus souvent issus des franges supérieures de la classe ouvrière, des petits fonctionnaires et des employés. Pour autant, malgré d’évidentes proximités dues à l’appartenance commune aux milieux populaires, l’identité sociale des deux groupes, plaignants d’un coté, «mis en cause» de l’autre, diffère : c’est notamment l’opposition entre «jeunes des cités» et «jeunes des pavillons». Mais ce sont aussi les agents publics qui portent plainte : policiers et enseignants se sentent souvent démunis, abandonnés par l’institution, et semblent ne plus croire en la légitimité de leur intervention.

Grâce à une étude menée auprès des jeunes, c’est toute une «culture de la rue» qui se dessine au fil des pages. La réflexion sur la réputation et sur «la flambe» conduit à une belle comparaison avec les valeurs aristocratiques : dans les deux cas, «il s’agit de tenir son rang». Max Weber et Norbert Elias sont sollicités pour expliquer que la dépense ostentatoire (le goût pour «les marques») a sa logique au sein du groupe des pairs ; elle s’apparente, toutes proportions gardées, au luxe de la noblesse d’Ancien Régime par opposition à l’«éthique protestante». «À travers le capital économique, c’est in fine du capital symbolique qui est recherché.»

Isabelle Coutant rejette avec force la thèse de nombreux hommes politiques selon laquelle la démarche sociologique échouerait à expliquer la délinquance juvénile : avec de tels propos, le pouvoir tend à individualiser des problèmes qui sont avant tout sociaux et économiques. Au contraire, la sociologie, telle du moins qu’elle se pratique ici, a pour vocation d’analyser les phénomènes sociaux pour éventuellement agir sur des causes elles aussi sociales : «l’exacerbation des inégalités sociales, la précarisation des classes populaires, le déclassement d’une partie de la fonction publique chargée d’encadrer des populations marginalisées». Ce qui n’entrave pas le respect manifesté pour la singularité des trajectoires décrites et la mise en évidence d’autres facteurs que les seules variables socio-économiques : configuration familiale, place dans la fratrie, trajectoire scolaire, notamment.

Reprenant à Durkheim l’expression d’«éducation morale», Isabelle Coutant s’interroge sur son efficacité en cernant la pratique des délégués du procureur et des éducateurs. L’auteur récuse l’idée d’une «crise de la morale» et montre que la culture de la rue répond au contraire à «un ethos très contraignant». Elle se pose aussi la question de la portée de la menace exercée sur les mineurs lors de la comparution en justice. Or, puisque avec le passage à l’âge adulte intervient de manière très générale la sortie de la délinquance, il lui semble essentiel «de maintenir “l’espace des possibles” suffisamment ouvert et d’éviter d’alourdir inconsidérément les casiers judiciaires».

Enfin, le travail du sociologue ne saurait se passer de réflexivité. Le retour sur soi et sur le déroulement de l’étude est ici sensible et intelligent. Isabelle Coutant fait part avec beaucoup de sincérité du malaise qu’elle a éprouvé au cours de son enquête. Cette perturbation, née de la rencontre aussi bien des plaignants que des jeunes incriminés, était liée à une certaine empathie : les points de vue des uns et des autres semblaient également fondés. Une inquiétude surgit aussi, qui n’affaiblit pas l’ouvrage mais au contraire lui confère une valeur réflexive indéniable : par la construction d’un discours sociologique sur les jeunes «des cités», la crainte était «d’aggraver le stigmate» et de participer à la dramatisation de ce problème largement médiatisé. Mais ce qui différencie évidemment cette étude de tout le discours médiatique sur «les jeunes des banlieues», c’est la richesse de son analyse et sa mise en contexte social, interdisant toute banalisation et toute généralité.


Ludivine Bantigny
( Mis en ligne le 28/03/2005 )
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