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Déconstruction et démythification des légitimations pseudo-morales de l’mpérialisme
Jean Bricmont   Impérialisme humanitaire - Droits de l'homme, droit d'ingérence, droit du plus fort ?
Aden 2005 /  18 € - 117.9 ffr. / 253 pages
ISBN : 2-930402-14-8
FORMAT : 14,0cm x 20,0cm

Préface de François Houtart.
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Jean Bricmont, professeur de physique théorique à l’Université de Louvain et rationaliste, est de ces scientifiques qui n’oublient pas qu’ils sont aussi et avant tout des citoyens. C'est en effet un homme libre et, au sens noble du terme, un intellectuel, comme autrefois le philosophe et logicien anglais Bertrand Russell ou aujourd’hui Noam Chomsky.

Pour un homme qui a poussé très loin la spécialisation intellectuelle, sans jamais perdre de vue la limitation propre à chaque discipline, ni la complexité de l’être, être un citoyen c’est bien plus que l’usage de son droit de vote et la défense au café du commerce d’une des options politiques suggérées par les partis et les mass media. Etre citoyen, c’est chercher à comprendre sur quoi l’on devrait nous demander de nous prononcer en tant que peuple souverain, devancer les questions qui ne sont pas posées mais devraient l’être, formuler pour soi les problèmes fondamentaux de la dignité humaine, du développement social et culturel, de la liberté politique commune, et chercher honnêtement et courageusement les solutions conformes à notre honneur de démocrates.

Noblesse oblige : le scientifique des «sciences dures», sans confondre son champ professionnel avec le tout de l’existence, se sent obligé de participer à la formation de l’opinion de ses concitoyens et de ses lecteurs en général en mettant à leur service son expérience du travail logique et critique de la raison, sa culture pluridisciplinaire, sa vaste curiosité empirique pour le monde. L’une des maximes de Bricmont est que si nous nous laissons imposer des alternatives biaisées sur la base d’informations fausses (qu’elles soient gravement incomplètes ou mensongères), notre jugement est abusé et notre liberté ridiculisée et manipulée.

Or quoi de plus grave pour notre liberté aujourd’hui que les nouvelles formes du pouvoir illégitime avec ses abus et ses violences surtout quand elles se cachent derrière l’exaltation publicitaire de notre liberté de consommateur et de notre épanouissement dans le fétichisme commercial (l’aliénation par les grandes compagnies internationales) ou derrière le bluff obscène, idéologique, du combat pour le progrès dans le monde (l’impérialisme) ? Si Bricmont, avec quelques autres combattants de la vérité (qu’il cite en notes et bibliographie), se sent obligé d’entrer dans l’arène, c’est que «les mécanismes idéologiques dans les sociétés démocratiques» vont trop loin et abrutissent généralement les citoyens.

Dans son premier chapitre, «Pouvoir et idéologie», il montre la collusion des media et d’une caste universitaire et intellectuelle occidentale dans la célébration complaisante de la grandeur libérale et démocratique des puissances qui dominent ensemble politiquement et économiquement le reste du monde, et dénonce le ralliement conformiste et fataliste, naïf ou hypocrite, de la majorité de la gauche intellectuelle à l’idéologie de guerre froide des Etats-Unis. Toute grille d’analyse réaliste en géopolitique est relativisée au profit de l’infantilisme du combat manichéen du Bien (Nous, la démocratie absolue et la Fin de l’Histoire ) et du Mal. Du marxisme on ne tire même plus de leçons élémentaires et triviales, admises par presque tous (même à droite) pendant des décennies, pour les rapports de force dans le jeu international ou sociopolitique national. La chute du bloc communiste est naturellement responsable de cette régression intellectuelle et politique : un événement problématique et complexe a été immédiatement tenu pour la preuve évidente et suffisante de la caducité totale du marxisme et de l’inanité même (glissement que les plus lucides prévoyaient aussitôt) de l’idéal social-démocrate (excessivement égalitaire, coûteux, archaïque, sclérosant, finalement trop socialiste) face au capitalisme.

Bricmont, qui n’a jamais tenu l’URSS ou la Chine pour des modèles de société mais dénonce fermement la nouvelle mythologie et ses dégâts, met en cause le rôle des pseudo-débats pluralistes dans la légitimation de ce discours dominant et mensonger. La force des démocraties capitalistes est de simuler le débat (en le cadrant soigneusement) pour mieux le désamorcer. Ainsi, pour les relations internationales, notre monde médiatique plus bavard que jamais nous abreuve de discussions sur tout sauf le fond des affaires : on ne demandera jamais si les puissances occidentales qui ont leurs plans sur le monde ont «le droit» de s’ingérer dans les affaires du Sud, mais si c’est «efficace», «utile», etc. C’est que les «droits de l’homme» sont devenus, depuis 1945 et surtout 1989, le paravent de toutes les ingérences impérialistes de l’occident démocratique. A priori tenues par leurs media pour sincères, les puissances occidentales trouvent toujours des prétextes pour intervenir, en invoquant de grands principes universels, sans trop s’embarrasser de cohérence dans l’application (pourquoi intervenir alors ici plutôt que là ?) : le «réalisme» arrive à temps pour justifier tous les traitements différentiels de circonstances. En somme, l’intérêt s’habille de vertu. Avec la caution d'intellectuels patentés...

Or «Le tiers-monde et l’Occident» (chapitre 3), c’est avant tout une histoire d’impérialisme, avec ses victimes directes, coloniales et néo-coloniales ; avec ses opérations de déstabilisation qui «tuent l’espoir» d’un développement national loyal des anciennes colonies ; avec ses rapports de force dus à la dépendance de l’occident pour l’énergie et certaines matières premières ou du travail à bas coûts envers le Sud qu’il faut maintenir sous tutelle et à disposition, par les menaces et les sanctions. Pendant la Guerre froide, l’idéologie a constamment agité le bluff de «la menace communiste», mais les exemples abondent de coups d’Etat évidemment orchestrés par l’occident et surtout les Etats-Unis pour écraser des nationalismes réformistes (Arbenz au Guatemala, Mossadegh en Iran). Une vaste littérature existe à ce sujet, sans mériter l’attention des media. Or tout cela explique, mieux que les infiltrations communistes, soviétiques ou chinoises, la haine viscérale envers notre bel Occident dans le Sud et la séduction, mythique ou pas, du modèle contraire. Notre mensonge idéologique éclate alors quand il inverse cause et effet : de même aujourd’hui, quand nous feignons de ne pas comprendre les origines de l’islamisme, en partie irrationnel soit, après avoir neutralisé les tentatives laïques de développement arabe et gémissons sur le racisme anti-blanc.

Le chapitre 4 pose donc avec insolence, cruauté et pertinence les «Questions aux défenseurs des droits de l’homme» qui manient avec aisance le deux-poids-deux-mesures et donc le chauvinisme collectif occidental, sans jamais se départir de grands discours universalistes. Peut-on exiger de pays sous-développés qu’ils soient aussi respectueux que nous des droits de l’homme, sans prendre en compte «la question de la transition ou du développement» ? C’est oublier ce qu’a été l’histoire réelle et la durée de notre développement. Or nous en tirons parti pour agresser ces pays du haut de notre conformité exemplaire à la Morale, à la Démocratie. Il faudrait poser loyalement «la question des priorités entre types de droits» dans ces pays entre les socio-économiques et les politiques, quand il semble difficile de les concilier (or combien de temps a-t-il fallu au mouvement socialiste occidental – ou plutôt européen ! pour obtenir un vrai Etat-Providence ?). Un régime autoritaire faisant régner une solidarité et une répartition décente des biens et services vitaux dans son pays est sans doute une phase obligée de constitution d’une société moderne. Quoi qu’il en soit, nous sommes bien plus indulgents à ce sujet avec les dictatures pro-occidentales qu’avec les régimes socialistes comme Cuba ou l’Irak laïque, soumis à deux embargos cruels, et pour l’Irak génocidaire. Nous faisons d’ailleurs toujours abstraction de «la question des rapports de force et de notre position dans le monde» alors qu’il est évident que le durcissement intérieur (l’état d’urgence permanent si l’on veut) de nombre de ces régimes vient de nos agressions immédiates et constantes.

Or ces agressions présentés comme «humanitaires» et désintéressées, souvent très meurtrières, ne résistent pas devant «les arguments forts dans l’opposition à la guerre» pseudo-humanitaire (chapitre 5). Bricmont écarte d’ailleurs les arguments faibles et contradictoires (toute guerre n’est pas injuste, un Etat doit se défendre ; l’argument technique du coût financier ou humain de la guerre n’est pas décisif, il faut se placer au plan des principes). Il retient «la défense du droit international» (qui ne peut admettre le droit de tutelle morale de certains Etats, gros de tous les abus et de guerres de convenance, sans compter que la guerre est toujours finalement dirigée sélectivement contre «le faible») et «une perspective anti-impérialiste». La stratégie de Hugo Chavez au Venezuela avec son Tribunal international anti-impérialiste (idée de Russell !) est présentée comme une piste stimulante et qui mérite la solidarité internationale.

Mais les leaders charismatiques du Sud qui osent défier les Etats-Unis ou défier les intérêts de l’occident sont voués au déchaînement de la puissance dominante. Coups d’Etat dans les pays restés «démocratiques» contre la gauche modérée par l’intermédiaire d’une armée «nationale» infiltrée (Mossadegh en Iran, Allende au Chili, etc.), guérillas et débarquements d’exilés stipendiés (baie des Cochons à Cuba, Contras au Nicaragua). Mais en cas de résistance, on accusera le régime agressé qui se défend de violer les droits de l’homme et d’être communiste avant 1989, désormais d’être fasciste (Irak) ou anti-sémite (dernier cri, contre Chavez)! (Voir le chapitre 6 «Illusions et mystifications»). C’est l’usage cynique de «L’arme de la culpabilisation» (chapitre 7).

Sans idéalisme ni naïveté, Bricmont explore dans le chapitre 8, «Perspectives, dangers et espoirs». Son livre, avec sa digestion d’une vaste bibliographie, sa documentation factuelle articulée à des analyses générales et à des raisonnements de principes en droit international, fournit un instrument très utile et veut contribuer à cet espoir de prise de conscience nationale et mondiale. Des textes passionnants, souvent inconnus ou oubliés cités en encarts étayent le propos. Le dernier, «Vive la France ?», écrit peu avant notre référendum, situe notre pays entre tradition républicaine et socialisante de résistance (au néo-libéralisme et à l’impérialisme américain) et risques de dérive «otan-européenne» vers une zone de libre-échange et de dérégulation sans modèle social ni identité politique exigeante.


Nicolas Plagne
( Mis en ligne le 06/02/2006 )
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