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| Pierre Assouline Collectif La Révolution Wikipédia - Les encyclopédies vont-elles mourir ? Mille et une nuits - Essai 2007 / 12 € - 78.6 ffr. / 141 pages ISBN : 978-2-7555-0051-6 FORMAT : 12,5cm x 19,0cm
L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est lauteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal. Imprimer
Ce livre écrit par Pierre Gourdain, Florence OKelly, Béatrice Roman-Amat, Delphine Soulas et Tassilo von Droste zu Hülshoff pendant leur dernier année détudes à lEcole de journalisme de Sciences-Po en 2006-2007, tente de cerner la fameuse encyclopédie en ligne, Wikipédia. Née le 15 janvier 2001, Wikipédia compte maintenant plus de sept millions de pages dans plus de 250 langues, et est le neuvième site le plus consulté sur Internet avec neuf millions de visiteurs par mois en France et cinquante aux États-Unis. Il était temps quun livre critique paraisse sur un tel phénomène.
Pierre Assouline, journaliste et romancier, auteur de nombreuses biographies (Albert Londres, Hergé
), chargé de cours à lEcole de journalisme de Sciences-Po à Paris, a dirigé cette étude. Sa préface est écrite au vitriol et il ne mâche pas ses mots. Il y critique vertement les inexactitudes, maladresses (il rappelle que la notice sur le journaliste Albert Londres commençait par «Journaliste juif français»), contre-vérités, mais aussi lesprit de recherche, de vérification et de croisement des sources dinformation que lencyclopédie en ligne «tue tout doucement». La neutralité de Wikipédia, clame-t-il, relève plus du registre du consensus mou que de lobjectivité ou de la rigueur intellectuelle. Critiquant la violence des réactions à la parution de larticle que Frédéric Roussel consacra dans Libération à létude, il écrit : «Eût-on voulu démontrer que nombre de wikipédiens ont des comportements dignes de membres dune secte que lon ne sy serait pas pris autrement. La pensée unique règne sans partage parmi cette communauté dinternautes comme jai déjà pu men rendre compte ces dernières années chaque fois que jai eu le malheur de consacrer un article à Wikipédia sur mon blog «La République des livres»». (pp.17-18) Il rappelle que si Wikipédia multiplie ses sources de financement, on redécouvrit que la pornographie du portail Bomis.com appartenant à Jimmy Wales, fondateur de Wikipédia, la finançait.
Lenquête pointe donc les inconvénients dune telle encyclopédie où tout un chacun peut intervenir sur un article, au point de susciter des guerres dédition et lintervention de Wikipompiers (médiateurs volontaires qui tentent de mettre fin pacifiquement aux guerres d'édition et aux conflits entre utilisateurs). Le problème est non seulement les actes de malveillance de la part dutilisateurs mais le copier-coller que les lycéens et étudiants pratiquent à foison pour leurs devoirs, en reproduisant bien entendu des pages truffées derreurs ! Sans parler de la paresse intellectuelle. Le phénomène Wikipédia est tel quil suscite la méfiance de la part de professeurs exaspérés.
Il est vrai que si les actes de malveillance viennent de lextérieur, dinternautes peu scrupuleux, le principal problème de Wikipédia est de ne pouvoir les empêcher à cause de son fonctionnement ! Et si lencyclopédie bénéficie de la diffusion dInternet, son interactivité, sa rapidité, sa gratuité, et son adaptabilité font partie de ses faiblesses aussi.
La difficulté, évidemment, est que les erreurs peuvent être dénoncées et rectifiées dans la minute qui suit sauf quand la «confession catholique», malicieusement accolée par les auteurs de létude à lAnglican Tony Blair le 2 mai 2007 à 10h14, est restée en ligne deux semaines ! Ou encore quand John Seigenthaler, journaliste américain à la retraite, découvre sur Wikipédia quil avait été suspecté davoir pris part à lélaboration des attentats contre les Kennedy et quil aurait vécu treize ans en Union soviétique ! Lénormité est restée en ligne durant cent trente-deux jours. Sans oublier les récentes empoignades entre wikipédistes sur lentrée EPR, après le débat du 2 mai entre les deux candidats à la présidentielle.
Il reste aussi que des wikipédistes ont sciemment menti sur leur pedigree comme Ryan Jordan (pseudonyme Essjay) en inventant des diplômes quils navaient pas. Il y a aussi dautres pratiques fort troublantes : «Certains usagers introduisent délibérément des erreurs dans des notices avant de les corriger sous une autre adresse IP afin daugmenter leur taux de corrections, et ainsi monter dans la hiérarchie de ladministration wikipédienne.» (p.75) Lenquête met aussi en regard la non-hiérarchie des informations où lon peut trouver des résumés de biographies dactrices pornographiques aussi longues que celles de philosophes. Cest la pagaïe ; tout le monde peut faire part de ses lubies ou de ses névroses au monde entier. A cela, il faut ajouter que Wikipédia peut offrir des tribunes déguisées à des idéologies religieuses comme lEglise mormone ou les Témoins de Jehovah.
Tout cela nest pas sérieux. Le livre pointe bien les multiples défauts dune telle encyclopédie mais sans aller cependant jusquau bout du phénomène. Il est vrai que Wikipédia joue sur lidéologie anti-élitiste et favorise le culte de lamateur en jouant du relativisme culturel. Il apparaît que lencyclopédie peut ainsi se développer telle une pieuvre sous prétexte de démocratisme sans verser un seul euro à ses nombreux collaborateurs, façon habile de répandre son idéologie gratuitement et en faisant travailler les autres. Le côté bon enfant dont les collaborateurs et administrateurs saffublent et sautocongratulent - les «rhinocéros laineux» (wikipédiens qui se sont inscrits ou qui ont commencé à contribuer avant la fin de 2005) -, ou le décernement de médailles comme sils étaient des chevaliers du Moyen âge (médaille de l'ordre des chevaliers de la Wikimaintenance) a quelque chose du gamin accro aux jeux de rôle. On pense aussi aux «gentils organisateurs» du Club Méditerranée... Tout cela vient en droite ligne de lidéologie new-âge avec un côté bien-pensant si à la mode de nos jours mais terriblement répressif si vous nallez pas dans son sens.
Comme le rappelle Pierre Assouline, un essayiste américain, Jaron Lanier, va jusquà dénoncer la dimension collectiviste de lencyclopédie sous le nom de «maoïsme digital». Comme le fondement dune communauté idyllique à léchelle mondiale avec son esprit sectaire si particulier. Les auteurs de létude ont été jusquà interroger un adepte, «Esprit fugace», dont les idéaux gauchisants et libertaires corroborent cet idéal naïf de gratuité et de libre-échangisme au niveau du savoir sans que personne ne sen détache ou nen émerge. Cette idéologie va dans le sens dun autre site, amillionpenguins, qui propose aux visiteurs de contribuer à lécriture dun roman en ligne sans que personne ne puisse en revendiquer la propriété. Car sans doute, comme on sait, «la propriété cest le vol !» Il reste que lesprit de Wikipédia risque de faire tache dhuile.
Derrière ce ton bon enfant, se cachent pourtant parfois des mesures répressives comme lexclusion dintervenants pour des motifs pour le moins fort légers (voir le lien en fin de page). Pierre Assouline rappelle ainsi que linformaticien David Monniaux, lun des administrateurs, supprima dans un premier temps laccès de lEcole de journalisme de sciences-Po à Wikipédia en bloquant ladresse I.P. Comme dhabitude, plus on se targue dêtre ouvert et plus on se permet de censurer pour de bonnes raisons : on est dans le bon camp !
Face à cela, un des cofondateurs de Wikipedia, Larry Sanger, a lancé Citizendium, une encyclopédie concurrente, également participative et gratuite, mais qui passe par la validation dexperts. Ce qui est déjà plus sérieux. Dautres sites se sont moqués de Wikipédia comme Désencylopedie, «la source en pleine évolution dinformations utiles et fiables, écrite entièrement par des singes savants». Mais létude rappelle des propos dAlain Rey, lexicologue : «wikipédia conserve lidée de pédagogie, mais oublie le cercle, et le remplace par wiki, un mot hawaïen Hawaï la patrie du surf ! Wiki signifie «vite» et ce nest pas un hasard, car Wikipédia, cest le zapping généralisé.» (p.103)
Ce livre, sil reste un peu trop léger dans son approche globale, tente tout de même déroder le mythe Wikipédia et son côté libre-service sympa.
Yannick Rolandeau ( Mis en ligne le 16/01/2008 ) Imprimer
Ailleurs sur le web :Lien vers le site de DésencyclopédieLien vers l'Observatoire de wikipedia : mythe de la neutralité | | |
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