|
Essais & documents -> Biographies |
| |
Un grand avenir derrière lui ? | | | Rupert Everett Tapis rouges et autres peaux de bananes K&B 2008 / 19.90 € - 130.35 ffr. / 432 pages ISBN : 978-2-915957- 41-9 FORMAT : 15,5 x 27 Imprimer
Que les lecteurs potentiels ne sy trompent pas, lautobiographie de Rupert Everett ne vient pas sajouter à la pile dopus pitoyables rédigés par des célébrités peu inspirées. Point de logorrhée racoleuse et dautosatisfaction irritante ! Tapis rouges et autres peaux de bananes dévoile un homme complexe qui raconte sa vie comme il écrirait un roman. (Il en a dailleurs déjà écrit deux). Un roman à la Oscar Wilde auquel R. Everett fait irrésistiblement penser, à en croire parfois que lacteur sest trompé de siècle. On limagine aisément membre des «esthètes» discourant de la théorie de «lart pour lart» au sein dun salon littéraire ou entouré de mauvais garçons dans quelque bouge londonien, faisant fi des convenances hypocrites quexigeait la société corsetée de lépoque.
Cependant, la réalité que décrit Everett correspond davantage au Dorian de Will Self formidable version trash du Portrait de Dorian Gray qui transpose laction sur les deux dernières décennies du vingtième siècle au moment où lexplosion du sida ravage les communautés gay et toxicomane (Dorian, une imitation, Éditions de lOlivier, 2004).
Un monde déjanté que lacteur britannique, transgressant les interdits dune éducation bourgeoise (nurse, chasse à courre et pensionnats), a tôt fait de rejoindre. Un monde peuplé danonymes et de stars qui le fascinent. Lui aussi veut être célèbre, fouler ces tapis rouges et fera tout pour y parvenir, quitte à jouer les groupies et les pique-assiettes. «À dix-huit ans, javais dîné à La Coupole à Paris avec Andy Warhol et Bianca Jagger. Javais sniffé du poppers avec Hardy Amies sur la piste de danse du Munkberry
Jétais accro à lexaltation et savais ce que cétait de dépendre de la gloire par association
jétais de la catégorie des petits brillants qui entourent le gros diamant jaune, le tourbillon obligatoire dansant dangereusement près de lil du cyclone.»
Ce désir de paillettes lhabite en fait depuis lenfance, lorsque Rupert, âgé de six ans, assiste à la projection de Mary Poppins «Quelque chose avait changé. Je le sentais sans pouvoir lexprimer. Lorsque je me remémore cette scène aujourdhui, je dirais quun ego démesuré et dérangé venait de naître
désormais, il me fallait jouer le jeu, me chercher une personnalité. Mon esprit avait court-circuité
» Il se confirme un peu plus tard quand, adolescent, il est envoyé au collège dAmpleforth, un monastère catholique dans le Yorkshire où il découvre livresse de la scène. «Le bruissement dun public qui pénètre dans une salle de théâtre lors dune première produit lune des sensations les plus fortes quil mait été données de ressentir. La drogue, le sexe, les châtiments, lamour
tout paraît fade en comparaison ; à part peut-être lattente des résultats dun test HIV.»
Sensuivent des études dart dramatique avortées (il est renvoyé de lécole pour insubordination), un passage par Glasgow et lavant-gardiste Citizens Theatre et puis le triomphe avec la pièce Another Country qui devient ensuite un film, «le meilleur de toute ma carrière», et révèle lacteur au grand public. On connaît la suite, quelques réussites et trop de navets. R. Everett évoque avec énormément dhumour et dautodérision les nombreux ratages de sa carrière, les rôles que son homosexualité lui a coûtés (ou comment lintransigeance victorienne en matière de murs semble encore de mise à Hollywood !) et nocculte pas la frustration qui résulte du sentiment de galvauder son talent.
Au-delà des nombreuses anecdotes amusantes qui mettent en scène le showbiz dans tous ses états, on retient de cette chevauchée psychédélique aux quatre coins de la planète le réel talent décrivain de R. Everett et son art consommé du détail. Les aventures du libertin décadent ne se limitent pas à la seule planète jet-set, quil vénère mais désacralise tout autant. Il y a lavant une enfance particulièrement bien racontée et les à-côtés qui révèlent une autre facette de lhomme et de lauteur. Ces souvenirs et réflexions (sa relation avec Delphine, transsexuel du Bois de Boulogne, le dernier voyage avec son père, sa complicité avec son labrador, sa présence à Moscou, Berlin ou New York lors dévénements dimportance planétaire, ses amitiés condamnées, sa peur de la maladie
) résonnent dune tonalité différente.
Lorsque la gravité désenchantée, la tendresse et lhumanité prennent le pas, Tapis rouges et autres peaux de bananes atteint une autre dimension. On repense alors à Oscar Wilde qui savait si bien dissimuler sous une apparence légère et brillante une vision tragique de la vie.
Florence Cottin ( Mis en ligne le 10/05/2008 ) Imprimer | | |
|
|
|
|