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Tarantino ou l'''épuration éthique''
Yannick Rolandeau   Quentin Tarantino ou le crépuscule de l’image
L'Harmattan 2014 /  17 € - 111.35 ffr. / 170 pages
ISBN :  978-2-343-02888-0

Yannick Rolandeau collabore à Parutions.com
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Durant le dernier Festival de Cannes, Jean-Luc Godard, à qui on rapportait l’admiration de Quentin Tarantino, avait eu ces mots : «C’est un faquin. Un pauvre gars. Autrefois, c’était le genre de personnes qu’on détestait. Aujourd’hui, on laisse aller». Jalousie générationnelle ? Vanité caustique ? Mépris non plus seulement filmique ? Yannick Rolandeau montre bien comment Godard et Tarantino, si l’un doit à l’autre, se retrouvent sur un même plan : celui du «film de sous-genre» qui consiste à «faire briller les références (…) pour qu’elles soient explicites et reconnaissables en tant que signes». «Un procédé visible et cérébral [qui] prétend donner à l’œuvre une profondeur de vue que les professionnels de la critique vont alors s’ingénier à gratter et à dénicher pour bien montrer que cette œuvre est intellectuelle, profonde, nourrie et construite à défaut d’avoir un réel contenu narratif» (p.51).

Cinéphage peut-être plus encore que cinéphile, l’ancien «vidéothécaire» Tarantino a ainsi truffé ses films d’allusions plus ou moins explicites à des films de série B ou Z, comme Godard avait parsemé À bout de souffle de références au film noir américain. Dans leur cinéma respectif est à l’œuvre une même «avalanche de citations [qui] accrédite l’idée que le cinéma ne voit plus le monde qu’à travers le cinéma» dans une «autocongratulation incestueuse» où s’opère une véritable «boulimie sous-culturelle». (pp.52-53). Reservoir Dogs (1992) emprunte ainsi aux films de gangsters. Pulp Fiction (1994) également mais en y ajoutant, comme son nom l’indique, l’univers des ''pulps'', magazines très populaires aux États-Unis durant la première moitié du 20e siècle et qui abordaient des thèmes divers allant de la romance au fantastique en passant par des histoires de détectives et de science-fiction. Jackie Brown (1997) est influencé par la ''blaxploitation'' (contraction de ''black'' et ''exploitation''), ce courant culturel et social du cinéma américain des années 70 qui donnait le premier rôle à des Afro-Américains dans des films d’une qualité souvent médiocre ou pour le moins directement inspirés par le modèle hollywoodien. Kill Bill 1 et 2 (2003, 2004) empruntent à la mode des mangas, aux films de kung-fu et de yakuzas.

Avec Kill Bill a lieu un tournant. Tarantino y réunit ce qui va désormais fonder sa ligne de conduite, à savoir à la fois «l’éloge de la sous-culture avec sa cohorte de références» et ce que l’auteur appelle «l’ascension des martyrs fétichisés de l’Histoire comme ressentiment envers les modèles dominants» (p.59). Premier modèle dominant mis au pilori : le machisme, avec Boulevard de la mort (2007) issu cette fois du genre ''grindhouse'', thriller-épouvante souvent gore et violent, du nom des salles qui projettent des films d’exploitation. Dans cet hommage aux ''road-movies'' des années 70, autre clin d’œil à la ''pop culture'', Tarantino «met en scène un renversement des valeurs avec son féminisme naïf et revanchard» (p.68). Ses deux dernières œuvres, Inglorious Basterds et Django Unchained, jouent aussi du ressentiment, l’un face au nazisme, l’autre face à l’esclavagisme (avec un emprunt appuyé au western spaghetti). Dans les deux cas, des héros imaginaires viennent assouvir une soif de vengeance fantasmée. «Le cinéma de divertissement se venge fantasmatiquement de l’Histoire, preuve qu’elle n’intéresse pas Quentin Tarantino, qui préfère la réécrire dans une vision naïve, vengeresse et dérisoire» (p.146).

Mensonge esthétique et vérité filmique :

Cet essai écrit comme un pamphlet se veut moins une critique en soi des films de Tarantino qu’un large exposé des théories qui pointent du doigt une kyrielle de tendances, vénéneuses pour l’auteur, dont son cinéma est l’expression. Il témoigne de la manière dont celui-ci est travaillé par des paradoxes à l’œuvre dans la société dite postmoderne qu’il entend par la même occasion dénoncer. De ce fait, l’hybridation culturelle, la violence stylisée, la narration ou la bande-son décalées sont les ressorts d’une véritable idéologie et non plus seulement d’un simple divertissement. «Tarantino joue de la prolifération des références, de la dérégulation des genres, du métissage des styles et des goûts, du brouillage incessant des époques. Une espèce de marmelade, de bouillie tout à fait conforme à la mode de l’emprunt, de la citation, du copier-coller postmoderne et hypermoderne tant au niveau visuel que musical» (p.69).

Tarantino est ainsi accusé de jouer d’un «second degré exhibé», c’est-à-dire un second degré devenu dogme qui n’en est plus un puisque revendiqué, démasquable, permettant seulement de s’extraire de toute instance critique. Une manière comme une autre de se substituer au dialogue et de permettre, en circuit fermé, l’auto-référencement et partant un certain narcissisme. Une façon aussi, pour le cinéaste, de faire passer toute forme de violence représentée et stylisée à l’excès pour «fun» ou «irréaliste». C’est le mérite de Y. Rolandeau d’interroger le versant moral de cette «violence faite à l’image» qui, selon lui, en signe le crépuscule, sinon la mort. La violence parodique de Tarantino n’est pour lui qu’une immaturité, une irresponsabilité qui ne veut pas dire son nom, en occultant sciemment son influence intrinsèque, partant du principe de la force supérieure de l’image sur le réel, en créant «un monde où la fiction ne communiquerait jamais avec l’impression de réalité qu’instaure le cinéma par son dispositif même» (p.120). Ce déchaînement de violence à l’écran (sexuelle ou sanguinaire, pornographique quoi qu’il en soit), son esthétisation outrancière sont pour lui doublement un nihilisme. Non seulement par son refus du «hors-champ et sa beauté suggestive et créatrice» (p.104) mais aussi en tant qu’«épuration éthique» qui ne vise pas moins qu’à «débarrasser l’homme de l’humain» et «anéantir dans la joie et les cotillons ce qui a fait que la civilisation pouvait être appelée civilisation» (p.113).

Dans son entreprise de démolition de l’idole et de renversement de l’icône, Yannick Rolandeau en appelle ainsi à toute une cohorte de références «sur-culturelles» à lui, qui tracent justement une ligne de démarcation avec l’aspect populaire-élitiste de Tarantino, qui connaît (recherche) à la fois le succès et la reconnaissance. Comme il le dit si bien, «le problème n’est pas tant que son cinéma existe mais qu’il soit si louangé comme une œuvre d’exception autant par le public que par la critique» (p.70). Clément Rosset, Milan Kundera, Roland Barthes, Jean Baudrillard ou René Girard, entre autres penseurs contemporains, mais aussi Aristote, Nietzsche ou Kant sont convoqués et servent de socle théorique à la déconstruction de tous les «-ismes» en chantier : jeunisme, ludisme, multiculturalisme, «mélangisme», relativisme, exhibitionnisme sauvage, capitalisme «artiste» et «consumérisme égoïste-hédoniste», révélateur de «bataillons de militants sans idéologie apparente et sans passé culturel, clamant le plaisir comme seule loi et l’éloge comme seule critique admissible, le tout dans un auto-contentement fraternel et régressif» (p.63).

Yannick Rolandeau n’y va pas avec le dos de la cuillère mais n’a pas peur de passer pour un «réac’» : il entend justement démontrer que l’argument se retourne contre ceux qui le servent, leur permettant de se situer du bon côté – le côté humaniste et jouisseur progressiste, en gros – de la barrière. Que dans la volonté de critiquer un système de valeurs, aussi conservateurs ou bourgeois soit-il, il y a in fine le «désir mimétique» (pour reprendre le thème de René Girard exploité) de s’y substituer et donc de le reproduire. Il souligne ainsi le renversement des valeurs qui agite le landerneau postmoderne où «la victimisation est devenue un système oppresseur redoutable tout en se parant des vertus de la victime réelle [et] dissimule sa violence ressentimentale en justice» (pp.123-124).

Raison du critique pur :

Dans cette diatribe du cinéma de Tarantino est finalement plus à l’œuvre une généalogie de la morale qu’il tendrait justement à insulter, nier voire effacer. Sur le fond, si la dénonciation se veut virulente, elle se veut aussi en contrepoint l’apologie utile d’un «vrai» cinéma, responsable et critique (interrogeant le réel et notre humaine complexion), que d’aucuns pourront à la lecture qualifier toutefois de moralisante ou moralisatrice, sinon pompeuse.

La forme donnée à cet essai en est aussi la cause. La volonté de caser toute une armada théorique à l’entame de chaque démonstration inverse le sens qui aurait pu en être attendu : partir des films pour en extraire les notions à l’œuvre, quitte à les décrire comme symptomatiques d’une époque. Le livre aurait finalement dû s’intituler Le Crépuscule de l’image, l’exemple de Quentin Tarantino, ce qui aurait au moins permis de ne pas placer au premier plan celui que Yannick Rolandeau considère justement comme «un cinéaste de ciné-club à l’ère où le jeunisme fleurit comme les hirondelles au printemps» (p.76), un «hilarothérapeute» qui n’éduque pas l’œil (p.102).

De fait, on peut se demander à qui s’adresse cette démonstration à charge, qui semble se justifier d’avance par les références qu’elle assène comme vérité apodictique, alors même qu’elle entend vanter les mérites du dialogue, de la profondeur, de la comparaison. Il semble qu’il faille choisir : être postmoderne, tarantinien, ou du côté de Yannick Rolandeau. Sachant que l’un se décrit comme le bon sans savoir qu’il exerce la tyrannie groupée de son humanisme de façade ; et que l’autre est du vrai bon côté mais seul à le savoir. C’est en tout cas l’impression confuse laissée par sa lecture : à la fois l’adhésion à la brillance de certaines idées, contrariée, parfois dans le même mouvement, par la contiguïté systématique de commentaires et de jugements assénés à grand renfort d’épithètes et de formulations pesantes sinon maladroites qui tranchent avec le style des auteurs cités et créent un effet déplaisant de bavardage permanent. La rigueur théorique s’en trouve comme rompue, outre le manque de structuration de l’essai en lui-même, qui aurait gagné à être davantage décomposé en sous-parties ou intertitres.

Expurgé de ce côté Schtroumpf à lunettes (pour puiser dans une référence qui illustrera à merveille le «mélangisme» honni par l’auteur), le livre pourra être utilement compulsé par le lecteur, postmoderne ou non, qui aura tout loisir d’y cueillir les perles qui s’y trouvent.


Clément Balta
( Mis en ligne le 04/07/2014 )
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