L'actualité du livre Vendredi 29 mars 2024
  
 
     
Le Livre
Essais & documents  ->  
Questions de société et d'actualité
Politique
Biographies
People / Spectacles
Psychologie
Spiritualités
Pédagogie/Education
Poches
Divers

Notre équipe
Littérature
Philosophie
Histoire & Sciences sociales
Beaux arts / Beaux livres
Bande dessinée
Jeunesse
Art de vivre
Poches
Sciences, écologie & Médecine
Rayon gay & lesbien
Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un auteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Essais & documents  ->  People / Spectacles  
 

Des mythes et une légende
Allain Leprest : gens que j'aime
Jacques Flament Editions 2014 /  20 € - 131 ffr. / 329 pages
ISBN : 978-2-36336-143-1
FORMAT : 14,5 cm × 20,0 cm
Imprimer

On l'avait anticipé à l'occasion de notre dernière recension d'un livre sur Leprest : après les disques d'inédits (chantés respectivement par Claire Elzière et Jean Guidoni et parus à la rentrée) et la biographie de Marc Legras, les sorties continuent autour de l'inoubliable auteur de Sur les pointes, Gagarine ou Nu, qui fut l'un des (peut-être le) plus grands auteurs de chansons françaises. Espérons que ça dure, non pas tant pour ressasser ce que l'on sait déjà de lui, mais plutôt pour que d'une part ce nom devienne familier à un plus grand nombre et que, d'autre part, on comprenne un peu mieux le génie du bonhomme ; il le mérite assurément. Bref, voici donc un nouvel ouvrage sur Allain Leprest en attendant la conférence académique (qu'on espère pas trop pouêt-pouêt) prévue à Bordeaux pour le début de 2015.

Disons-le d'emblée : Gens que j'aime est un projet tout à fait passionnant qui vise à faire comprendre au lecteur qui fut cet auteur et magnifique interprète mais également à entamer une réflexion sur son oeuvre. Bien qu'il s'en défende, le livre est, en un sens, biographique puisqu'à travers les discussions qu'il rapporte, est esquissée la vie de l'artiste. Mais cet ouvrage est bien plus que cela puisqu'il raconte également ce qu'ont ressenti d'autres personnes au contact de Leprest, ce qui est un programme plus intimiste. De ce fait, cet ouvrage comble une lacune évidente dans la bien pauvre littérature autour de ce personnage : la quête des faits via des témoignages.

Gens que j'aime est donc la collection de douze interviews de proches : dans l'ordre, Didier Pascalis son dernier producteur, Gérard Pierron qui mit en musique et chanta beaucoup Leprest (merci également à lui de son apport notamment dans la redécouverte de Gaston Couté et de tant d'autres beaux poètes), JeHan, musicien, chanteur, interprète et ami de Leprest lui aussi, François Lemonnier encore un auteur-compositeur-interprète, Manchot et peintre comme Leprest, Francesca Solleville, icône militante de la Rive gauche et interprète inspirée de Leprest qui écrivit pour elle un grand nombre de chansons, Bertrand Lemarchand qui fut parmi les premiers accompagnateurs (à l'accordéon) de Leprest, Nathalie Miravette, sa dernière (au piano), Dominique Cravic, encore un musicien qui accompagna entre autres Henri Salvador et mit également en musique Leprest, Didier Dervaux un ami de l'artiste rencontré à la fin des années 70, qui fut un interprète expressionniste il y a une trentaine d'années (et l'est occasionnellement encore), Annie Coci et Didier Degrémont, qui formaient un couple à la ville comme à la scène à l'époque du Collectif chanson 76 où ils rencontrèrent Leprest, et enfin Romain Didier, l'un des complices principaux de l'homme de la Manche et qui mit ses mots si souvent en musique. L'interview avortée de Pierre Barouh n'est rapportée dans le livre que pour expliquer qu'elle fut sans intérêt... Alors pourquoi en parler ?...

Les interviews sont présentées de façon relativement brutes afin notamment de donner une idée du style de chacun et de son humeur sur le sujet. Et c'est bigrement intéressant à plus d'un titre. D'abord parce que tous ces gens sont aimables, d'une façon ou d'une autre, qu'ils sont tous habités, même s'ils sont loin d'être du même avis sur tel ou tel épisode ou sur tel ou tel aspect de la personnalité du chanteur de Mont-Saint-Aignan... sauf sur un seul : Leprest était tellement imprévisible qu'il était «ingérable» (en même temps, pourquoi voulaient-ils tant le «gérer» ?). On se dit que ce ne doit pas être un hasard que ce type de personnes ait été à un moment ou un autre proches de Leprest.

Autre point intéressant, ces douze interviews (et la façon dont elles sont présentées) permettent de dessiner le portrait de Leprest beaucoup plus précisément que si elles avaient été moulinées, mixées et lissées. Bien sûr, il manque beaucoup d'éléments pour lesquels on pourra par exemple se reporter aux livres de Thomas Sandoz ou de Marc Legras, mais ceux qu'elles traitent sont rapportés de façon authentique, ce qui paraît essentiel pour quelqu'un comme Leprest. Alors, on sent des tensions entre certains de ces personnages ; et l'auteur qui prend la parole avant chaque interview pour en expliquer le contexte pense – ce qui paraît très raisonnable - voir trois clans : les amis de la première heure, liés à Rouen, les amis des débuts parisiens et enfin ceux de la galaxie Tacet, la maison de production de Didier Pascalis.

On aurait aimé que le livre fût plus long : on aurait aimé entendre la voix des compagnes de Leprest notamment ou de ses enfants. On aurait aimé entendre celle d'Henry Dubos, d'Elisabeth Amsallem, de Jean-Luc Guillotin, d'Etienne Goupil, de Jean-Louis Beydon, de Richard Galliano, de Léo Nissim, de Gérard Meys, de Christian Paccoud, celle du journaliste poète Patrick Piquet qui écrivit un beau texte dans L'Humanité du 25 août 2011 ou celles de personnages lumineusement obscurs qui ont pu rencontrer Leprest dans des circonstances plus ou moins difficiles et donc révélatrices... et puis celle de Pierre Barouh quand même ! Mais on ne boude pas son plaisir.

Les interviews sont toutes intéressantes, mais elles sont plus ou moins instructives. Pour qui connaît déjà Leprest, celles de Didier Pascalis, Francesca Solleville, Nathalie Miravette, Dominique Cravic ou Romain Didier ne dévoilent pas de scoop particulier, même si elles débordent d'admiration. Chez Pierron, JeHan et Lemonnier, on sent un lien extrêmement à vif et les détails qu'ils racontent sont passionnants. On apprend que Renaud aurait piqué une chanson que Leprest voulait lui donner et que Pierron avait mis en musique (cf. le disque Boucan d'enfer). L'interview de Bertrand Lemarchand est la plus difficile à lire pour le leprestophile béat : oui, l'Allain n'a pas toujours joué franc du col et il a abondamment repris ce qu'il avait donné à mettre en musique (on parle ici de textes). Il faut dire que le mot principal pour le décrire et qui revient sans cesse dans le livre est «bordel». Cette désorganisation (avec peut-être aussi un peu de dédain pour tel ou tel souci quotidien que d'autres pouvaient avoir et que Leprest n'avait pas) explique sans doute partiellement cela. L'interview de Didier Dervaux qui aura voué une partie de sa vie à l'éclosion de Leprest est la plus humaine et la plus touchante, mais à peine plus que celle de ces autres personnages de l'ombre que furent Anne Coci et Didier Degrémont. Voilà trois personnages (que même la plupart des spécialistes ne connaissaient que de nom) avec leurs failles, très humains, et qu'on aimerait certainement compter parmi ses amis. Les chants des hommes sont-ils toujours plus beaux qu'eux-mêmes ?...

Qu'apprend-on d'autre ? Ah, oui, que Leprest écrivait parfois des choses un peu faibles ou du moins qu'il fallait le pousser un peu pour qu'il parachève ses textes (intéressant car inattendu). On apprend aussi un élément sur son art poétique : Leprest a toujours été un enragé de la structure, de la combinatoire du poème, ce qui n'étonnera pas ceux qui savaient qu'il était intéressé par la démarche scientifique...

Au bout du compte, il n'y a pas de négatif là-dedans. Chacun sait que Leprest était extrêmement doué et qu'il l'a toujours été, qu'il était cultivé, efficace, inventif. On apprend ici qu'il pouvait être également léger, peu soucieux de tel ou tel souci qui lui paraissait trivial, bref qu'il avait des défauts (passons sous silence la liste complète...). Il aura essayé d'en faire ce qu'il pouvait et, même si l'on devine que le bougre a dû parfois être pénible à fréquenter (on pense à ses compagnes, et il le confessait lui-même bien volontiers), il a fourni une œuvre qui donnera en compensation espérons-le longtemps. On dira que c'était un artiste plein, tellement dévoué à son art qu'il en a oublié certains à-côtés, ce qui est parfois fatigant pour les autres. On peut le regretter... mais on peut aussi penser que, sans cela, il n'aurait pas été Leprest. Les défauts de Leprest c'était aussi un peu ses qualités : comment demander à quelqu'un qui ne se soucie personnellement pas de son intérêt direct de penser que les autres pensent autrement que lui ! En ce sens, l'attitude de Didier Dervaux est exemplaire : ce dernier aura tout fait pour aider à l'émergence du talent de l'artiste, il se sera voué corps et âme à la dissémination de la poésie de Leprest sans en recevoir grande récompense autre que la satisfaction d'avoir été un rouage essentiel dans le démarrage de sa carrière. Si ce n'est pas une réussite !

Encore un point qui se lit dans le livre : ce que fut la chanson dans les années 70 : une époque où les MJC et autres structures permettaient à de nombreuses formations talentueuses de s'exprimer. Comme le rappelle souvent Jacques Bertin, 1981 aura porté un coup fatal à cette culture populaire chantante, la remplaçant un peu partout par la coolitude languienne de musiques venues d'ailleurs (non qu'on ait quoi que ce soit contre ces musiques, mais ici nous parlons de chansons en français, qui plus est de qualité, qui doivent avoir droit de cité dans leur propre pays).

Le talent de l'auteur est d'avoir su poser de bonnes questions à de bonnes personnes, et notamment les questions désagréables à entendre. Candide, Nicolas Brulebois a dû choquer certains interviewés ; peut-être - mais que les gardiens du temple leprestien ne s'en offusquent pas - est-ce pour la bonne cause.

Un livre très humain sur Leprest donc qui, même s'il égratigne le portrait de l'artiste (et, disons-le, on n'est pas toujours d'accord avec l'auteur sur certains jugements), ne le fait semble-t-il que dans le souci d'une certaine forme d'honnêteté (peut-être imparfaite, mais qui ne l'est pas ?), loin de toute hagiographie. On reprochera peut-être à l'auteur de remuer un peu la boue... mais après tout, dans les mesquineries, ce qu'on devine des luttes pour le devenir de l'oeuvre de Leprest (notamment ses textes non publiés) ne fleure pas tellement meilleur... Allez, ne jouons pas les vierges effarouchées et regardons le monde tel qu'il est, il y a forcément un point de vue depuis lequel il est beau.

Comment ne pas recommander un ouvrage aussi complet et instructif sur Leprest ? Les éditions Jacques Flament peuvent s'enorgueillir de ce livre tout à fait réussi qui, par sa liberté de ton, séduira les amateurs de Leprest. Comme dirait l'autre, voilà un livre que Leprest aura bien cherché !

Il va nous manquer maintenant un travail critique sur cette œuvre qui nous permette de comprendre d'où venaient ses thèmes de prédilection et pourquoi ; de comprendre sa technique poétique et son point de vue sur la poésie en général, etc... Comme JeHan, l'auteur de ces lignes pense qu'il faut parler de Leprest comme d'Hugo ! Ah, que le temps vienne...


Alexandre Pavin
( Mis en ligne le 22/12/2014 )
Imprimer

A lire également sur parutions.com:
  • Allain Leprest : Dernier domicile connu
       de Marc Legras
  • Le Cri violet
       de Fabrice Plaquevent
  • Nu comme la vérité
       de Allain Leprest
  •  
    SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

     
      Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
    Site réalisé en 2001 par Afiny
     
    livre dvd