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| Just Jaeckin Tout Just Le Rocher 2006 / 22 € - 144.1 ffr. / 325 pages ISBN : 2-268-05688-0 FORMAT : 14,0cm x 22,0cm
Préface de Philippe Labro. Imprimer
Ce qui frappe le plus, chez Just Jaeckin, cest que ce grand photographe accepte avec bonhomie quon le photographie. Comment prenez-vous ces clichés dun instant ? Réponse : son métier de photographe, cest le studio, une mise en scène, une attention particulière à larrangement des éléments, personnes, choses, lumières, décors... Le reportage, cest tout à fait autre chose. Tout est dans la réponse : à chacun son affaire, et dans son récit autobiographique Tout Just, publié aux éditions du Rocher, Just Jaeckin sattache simplement à restituer la sienne, sa grande affaire de vivre et daimer vivre dans une composition où de petites photographies senchâssent dans le texte pour le faire vivre et le souligner. Petits clichés pour un grand photographe qui sexprime tant par la plume que par limage. On retrouve cette dualité dans le dédoublement des ouvrages. Tout Just est livré avec un album de quarante-huit photographies somptueuses, couleur et noir et blanc, selon linspiration du moment. On y retrouve les célèbres images de Jane Fonda nue sur une plage, Monica Bellucci ployée vers son mystère, Brigitte Bardot, mais aussi un Eddy Mitchell en Charlie Chaplin, un portrait de Jean-Claude Brially, ou encore ces images irréelles de danseurs étoiles, Agnès Letestu et José Martinez, semblant danser dans les airs. Sylvia Kristel aussi, photographiée dans la splendeur des ombres qui suivent son corps, ou dans la clarté de son regard souriant.
Just Jaeckin serait certainement agacé, mais sans plus, quon ne retienne de lui que le réalisateur dEmmanuelle, et peut-être quon ne retienne dEmmanuelle que le mythe du film érotique, en oubliant le film tout court. Cest dailleurs un des intérêts de son livre que de restituer Emmanuelle à lhistoire du cinéma, au lieu de lenfermer dans un genre qui fit certes son triomphe, mais qui contribua aussi à réduire les marges de manoeuvre du cinéaste.
Cinéaste, Just Jaeckin, la été, mais pas seulement, car il a fait beaucoup de choses. Dessinateur, photographe de publicité, photographe de natures mortes avant de sépanouir dans le portrait de femme, sculpteur, cinéaste. On suit au fil de son livre les péripéties et les envies qui lont mené dune activité à lautre, tout étant commandé par une exigence : ne pas sennuyer, garder la flamme, même lorsque le prix de cette volonté de passion, cest un renouvellement à tout risque, le refus de se reposer sur ses lauriers. En ce sens rien dun touche à tout : il y a du métier, il y a de lengagement, bref il y a de lart, dans ce parcours qui voit la conquête successive de domaines différents. Mais derrière le grand professionnel, Just Jaeckin conserve, peut-être comme son secret le plus précieux, un amateur incessant et acharné, un amateur au sens propre : quelquun qui sapplique à ce quil aime. Doù cette impression que le vrai professionnel doit dabord être un amateur loyal. Cela ne suffit pas, car le professionnel ajoute à la passion un immense travail et quelques responsabilités (comme financer un emprunt bancaire pour un studio). Il est clair que chez Just Jaeckin la valeur du travail nest pas là pour donner un sens à lactivité artistique, mais plutôt pour lui donner de la profondeur. Reste, au centre, la nécessité de la passion, dun intérêt concentré sur la tâche à remplir - photographie, film, ou sculpture - sans lesquels on sent que pour Just Jaeckin tout est un peu fade - y compris lart lui-même.
Il arrive aussi à lhomme, qui semploie avec tant de diversité, de demeurer un simple amateur : cest ainsi quon lentrevoit même en pilote ! Véritable amateur, mais vrai casse-cou aussi... La diversité est celle des lieux, comme celles des activités et des êtres. Just Jaeckin sest beaucoup promené, entre le Paris de la grande époque où il fait ses armes, et lAmérique doù il ne revient pas forcément impressionné. Il réussit même le dangereux tour de force de tourner un Emmanuelle en Thaïlande, où lon ne plaisante pas avec la représentation de la sexualité, échappant de peu à une arrestation grâce à la présence desprit de son chef opérateur qui subtilise au dernier moment la bobine lincriminant. Toujours, la diversité sordonne à la passion. Tant de choses faites, tant de domaines de lart visuel explorés, tant dêtres rencontrés (Just Jaeckin a la manie de tomber sur des êtres significatifs, même lorsquil fait son service militaire en Algérie, où il rencontre Philippe Labro et Jacques Séguéla), et pourtant le même moteur : lintérêt pour ce quil fait, et inversement, lincapacité, quil avoue bien volontiers, à persévérer lorsque le feu de la passion ne lhabite plus. Il délaisse la photographie lorsquil commence à avoir limpression, venue avec le succès, de se répéter, et reprend la sculpture lorsque la passion sen impose à nouveau.
Quant au livre lui-même, où sexposent les multiples facettes dun homme, il ressortit dun genre que Just Jaeckin a beaucoup apprécié dans son apprentissage du dessin, le croquis. Just Jaeckin croque la vie, au deux sens du terme. Dans son existence, il la dévore. Dans son livre, il la raconte par touches et esquisses.
Les fidélités de lhomme sont à limage des intérêts de lartiste : multiples, mais continues. Fidélité aux amis, fidélités au souvenir des femmes dont il a traversé la vie (on a un très joli croquis de Stéphanie Power, par exemple), fidélité à son art, même lorsquil nen vit plus (cest vrai du cinéma, de la publicité ou de la photographie). Grâce à cette technique, on ne sent pas un brin de nostalgie dans une autobiographie qui pourrait y céder pour une époque de découverte où pour la première fois les photographes deviennent cinéastes, où la publicité se croisait au montage des images, pour les films tournés, ou tout simplement pour la vie qui passe. Rien de tout cela : la vie est un présent qui sétend au passé (tant de choses faites), et au futur (bien des projets). Du reste, la vie cest aussi une forme dart tant la mémoire comporte sa part dimaginaire : Just Jaeckin saperçoit que bien des souvenirs quil a en lui pourraient être inventés, comme celui de la Libération, où il se voit avec son père, alors que celui-ci était en train de mourir dune tuberculose.
Mélange du réel et de limaginaire ? Peut-être. Mais après tout, cest la grande leçon de la photographie. Le réel, tout monde le voit, mais seul le photographe le fait voir, seul le cinéaste lanime réellement, en nous faisant partager non une vision des choses, mais un regard sur les choses qui existent. En ce sens, Tout Just est à sa manière encore de lart visuel, une nouvelle forme de fidélité de Just Jaeckin à son propre trajet.
Thierry Leterre ( Mis en ligne le 01/05/2006 ) Imprimer | | |
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