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Cinéma pudique
Aldo Tassone   Antonioni
Flammarion - Champs 2007 /  10.50 € - 68.78 ffr. / 447 pages
ISBN : 978-2-08-120301-3
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Traduction de Caecilia Pieri.

L'auteur du compte rendu : Scénariste et cinéaste, Yannick Rolandeau est l'auteur de Le cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

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Les films de Michelangelo Antonioni ont toujours posé problème. Considérés comme trop intellectuels par certains, pas assez populaires pour d’autres (y compris des metteurs en scène comme Dino Risi, auteur de l’excellent Le Fanfaron), ils furent aussi vus comme modernes, au bon sens du mot. On lui reprocha cependant sa sobriété, son style elliptique et la facture sophistiquée et élégante de ses oeuvres. Et sa thématique aussi. De nombreuses critiques le rendirent sans doute plus obscur et abstrait qu'il n'est réellement. Pourtant, il est assurément l’un de ceux qui ont réussi à mettre en scène concrètement le malaise et l’univers désenchanté de l’homme contemporain. Michelangelo Antonioni est sans conteste l'un des très grands auteurs de l'histoire du cinéma... Fellini, Satyajit Ray, Kurosawa, Miklos Jancso, Tarkovski, Bresson, Eric Rohmer, Woody Allen aimaient beaucoup ses films. Un maître dont les suiveurs sont Théo Angelopoulos, Wim Wenders, entre autres.

Rappelons-nous les déambulations sentimentales du personnage central dans Le Cri (1957), la troublante disparition d'Anna dans L’Avventura (1959), la crise du couple dans La Nuit (1961), l'incroyable séquence où le photographe développe ses négatifs dans Blow-up (1968), l’identité dédoublée dans Profession : reporter (1975) et la crise du couple encore dans Identification d’une femme (1982). Autant d'errances existentielles dénuées de complaisance, tellement opposées au lyrisme et au radotage actuels. Jack Nicholson, dans le DVD de Profession : reporter, ne dit pas autre chose quand il rend hommage à Antonioni en louant sa façon de mettre en scène, loin de l'emphase, du rêve, des psychodrames des réalisateurs hollywoodiens contemporains. Comparez par exemple le traitement de Zabriskie point (1970) avec le côté clipesque de Fight-Club de David Fincher...

Le livre de Aldo Tassone, complet, riche et se lisant facilement, est à cet égard bienvenu pour rendre justice au cinéaste. La première partie retrace la carrière d’Antonioni ; la seconde nous rappelle qu'il fut aussi critique de cinéma et la troisième qu'il fit des documentaires (on trouve là son goût du factuel, du traitement distancé, proche du détachement). La quatrième partie, la plus longue, analyse chaque film du cinéaste avec un descriptif assez détaillé ; la cinquième partie aborde les écrits d'Antonioni tandis que la sixième tente de cerner son esthétique (son oeil). Enfin, la septième partie est consacrée à des entretiens entre Aldo Tassone et Michelangelo Antonioni.

"Je n'ai pas de souvenirs", "Je ne me retourne jamais derrière moi." "C'est à peine si je me regarde quand je me rase.", "Je n'aime pas qu'on sache tout de moi. Ce qui compte, ce sont mes films." Voilà, dit Tassone, ce que Michelangelo Antonioni répète très souvent. Une discrétion qui force le respect. Car ces quelques phrases disent aussi la pudeur stylistique de l'artiste. Pas besoin d'un public-miroir. L'esthétique des films d'Antonioni se tient encore de nos jours par ses raffinements et sa modestie là où tant d'autres sont à remiser au grenier des modes de leur temps.

"Homme du présent, tourné vers l'avenir (c'est bien pourquoi, jusqu'à Profession : reporter en 1976, on ne trouve pas de flash-backs dans ses films), le plus international des réalisateurs italiens n'est pas de ces artistes marqués à jamais par les premières expériences de l'adolescence, tels Pavèse ou Fellini", écrit encore Tassone. Il est vrai que l'homme ne correspond pas du tout au cliché de l'italien ; il est presque son envers parfait pour ainsi dire. Voilà pourquoi aussi, en même temps, Antonioni va, sans affectation et sobrement, aborder les thèmes de la solitude de l'homme dans son rapport au monde et à l'autre : sentiment d'inertie, non-communication, ambiguité, complexité, jeu des apparences, tromperie de l'idéologie, mort lente de l'homme dans un monde de plus en plus en proie au vide ou plus exactement à une sorte d'anorexie existentielle. L'homme des films d'Antonioni est déchu de ses rêves ou de ses illusions. Il est proche en cela, certes de Luigi Pirandello, de Pavèse et de Moravia mais aussi du théâtre de Samuel Beckett que Tassone ne mentionne étrangement pas. On pourrait y songer en se rappelant la caractère fantômatique de ses personnages, les décors arides, voire désertiques de ses films, notamment les plaines du Pô et le brouillard dans Le Cri. On n'oubliera pas que les films du cinéaste ont une architecture admirable. Pureté des lignes, espace ouvert, temps suspendu, éternel présent, présence des objets. A rapprocher du peintre Paolo Uccello ou de Piero della Francesca (peintre préféré du cinéaste).

"Ce qui intrigue Antonioni n'est pas le rapport psychologique et moral entre le photographe et le couple, mais le rapport ontologique entre le professionnel de l'objectif et la réalité tout court", souligne l'auteur. Tout est dit. Dans Blow-up (qui se souvient que le film est tiré d'une nouvelle de Julio Cortazar, l'auteur fantastique sud-américain ?), le photographe ne voit pas le meurtre qui a lieu sous ses yeux. Et encore moins le cadavre un peu plus tard. Il a été incapable de saisir le réel alors que son appareil photo, lui, a tout enregistré platement. Et pourtant ce réel est là sous notre nez, devant nos yeux. Car le cinéma d'Antonioni est surtout le cinéaste des leurres et de l'esprit qui "fictionne" la réalité.

Et on comprend d'autant mieux pourquoi dans Profession : reporter, David Locke (un reporter de télévision après le photographe de Blow-Up) tente d'échapper à lui-même et se dédouble : il prend une autre identité. En vain évidemment. Car on ne peut pas être autrui et échapper à son moi ou à sa condition. Qui a oublié cet hallucinant plan séquence de sept minutes (un tour de force technique) qui conclut le film et où la mort et le meurtre rôdent sans que l'on ne voit rien ? Ce plan qui sort de la chambre par la fenêtre et qui s'échappe pour cadrer tout l'hôtel ? Le cinéma de Michelangelo Antonioni a cette force du non-dit, de l'indicible et de l'invisible qui recouvrent nos existences. Personne n'a filmé la mort de cette façon.

Même si l'on aurait préféré parfois une analyse plus minutieuse de certaines scènes, car c'est là que se situe la valeur réelle d'un cinéaste, le livre de Aldo Tassone a le mérite d’aborder simplement l’univers du réalisateur et d'offrir de solides clefs pour pénétrer dans une telle oeuvre. De nos jours, on en a plus que jamais besoin. "Il suffit de garder les yeux ouverts : tout se charge de signification", disait Michelangelo Antonioni... Né en 1912 à Ferrare, le cinéaste a 95 ans ! Un grand à côté d'un Kubrick, d'un Bunuel, d'un Welles, d'un Fellini, d'un Woody Allen et bien sûr d'Ozu, de Bresson, de Mizoguchi dont il est proche.


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 06/06/2007 )
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