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De l'histoire ecclésiastique à l'histoire religieuse
Yves Krumenacker (dir.) & alii   Sciences humaines, foi et religion
Classiques Garnier - Constitution de la modernité 2018 /  29 € - 189.95 ffr. / 240 pages
ISBN : 978-2-406-08287-3
FORMAT : 15,0 cm × 22,0 cm

L'auteur du compte rendu : Françoise Hildesheimer est conservateur général aux Archives nationales et professeur associé à l'université de Paris I. Elle a notamment publié : Richelieu (Flammarion, 2004), La Double mort du roi Louis XIII (Flammarion, 2007), Monsieur Descartes (Flammarion, 2010), ainsi que Rendez à César. L'Eglise et le pouvoir. IVe-XVIIIe siècle (Flammarion, 2017).
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L’évolution remarquable de la pratique historienne dans le domaine de l’histoire «religieuse» est un thème où s’illustre une réelle richesse française. Au-delà de la difficulté de soumettre à la critique la parole de Dieu, dont l’oratorien Richard Simon (1638-1712) fut le héros glorieux et malheureux, l’évolution a visé à un dégagement de la confessionnalité. Initiée au IVe siècle par Eusèbe de Césarée, l’histoire ecclésiastique était écrite essentiellement par des clercs, pour un public de clercs, et dans une visée apologétique ; elle se présentait avant tout comme une histoire institutionnelle, accordant une large place aux grands personnages, et avait en particulier pour fonction de contribuer à la formation du clergé. Ce faisant, elle pose le problème de la confusion entre une histoire confessionnelle et une interprétation théologique lui découvrant le sens d'une action de Dieu dans le monde. Dans cette perspective à visée interne, l’Église, qui définit elle-même les critères à la lumière desquels cette histoire doit être reconstituée, fait d’elle-même l’objet principal du discours historique. Pour que d’autres points de vue puissent émerger, il a fallu que, dépassant les polémiques anticléricales, d’autres traditions historiques viennent s’y associer pour pratiquer une méthode commune et envisager l’histoire des christianismes comme élément d’un récit plus général. S’est ainsi réalisé un véritable retournement de perspective passant par une attention prioritaire prêtée au plus grand nombre, signifiée avec humour par Gabriel Le Bras : «Autant que les dieux, regardons leurs adorateurs».

Cette histoire religieuse se distingue de l'histoire des religions qui s’était en grande part développée elle aussi en réaction contre l'apologétique catholique sous l'égide d'historiens professionnels laïcs, souvent anticléricaux, et a bénéficié de l'ouverture du comparatisme. L'histoire des religions est une science humaine ayant pour objet d’étude les religions, ou plus exactement des ensembles de pratiques et croyances, rites et mythes. Elle a fait son apparition officielle dans les universités dans la deuxième moitié du XIXe siècle, dans le cadre du développement des idées laïques, du débat sur la séparation de l’Église et de l’État et de l’essor des sciences sociales.

De son côté cependant, l’histoire religieuse s'est aussi émancipée de la tutelle ecclésiastique, ainsi que de la polémique anticléricale, tout en intégrant les apports de la sociologie, de l'histoire des mentalités et de l'anthropologie qui en ont renouvelé la problématique et les sources. Délaissant les travaux consacrés à la papauté ou à la hiérarchie ecclésiastique, on en est ainsi venu à une histoire des pratiques ordinaires, des représentations et des systèmes culturels et religieux. Les historiens ont centré leurs travaux sur les visites pastorales devenues une source quasiment emblématique, mettant en lumière les tensions entre le vécu et le prescrit, pour fixer l'attention sur le peuple de Dieu. Ont été étudiés les missions, les prédications, les relations avec la société politique, le catholicisme social, les œuvres…

En France, à partir de 1931, Gabriel Le Bras a lancé de grandes enquêtes de sociologie religieuse visant à déterminer la vitalité religieuse de la France du passé, une démarche qui trouvait sa justification dans la déchristianisation contemporaine et a débouché sur la publication des Matériaux pour l'histoire du peuple chrétien issus de la documentation réunie par le chanoine Fernand Boulard révélant les vastes mutations intervenues dans le champ du religieux. Au premier rang des travaux de référence on trouve encore, dans les années qui suivent, de grandes thèses et travaux portant sur un diocèse, démarche qui a trouvé son expression vulgarisé dans la collection d'Histoire des diocèses de France (Letouzey et Ané, puis Beauchesne). L'intégration de la psychologie au champ de l'histoire par les maîtres des Annales a donné matière aux grands travaux de Lucien Febvre (Un Destin : Martin Luther, 1928. Le Problème de l'incroyance au XVIe siècle. La religion de Rabelais, 1942), Marc Bloch (Les Rois taumathurges, 1924), Alphonse Dupront, Michel de Certeau et à la prise en compte du domaine religieux dans les grands travaux d'histoire des mentalités (Philippe Ariès, Michel Vovelle). En fait, il apparaît que l'histoire religieuse a constitué le point d'arrivée de nombreux historiens dont les premiers travaux avaient une orientation exclusivement économique et sociale (Jean Delumeau, Pierre Chaunu, Jacques Le Goff, Michel Vovelle). De 1955 à 1985, l’histoire religieuse a constitué de 12 à 15% de la production historique française et, dans l’enseignement public, Le domaine fait ainsi figure de noyau dur de l'histoire culturelle tout en tendant malgré tout à y perdre quelque peu sa spécificité. On a ainsi posé un certain nombre de questions qui ont alimenté recherche et débats durant les dernières décennies : le problème de la religion dite populaire, la problématique de la déchristianisation. On a étudié les attitudes face à la mort, la sainteté, les réactions collectives, les pèlerinages et les miracles, établi des liaisons avec le folklore, l'hagiographie et l'ethnologie...

En 1996, l’historien Jean Delumeau fait ce constat : «En dépit, ou à cause de la déchristianisation actuelle, l’histoire religieuse dans son acception la plus large est actuellement florissante en France. Elle constitue un secteur de pointe de la recherche». Cette recherche est décrite dans les ouvrages suivants :

- Jean-Marie Mayeur (dir.), L’Histoire religieuse de la France. 19e-20e siècle. Problèmes et méthodes, Beauchesne, 1975.
- Claude Langlois, «Trente ans d’histoire religieuse», Archives de Sciences Sociales des Religions, 63/1, 1987, pp.85-114.
- Francis Python, «D’une approche confessionnelle à une histoire religieuse universitaire. L’itinéraire de l’historiographie française», Zeitschrift für Schweizerische Kirchengeschichte, 1993, pp.33-47.
- Françoise Hildesheimer, L’Histoire religieuse, Publisud, 1996.
- Claude Langlois et André Vauchez, «L’Histoire religieuse», François Bédarida (dir.), L’Histoire et le métier d’historien en France, 1945-1995, 1995, pp.313-323.
- J. Pirotte et E. Louchez (dir.), «Deux mille ans d’histoire de l’Église. Bilan et perspectives historiographiques», Revue d’histoire ecclésiastique, 95/3, juillet-septembre 2000.
- «Un siècle d’histoire du christianisme en France. Bilan historiographique et perspectives», Revue d’Histoire de l’Église de France, 86/217, juillet-décembre 2000.
- Yves-Marie Hilaire, «État des lieux : France», B. Pellistrandi (dir.), L’Histoire religieuse en France et en Espagne, Casa de Velasquez, 2004, pp.3-16.
- Dominique Julia, «L’Historiographie religieuse en France depuis la Révolution française. Esquisse d’un parcours», P. Büttgen et C. Duhamelle, Religion et confession. Un bilan franco-allemand sur l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècle). Éditions de la MSH, 2010, pp.9-55.
- Jérémie Foa, «Histoire du religieux», Christian Delacroix, François Dosse, Patrick Garcia et Nicolas Offenstadt, Historiographies, I, Gallimard, 2010, pp.268-281.
- Jean-Dominique Durand, Le Monde de l’histoire religieuse, Lyon, LARHRA-RESEA, 2012.

Arrivée à ce point d’évolution, la définition de l’histoire religieuse pose encore une double question : est-elle une simple branche de l’histoire culturelle et/ou de l’histoire sociale, ou est-elle totalement autonome ? À qui doit-il revenir d’en traiter ? Le débat identitaire autour des relations entretenues avec la théologie par une historiographie longtemps très majoritairement représentée par des historiens d’appartenance confessionnelle assumée demeure d’actualité. Si l’histoire religieuse postule aujourd’hui une démarche détachée d’une foi à laquelle l’historien, bien évidemment, peut ou non adhérer, la difficulté peut demeurer, et l’un de ses meilleurs artisans, Étienne Fouilloux (Au cœur XXe siècle religieux, Éditions ouvrières, 1993, p.20), pointe la double nécessité de «faire admettre ce type d’histoire aux cercles ecclésiaux détenteurs des sources ; [de] la faire admettre aussi, comme rameau légitime, au milieu historien. Il faut tenir bon les deux bouts de la corde et ne lâcher ni sur la spécificité religieuse, ni sur son intégration de plein droit à la "grande" histoire». Sur ce thème, on disposait des travaux suivants :

- Yves Congar, «L’Histoire de l’Église, "lieu théologique"», Concilium, 57, 1970, pp.75-83.
- Hubert Jedin, «L’Histoire de l’Église : théologie ou histoire», Communio, IV, 6, 1979, pp.38-46.
- Guy Bédouelle, L’Histoire de l’Église. Science humaine ou théologie ?, Mentha, 1992.
- Pierre Pierrard, Chemins de traverse. Mon itinéraire de chrétien historien, Desclée de Brouwer, 1993.
- Jean-Dominique Durand (dir.), Histoire et Théologie, Beauchesne, 1994.
- Jean Delumeau (dir.), L’Historien et la foi, Fayard, 1996 [ego-histoire de 24 historiens français].
- Yves Krumenacker, Histoire de l’Église et théologie, Lyon, Profac, 1996.
- Guillaume Cuchet, Faire de l'histoire religieuse dans une société sortie de la religion, Publications de la Sorbonne, 2013.

Les chercheurs continuent à réfléchir à la question des conditions d’une approche du religieux laïque, indépendante de leurs convictions à laquelle le présent ouvrage constitue une contribution théorique importante. Il s’agit des actes d’un colloque organisé par la Bibliothèque municipale de Lyon les 14 et 15 octobre 2016. À la fois réflexion théorique, mises au point historiographiques et témoignages individuels, phénomènes de domination et de minorité, les 13 communications qui le composent constituent des exercices exigeants qui se redoublent, se répondent et se complètent. Conjuguant recherche de Dieu et de la vérité, intention de la recherche et attention du chercheur, objectivité de la méthode et, sympathie de la démarche, elles traitent essentiellement du christianisme avec une ouverture à l’Islam et au judaïsme ainsi qu’aux religions «primitives», et une attention particulière portée aux voisinages de la sociologie et de l’anthropologie (n’évoquant qu’à une seule et fugitive reprise l’ésotérisme qui devrait sans doute, surtout à Lyon, mériter plus d’attention). On regrettera l’absence de courtes notices de présentation individuelle des auteurs en fin de volume, au moins aussi utile pour le lecteur non spécialiste du domaine que les résumés.

C’est la – provisoirement - dernière étape d’un parcours qui se poursuivra, toujours à Lyon, en 2019. Les 11-13 juin en effet, y est annoncé un Colloque international de la Commission Internationale d’Histoire et d’Étude du Christianisme (CIHEC) organisé avec le soutien des universités Lyon 2 et Lyon 3, du LARHRA-UMR5190, de la Société d’histoire religieuse de la France, de l’Association française d’histoire religieuse contemporaine, de la Société d’histoire du protestantisme français et du groupe d’histoire religieuse de La Bussière. Le but en sera «d’étudier les liens possibles entre l’histoire religieuse, l’histoire de l’Église ou l’histoire ecclésiastique, et d’autres types d’histoire (histoire des savoirs, histoire du genre, histoire globale, histoire numérique, etc.) ; de réfléchir à l’intérêt de croiser les méthodes et les concepts de ces différents types d’histoire et de se demander dans quelle mesure cela pourrait permettre un renouvellement de l’histoire religieuse». Bref, l’histoire de l’histoire religieuse continue !


Françoise Hildesheimer
( Mis en ligne le 26/11/2018 )
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