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Beauvoir, Sartre et les autres... | | | Hazel Rowley Tête-à-tête - Beauvoir et Sartre, un pacte d'amour Grasset 2006 / 21.90 € - 143.45 ffr. / 465 pages ISBN : 2-246-70231-3 FORMAT : 15,5cm x 23,0cm
Traduit de langlais par Pierre Demarty
Lauteur de larticle : Arnaud Genon est docteur en littérature française, diplômé de lUniversité de Nottingham Trent (PhD). Professeur de Lettres Modernes, il est aussi membre du Groupe «Autofiction» ITEM (CNRS-ENS) et cofondateur du site Hervé Guibert (http://herveguibert.net/). Imprimer
On pourrait se demander si la relation entre Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre constitue, comme lannonce le titre de louvrage de Hazel Rowley, un «tête-à-tête». En effet, le «pacte damour» sur lequel reposait lun des plus célèbres sinon le plus célèbre couple de la littérature française du XXe siècle, autorisait de vivre, chacun de leur côté, ce que Sartre appelait «des amours contingentes cest-à-dire secondaires et au gré du hasard» (p.49). Par opposition, lamour que se porteraient les deux écrivains serait «nécessaire», cest-à-dire essentiel. Il y avait dans le choix de ce pacte non seulement la marque dun mode de vie non conformiste et antibourgeois mais aussi lexpression de la théorie de la liberté et de la contingence sartrienne : «Cétait un sujet sur lequel ils avaient planché à lagrégation, et [Sartre] y réfléchissait depuis un certain temps [...] chaque individu devait assumer sa liberté, créer sa propre vie» (p.41). Et lamour, on laura compris, ne faisait pas exception à cette philosophie.
Ce tête-à-tête prenait ainsi souvent la forme dune réunion de famille, famille faite damis, damants et de maîtresses. Ainsi, par exemple, Olga Kosakiewicz, dabord élève de Beauvoir à Rouen, devint-elle ensuite son amie. Puis elles eurent des relations sexuelles ensemble et Sartre commença à la courtiser. Mais comme elle se refusait à lui, cest sur sa sur, Wanda, quil jeta son dévolu. Olga commença alors une histoire avec Laurent Bost qui secrètement était lamant de Beauvoir... Voici rapidement résumé ce que pouvait être ce «tête-à-tête» pour le moins non conventionnel. Mais si certains des protagonistes étaient trompés par Sartre ou Beauvoir, la tromperie ne les touchait jamais eux : ils se disaient tout, liés par leur contrat et une volonté de transparence inébranlable vis-à-vis de lautre.
Des périodes furent plus difficiles pour Beauvoir, notamment lorsque Sartre, amoureux de la new-yorkaise Vanetti, se sentit durant quelque temps comme étrangère de celui avec qui elle était liée. Mais pour lui, elle était capable de tout, même de passer à côté de sa plus grande passion, celle quelle connut avec le romancier américain Algren à qui elle écrivit : «Jamais je ne pourrais labandonner [Sartre]. Le quitter pendant des périodes plus ou moins longues, oui, mais pas engager ma vie entière avec quelquun dautre. [...] Je sais que je suis en danger en danger de vous perdre et je sais ce que vous perdre représenterait pour moi» (p.249). Mais pour Sartre, elle le perdit... Car Sartre était pour Beauvoir, comme elle le nota dans une des nombreuses lettres quelle lui envoyait, «lexpérience la plus étonnante et la plus forte et la plus profonde et la plus vraie de ma vie» (p.236). Peu de gens pouvaient comprendre leur pacte, encore moins nombreux ceux qui pouvaient laccepter. Leur pacte damour, leur pacte décriture, pour la littérature, étaient plus fort que tout.
Cest ce que révèle brillamment cet essai documenté, convoquant la correspondance, les témoignages ou les uvres des deux écrivains pour enrichir et éclairer ce qui jusque-là navait jamais été approché daussi près. Mais là où beaucoup en auraient fait un ouvrage impudique et racoleur, Hazel Rowley trouve la juste mesure, transformant la vie privée de Sartre et Beauvoir en une véritable aventure, singulière et fascinante.
Arnaud Genon ( Mis en ligne le 19/01/2007 ) Imprimer
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