|
Philosophie |
| Hugues Lethierry Collectif Hipparchia mon amour ! Le Petit Pavé 2015 / 14 € - 91.7 ffr. / 193 pages ISBN : 978-2-84712-463-7 FORMAT : 14,5 cm × 21,0 cm
Irène Pereira (Préfacier)
L'auteur du compte rendu : Romancier, essayiste, docteur en sociologie, Frédéric Delorca a publié entre autres, aux Editions du Cygne, Eloge de la liberté sexuelle stoïcienne (2011). Imprimer
Le féminisme puis les Gender studies nont cessé de susciter de la curiosité pour les auteurs féminins du passé voués à loubli par deux millénaires de machisme ou qui eurent simplement le courage de se faire entendre en leur temps dans un espace public dominé par les hommes. La philosophe cynique épouse de Cratès, Hipparchia de Maronée, lunique penseure à laquelle la Vie des philosophes illustres de Diogène Laërce consacre une rubrique biographique, ne pouvait échapper à cet intérêt de nos contemporains.
Hugues Lethierry, enseignant honoraire à lIUFM, spécialiste de lhumour, dHenri Lefebvre et de Jankelevitch, sest entouré dune équipe de philosophes et sociologues, universitaires ou non, pour évoquer cette philosophe-chienne, née aux alentours de 330 av-JC dans une bonne famille de Thrace, invitée à la table des gouverneurs, qui nhésitait pas à faire lamour dans la rue, ni à tenir tête aux plus brillants penseurs de son temps. Hipparchia, comme les autres cyniques, na laissé à la postérité que le souvenir de quelques actes : son choix dépouser Cratès qui se dénude devant elle, sa manière daffronter Théodore lAthée qui soulève sa robe. Toute uvre qui se réclame de sa postérité ne peut donc quêtre une rêverie sur ses gestes, un hommage à sa radicalité : ayant vécu dans le refus des conventions, plus aucune tentative de la ramener au statut inférieur de la féminité en Grèce ne pouvait plus latteindre. Tous les chantres du libertarisme, de Simone Weil à Deleuze en passant par Louise Michel, sont ainsi convoqués pour célébrer lacte subversif qui cloue le bec, et toutes les femmes philosophes de lhistoire pour célébrer la «différance» sexuelle, comme eût dit Derrida.
Le livre a son petit charme. Toutefois, comme tous les ouvrages marqués par lesprit de notre temps, il reste assez superficiel, ce qui est le revers habituel du côté ''donneur de leçons''. Léloge de la féminité et de la liberté, érigées en slogan moral et moralisateur, ici, comme souvent, empêche de penser. Ainsi, quand un chapitre du livre se propose à juste titre de rappeler ce que lEvangile doit au cynisme dans la promotion des femmes, notamment celles de mauvaise vie, il sen tient à un pur effet de catalogue, qui, au passage, oublie de citer dans le christianisme celui quon tenait pour le Diogène de la Gnose, Carpocrate, du fait quil introduisit le communisme sexuel dans les cérémonies (son fils Epiphane appela même ses disciples à copuler dans la rue). Bien sûr, se confronter à la Gnose plutôt que dégrainer sur un mode scolaire le côté canin des dominicains et la nudité de Saint François dAssise eût obligé à faire face aux sources mêmes (métaphysiques) de linstinct de provocation sexuelle, ses racines éventuellement diaboliques (sujet qui occupa les réflexions religieuses de cultures très diverses) ou pas (mais alors il fallait aussi se demander ce quest le diable), tout comme il eût fallu examiner en détail ce que Plutarque eût sans doute appelé le daimon dHipparchia les raisons de son entrée dans le monde après la crise socratique, le relais quil prenait dautres formes de subversion féminines, des vapeurs de la Pythie, mère symbolique de Pythagore (voir Peter Kingsley sur ce thème) aux transes nocturnes des ménades. Cet effort de profondeur manque hélas un peu à louvrage.
Frédéric Delorca ( Mis en ligne le 16/12/2015 ) Imprimer | | |
|
|
|
|